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Mines et métaux

En Guyane, l’opposition se lève contre un projet de mine destructeur de la forêt

Les autorités et Emmanuel Macron soutiennent le projet minier de la Montagne d’or, porté par la société russe Nordgold. Le dégât environnemental en est certain et le bilan économique discutable. La mobilisation s’organise en Guyane.

  • Saint-Laurent-du-Maroni (Guyane), reportage

Dès avril 2016, Reporterre lançait l’alerte sur un projet de mine d’or en Guyane porté par une multinationale et soutenue par Emmanuel Macron. Au même moment, quelques personnes fondaient le collectif Or de question. Il fédère aujourd’hui des organisations guyanaises et nationales, comme Les Amis de la Terre, la Fondation Nicolas Hulot, Ingénieurs sans frontières, contre ce qu’il qualifie de « mégamine d’or industrielle ».

2,5 km de long, 500 m de large et 400 m de profondeur. C’est une immense fosse que prévoit de creuser la compagnie russe Nordgold sur le site de la Montagne d’or, dans l’ouest de la Guyane, après que des travaux de prospection y aient été menés par la junior canadienne Columbus Gold. Actuellement dominé par une exploitation artisanale, légale et illégale, et par quelques structures semi-industrielles, le domaine minier guyanais basculerait alors dans une exploitation industrielle de l’or orchestrée par des multinationales. Si ce projet voit le jour, ce serait la plus grande mine d’or exploitée en France. C’est de cela que les organisations qui composent Or de question ne veulent pas et les raisons à cette opposition ne manquent pas.

Les berges du fleuve Maroni.

Déforestation, usage de nombreux intrants chimiques, volumes de stériles colossaux, le tout dans une zone jouxtant deux réserves biologiques et avec une consultation parcellaire des Guyanais. Les risques d’accident aux conséquences catastrophiques planent sur ce type de mégamine, comme en témoigne la rupture des digues des bassins à résidus du site de l’entreprise Samarco près de Mariana, dans l’État du Minas Gerais, au Brésil en 2015.

« Dans un premier temps, il nous faut faire de la pédagogie » 

Une conférence de presse organisée à Cayenne mardi 21 février a été « la première grande communication » du collectif, tandis que différentes enquêtes portant sur le projet minier — étude d’impact, enquête de faisabilité… — sont attendues pour la fin mars. « L’union fait la force. On espère créer un effet d’entraînement », dit Patrick Monier, de l’association Maïouri nature environnement, membre du collectif. Et de fait, depuis la conférence de presse, de nouvelles organisations ont rallié Or de question. Et la pétition mise en ligne par Sauvons la forêt a récolté 20.000 signatures en 24 h et en comptait près de 68.000 lundi 6 mars.

« Dans un premier temps, il nous faut faire de la pédagogie, explique Harry Hodebourg, responsable de CAP21 Guyane et militant à Maïouri nature environnement. Une conférence publique est prévue à Cayenne le 15 mars. Puis, nous devrons faire au plus vite quelque chose à Saint-Laurent-du-Maroni », commune sur laquelle se trouve le site de Montagne d’or, ajoute-t-il.

La mairie de St-Laurent-du-Maroni, la commune de l’ouest guyannais sur le territoire de laquelle se trouve le site de Montagne d’or.

En Guyane, nombreux sont ceux qui ont en tête la mobilisation réussie contre un projet minier du même type sur la montagne de Kaw, il y a une dizaine d’années. « La compagnie avait tous les feux verts. Région et conseil général étaient complètement d’accord avec le projet. Au début, on s’est lancé dans la bataille sous les moqueries », se souvient Patrick Monier, qui présidait alors Attac Guyane. Finalement en 2008, Nicolas Sarkozy annonçait la suspension du projet, refroidissant pour un temps les appétits des multinationales minières en Guyane.

Depuis, département et région ont fusionné pour former la collectivité territoriale de Guyane (CTG) et la soif de l’or n’est pas étanchée. Mais, pour Harry Hodebourg, « même si les quatre parlementaires guyanais, le président de la CTG, le maire de St-Laurent-du-Maroni sont pour la mine, nous sommes persuadés que si la population se mobilise, la pression sur l’État et les élus locaux pourra faire basculer le projet, comme en 2008 ».

