Zoraya pense que la douleur ne disparaîtra jamais, car la tragédie des abus sexuels auxquels elle a survécu a été supplantée par l'horreur du viol de sa fille de 18 mois, dans le nord-ouest troublé de la Colombie.

«Je suis marquée à vie», confie à l'AFP cette afro-colombienne de 32 ans, dont le cauchemar a commencé il y a cinq ans à Quibdo, chef-lieu du département du Choco, où elle a depuis été déplacée par la violence du conflit armé.

Cette jeune femme, qui vivait dans un village proche, ne se pardonne pas de «ne pas avoir regardé derrière elle» lorsqu'un jour de 2011, devant faire des démarches administratives, elle a laissé son bébé chez les grands-parents à Quibdo, et ne s'est pas rendu compte que l'enfant était sortie derrière elle.

«On lui a enlevé sa robe, sa couche et introduit un bâton dans l'anus, perforant l'intestin grêle. Quand on m'a appelée et que j'ai vu ma petite...», se souvient-elle, en larmes.

Des témoins n'ont pas oublié la flaque de sang dans laquelle baignait la fillette, qu'ils ont emmenée en urgence à l'hôpital. Opérée pour une péritonite aigüe, entre autres, elle est restée un mois en soins intensifs. Aujourd'hui «il lui reste une énorme cicatrice, sur presque tout le ventre».

Le violeur n'a jamais été retrouvé. Et Zoraya, dont le prénom a été changé par sécurité, n'a plus utilisé la robe de ce jour-là. «Elle la repoussait et j'ai dû la jeter», dit cette mère, préoccupée bien qu'un psychiatre ait écarté l'hypothèse de séquelles.

Viols multiples

«Elle était très petite, mais des gens lui ont raconté», déplore Zoraya, qui tente de s'en sortir, en dépit du racket qu'exercent en outre les gangs de son quartier.

«La vie est dure, difficile (...) Souvent, nous n'avons rien à manger», lâche-t-elle. Le père de ses six enfants, qui travaillait dans une mine, a disparu. Elle ignore s'il est vivant ou mort.

Cette femme a dû fuir son village il y a quatre ans, au lendemain de Noël, sous la menace d'«un groupe armé illégal».

Elle était en train de préparer le petit-déjeuner quand son fils aîné l'a alertée d'un bruit «de bottes». Un homme, qui la harcelait déjà depuis quelque temps, a surgi. En tenue de camouflage, armé et se faisant appeler chef par son escorte, il lui a ordonné de préparer à manger et a voulu la forcer à coucher avec lui.

«Il m'a attrapée, a tenté de m'embrasser, mais je ne me suis pas laissé faire. Je l'ai frappé au visage, l'ai griffé. On a roulé par terre», raconte Zoraya. L'un des enfants était présent. L'homme s'en est allé, menaçant: «Si je reviens et que vous êtes encore là, je mets le feu à la maison. Je vous donne 24 heures».

L'histoire de cette Colombienne rappelle celles de dizaines de milliers d'autres dans ce pays où, officiellement, «près de 17 100 filles et femmes ont souffert d'atteintes à leur liberté et à leur intégrité sexuelle, depuis les années 80 dans le cadre du conflit armé», selon le rapport du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) publié jeudi.

La majorité de ces femmes prises en charge par le CICR sont noires et paysannes, selon ce texte qui fait aussi état de viols multiples «commis par trois à quatre personnes».

Fléau sous-évalué

Dans le Choco, «le conflit est très dur (...) et la violence sexuelle a été l'une des armes les plus utilisées pour contrôler la population civile, comme un outil de guerre», précise Lorena Mosquera, infirmière du CICR à Quibdo depuis six ans.

Grossesses non désirées, maladies vénériennes, blessures, familles brisées et mères seules... les conséquences de ce fléau sont «très graves», ajoute-t-elle, faisant état de victimes âgées «d'un an et demi à 65 ans», y compris des hommes.

Les survivantes des viols pâtissent en outre de leur «invisibilité»: de honte, par peur de représailles ou d'être stigmatisées, beaucoup ne portent pas plainte et «le sous-enregistrement est très, très important», souligne Mme Mosquera.

Le phénomène est «récurrent et affecte plusieurs générations au sein d'une même famille» en raison de la «persistance du conflit» qui, depuis le début des années 60, a fait au moins 260 000 morts, plus de 60 000 disparus et quelque 6,9 millions de déplacés.

Maria Eugenia Urrutia, fondatrice de l'association Afromupaz, a pleuré, est restée prostrée chez elle, avant de fuir le Choco. Mais elle s'en est sortie: «Grâce au chant, en serrant mes enfants contre moi, j'ai réagi!»