Trumpcare: un projet de loi tellement horrible qu'il en est génial

Paul Krugman

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Par Paul Krugman

Il est évident depuis bien longtemps pour quiconque suit la politique de santé que les républicains ne trouveraient jamais un remplacement viable à l’Obamacare. Mais le projet dévoilé cette semaine est pire que ce à quoi s’attendaient même les plus cyniques ; son horreur a un côté surréaliste. Et la façon dont il est venu à la vie vous en dit long sur l’état du GOP (Grand Old Party - les républicains).

Au vu de la rhétorique que les républicains utilisent depuis sept ans pour attaquer la réforme de santé, on se serait attendus à ce qu’ils se débarrassent de toute la structure de l’Affordable Care Act – dérèglementer, ôter les subventions et laisser la magie des libres-marchés faire son œuvre. Cela aurait été dévastateur pour les 20 millions d’américains qui ont obtenu une couverture grâce à cette loi, mais au moins, cela aurait été cohérent sur un plan idéologique.

Mais les dirigeants républicains n’étaient pas prêts à abdiquer là-dessus. Ce qu’ils ont imaginé, à la place, c’est une bouillie que les conservateurs, non sans raison, appellent l’Obamacare 2.0. Mais une appellation plus appropriée serait Obamacare 0.5 parce qu’il s’agit d’un projet boiteux qui accepte la logique et les grandes lignes de l’Affordable Care Act tout en affaiblissant de manière catastrophique ses points clefs. S’il est mis en œuvre, ce projet de loi entraînerait de manière quasi certaine une spirale mortelle de montée en flèche des prix des premiums et d’un effondrement de la couverture. Ce qui nous amène à nous demander, pourquoi ?

L’Obamacare repose sur trois grands principes. Les compagnies d’assurance sont réglementées, elles ne peuvent pas refuser de couvrir ou de faire payer davantage des Américains qui ont des antécédents médicaux. Les familles reçoivent les subventions liées à la fois à leurs revenus et à leurs premiums afin de les aider à souscrire une assurance. Et il y a des pénalités pour ceux qui ne veulent pas souscrire d’assurance, afin d’inciter les gens à s’inscrire même s’ils sont en bonne santé actuellement.

Le Trumpcare – la Maison Blanche insiste sur le fait que nous ne devons pas l’appeler ainsi, ce qui signifie que nous devons le faire – préserve une certaine partie de ces trois éléments, mais sous une forme affaiblie de manière drastique, probablement fatale.
Il est toujours interdit pour les assureurs d’exclure les gens malades, mais ils ont le droit de faire payer des premiums beaucoup plus élevées aux américains d’un certain âge – ceux qui ont le plus besoin d’une assurance. Les subventions sont toujours là, sous la forme de crédits d’impôts, mais elles ne sont plus liées ni aux revenus (tant qu’on est en dessous de 75 000 dollars) ni au coût de l’assurance.

Et l’impôt pour ceux qui ne s’inscrivent pas devient une petite surcharge – payée aux compagnies d’assurance, pas au public – pour les gens qui s’inscrivent après avoir précédemment laissé expirer leur couverture. Les jeunes gens aisés pourraient donc se retrouver à faire des économies avec ces changements. Mais l’effet sur ceux qui sont plus âgés et moins aisés serait dévastateur. L’AARP a fait des calculs : quelqu’un de 55 ans qui gagne 25 000 dollars par an se retrouverait à payer 3 600 dollars supplémentaires par an pour sa couverture santé ; cela atteint 8 400 dollars pour une personne âgée de 64 ans qui gagne 15 000 dollars par an. Et ça, c’est avant la spirale de la mort.

Car le mélange des hausses de prix et des pénalités qui sont affaiblies pourraient mener un grand nombre d’américains en bonne santé à se passer d’assurance. Cela aggrave les risques, et par conséquent les premiums augmenteraient énormément et souvenez-vous que les subventions ne seraient plus adaptées pour compenser cette augmentation. Le résultat serait que davantage encore de gens se retireraient du programme. Les républicains prétendent que l’Obamacare s’effondre, ce qui est faux. Mais si le Trumpcare est mis en place, il s’écroulerait en une minute (en unité de temps Mar-a-Lago).
Comment les républicains à la Chambre sous l’impulsion de Paul Ryan, présenté par les média comme étant, on nous l’assure, un expert sérieux en politique ont-ils pu produire une telle monstruosité ? Deux raisons.

La première, c’est que la capacité du GOP à créer des mesures et une analyse politique ont atteint un niveau tellement bas qu’il est sans valeur aucune. Il existe de véritables experts conservateurs en politique, mais le parti ne les veut pas, peut-être parce que c’est leur compétence même qui les rend peu dignes de confiance sur le plan idéologique – une proposition illustrée par cette course à la mise en œuvre de ce projet avant que le Congressional Budget Office, qui est non partisan, ne puisse estimer son coût ou ses effets. En gros, les faits et une analyse sérieuse sont les ennemis de la droite moderne ; la politique est laissée aux mains de charlatans qui ne peuvent même pas réussir la moindre petite chose.

La deuxième, c’est que les républicains semblent avoir été vaincus par leurs instincts anti Robin des Bois. L’on ne peut pas créer quelque chose comme l’Obamacare et le faire fonctionner sans donner aux familles les plus pauvres un soutien suffisant pour qu’elles puissent s’offrir une assurance. Mais le GOP moderne veut toujours réconforter ceux qui sont à l’aise et faire souffrir ceux qui souffrent ; ainsi, le projet de loi finit par jeter à la poubelle les impôts sur les riches qui aident à financer les subventions, et cela renvoie les subventions vers ceux qui n’en ont pas besoin et hors de portée de ceux qui en ont besoin.
Au vu de ce programme de santé qui n’est qu’une très mauvaise blague, l’on pourrait se demander ce que sont devenues toutes ces proclamations selon lesqu

elles l’Obamacare était un système terrible et très mauvais que les républicains allaient remplacer immédiatement par quelque chose de beaucoup mieux – sans parler des promesses de Donald Trump de proposer "une assurance pour tout le monde" et "une excellente couverture santé".

Mais la réponse, bien entendu, c’est qu’ils ont menti depuis le début – et c’est encore le cas. Sur ce point, au moins, l’unité républicaine reste intacte de façon impressionnante.

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