Des infrastructures à la charge du contribuable

À la CTG, les miniers ont un allié de taille en la personne d’Hélène Sirder, la première vice-présidente de la région, qui est déléguée tout à la fois au développement durable, aux mines et à l’énergie. « Le cocktail gagnant », commente Harry Hodebourg. « Ce projet minier, c’est le développement de la Guyane », a-t-elle déclaré à France-Guyane.

Pour appuyer cette position, la CTG insiste sur la mise en place d’une formation sur la « valorisation des ressources du sous-sol » au sein de la jeune université de Guyane, en partenariat avec la compagnie minière. Car c’est bien les emplois qui sont agités pour défendre le projet. Lors d’un récent passage en Guyane, l’actuel secrétaire d’État chargé de l’Industrie, Christophe Sirugue, évoquait jusqu’à 1.000 emplois en phase de construction et 800 lors de l’exploitation. Or de question revoit l’addition à la baisse, tablant sur 800 emplois en phase de construction et 500 en phase d’exploitation. Mais « combien d’emplois locaux ? » s’interroge le collectif.


-  Pour mieux voir l’image, téléchargez le pdf ci-dessous :

Le projet de la Montagne d’or vu par ses opposants.

À l’échelle nationale, le gouvernement soutient ouvertement le projet. Lorsqu’il était ministre de l’Économie, Emmanuel Macron avait annoncé vouloir « tout faire » pour que la mine de Montagne d’or voie le jour, après avoir visité le site l’été 2015. Le lobby minier continue à s’activer. En septembre 2016, Bercy recevait Igor Klimanov, directeur du développement de Nordgold, d’après le magazine Challenges.

Dans le cas de la Montagne d’or, c’est plus qu’un feu vert des autorités dont la multinationale a besoin, c’est d’une véritable mise à disposition d’infrastructures pour exploiter le sous-sol. En effet, l’exploitation du site telle qu’elle est prévue par Nordgold nécessitera 20 mégawatts d’énergie, soit la consommation annuelle de Cayenne, selon les Échos. Or la production actuelle d’énergie n’arrive pas à couvrir les besoins croissants de la population guyanaise. Et plutôt qu’une production d’électricité sur place, Nordgold privilégie un raccordement à EDF nécessitant, outre cette production d’électricité supplémentaire, de tirer une ligne aérienne sur 120 km le long d’une piste en forêt. Ce à quoi la CTG n’a pas dit non, puisque la collectivité est allée jusqu’à intégrer ces besoins dans sa programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). L’Autorité environnementale ayant commenté le dossier guyanais, la PPE a mis de côté les besoins énergétiques des miniers, au grand dam des prospecteurs. Mais Hélène Sirder a assuré que ces besoins pourront être pris en compte lors de la révision de la PPE en 2018 et même hors PPE. Quant au raccordement du site au réseau, « le coût de la ligne haute tension sur 120 km est estimé à 60 millions d’euros à la charge du contribuable », précise Harry Hodebourg.

En Guyane, l’électricité arrive à peine dans les villages isolés du Haut-Maroni.

« Les gens ne s’imaginent pas les dégâts environnementaux, sociaux et le peu de retombées économiques que cela aura » 

« C’est une spoliation de la Guyane, pour ne pas dire un pillage, dénonce-t-il. On dit aux gens que l’on va exploiter l’or et ainsi développer la Guyane, mais ils ne s’imaginent pas les dégâts environnementaux, sociaux et le peu de retombées économiques que cela aura. » Avec une taxe minière à 2 %, les recettes seront maigres. « Sans compter que l’on ne pourra pas développer le tourisme vert avec des mégamines dans la région », ajoute-t-il.

Face à cette mise en coupe réglée du territoire guyanais, des politiques locaux commencent à s’interroger. Ainsi, Jean-Étienne Antoinette, ex-sénateur-maire de Kourou et candidat aux élections législatives de 2017 pour le parti Walwari, fondé par Christiane Taubira, exprimait récemment des doutes quant à la pertinence du projet.

Le futur site minier jouxte deux réserves biologiques intégrales.

« Il peut y avoir des revirements », prévient Patrick Monier, qui se souvient du changement de cap d’élus en 2008 sous le vent d’une mobilisation citoyenne grandissante. Antoine Karam, alors président du conseil général, soutenant initialement le projet minier, s’y était ensuite opposé.

En attendant, sur la Montagne d’or, « les travaux d’installation du camp ont déjà commencé, sans autorisation », alerte Harry Hodebourg. Dans ce contexte, ceux qui préféreraient entendre « la montagne dort » ne peuvent compter que sur un réveil citoyen. « »

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