CERVEAUParler deux langues est-il un atout ou un handicap pour les enfants?

Parler deux langues est-il un atout ou un handicap pour les enfants?

CERVEAUUn enfant français sur cinq naît dans un foyer bilingue. Zoom sur le fonctionnement de l'apprentissage, les étapes et les dernières recherches sur les bilingues...
Oihana Gabriel

Oihana Gabriel

Hallo ou Hola ? A l’occasion de la 19e édition de la Semaine du cerveau, qui débute ce lundi, 20 Minutes s’invite dans le cerveau des enfants bilingues. Parler deux langues, atout ou handicap ? Le point sur les clichés et dernières recherches avec Barbara Abdelilah-Bauer, linguiste et psychosociologue et Sharon Peperkamp, directrice du département d’études cognitives de l’École normale supérieure*.

Même rythme pour une ou deux langues

En France, un enfant sur cinq naissait en 2008 dans un foyer bilingue. Et son développement du langage n’aura pas de grosses différences avec un enfant monolingue. « Le jeune enfant acquiert une ou deux langues dans la même région du cerveau, mais il est plus actif en travaillant sur deux langues, souligne Barbara Abdelilah-Bauer, auteure de Le défi des enfants bilingues. Mais ce n’est pas une surcharge pour le cerveau. »

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Si chaque enfant va à son rythme, les étapes sont les mêmes pour ceux qui découvrent une ou deux langues. « Vers deux mois, ils font des vocalises, vers six mois du babillage, entre 11 et 13 mois ils disent leurs premiers mots pour apprendre un mot par semaine jusqu’à 24 mois, où ils atteignent un lexique d’une cinquantaine de mots, décrypte la linguiste. A la différence près que les 50 mots d’un bilingue sont répartis entre deux langues. » Ce qui peut donner l’illusion d’un retard dans une langue, mais « quand on étudie le vocabulaire des enfants bilingues et monolingues à trois ans, on trouve le même nombre de mots en moyenne ».

Et la linguiste d’insister : la condition essentielle est la même pour apprendre une ou plusieurs langues, c’est l’environnement affectif. « Les enfants ne sont pas des éponges ! Il ne suffit pas de les exposer à une langue. C’est beaucoup plus complexe que ça. Un enfant entre dans le langage parce qu’il tient à la personne et veut communiquer avec elle. En revanche, l’enfant peut accumuler plus de vocabulaire dans une langue que dans une autre s’il partage plus de moments avec sa mère francophone qu’avec son père anglophone. Mais dès qu’il en aura besoin, il apprendra à dire biberon en anglais ! »

En revanche, les petits ne font aucune hiérarchie dans la difficulté d’une langue. « Le bébé apprend sans effort, de façon intuitive alors qu’un adulte aura bien plus de difficultés », rappelle Sharon Peperkamp. Un enfant qui parle japonais et hongrois ne mettra donc pas plus de temps à parler qu’un autre franco-hispanophone.

Avec la même règle pour toutes les langues : plus on commence tôt, mieux c’est. A condition, bien sûr, qu’il y ait un suivi. « Plus l’enfant est jeune, plus vite il va apprendre une deuxième langue… et plus vite il peut l’oublier s’il n’a plus de contact avec elle », prévient Barbara Abdelilah-Bauer. Rien ne sert donc de prendre une nounou anglophone pendant un an… Car un enfant peut être totalement bilingue à quatre ans et ne plus se souvenir d’un seul mot quelques années plus tard.

Les bilingues ont-ils vraiment des facilités ?

« La recherche se penche sur l’apprentissage du langage seulement depuis quarante ans, et il y a encore peu d’études sur le cerveau des bilingues », assure Sharon Peperkamp, psycholinguiste à l’ENS. Même si elles se multiplient ces dernières années. « Le cerveau des bilingues fascine ! », reconnaît Barbara Abdelilah-Bauer.

Au-delà de l’atout évident de parler deux langues, certaines enquêtes louent les talents variés des bilingues. « Des expériences en Italie montrent que ces enfants, habitués à switcher d’une langue à l’autre, auraient une plus grande flexibilité pour s’adapter à une nouvelle information », précise Sharon Peperkamp..

Apprennent-ils une troisième langue avec plus de facilité ? Possible, à deux conditions, précise Barbara Abdelilah-Bauer : « si ces langues ont des similitudes, comme l’anglais et l’allemand et uniquement si l’enfant éprouve de la motivation, des émotions positives. »

Plus étonnant, des études de la psychologue Ellen Bialystok de l’Université de York au Canada assurent que les bilingues arrivent mieux à se concentrer… et que le bilinguisme retarderait même l’apparition de maladies neurodégénératives comme Alzheimer. Des conclusions à prendre avec précaution. « Non, le bilinguisme ne protège pas du cancer », ironise la psycholinguiste. « On s’emballe un peu, renchérit sa consœur. Des études neutres n’ont pas pu démontrer que les bilingues avaient plus de facilités que les monolingues. »

Aucun retard

Si le bilinguisme n’est pas la panacée, il n’a rien d’un handicap non plus. « Contrairement aux préjugés de certains, il n’y a aucun retard chez les bilingues, martèle Barbara Abdelilah-Bauer. Encore aujourd’hui, certains pensent qu’un enfant élevé avec le français et l’arabe aurait plus de difficultés à l’école.» Et la société ne classe pas les langues de la même façon. «Malheureusement, on voit souvent la capacité à parler anglais comme un atout, mais pas forcément d'autres langues, regrette la linguiste. Je reçois par exemple des couples franco-espagnols qui n'ont qu'une hâte: que leur enfant apprenne l'anglais.»

Un cours d'initiation à la langue anglaise dans une classe de CE2 à Hérouville Saint-Clair, le 1er mars 2005.
Un cours d'initiation à la langue anglaise dans une classe de CE2 à Hérouville Saint-Clair, le 1er mars 2005. - MYCHELE DANIAU / AFP

* Sharon Peperkamp animera une conférence (gratuite) lundi 13 mars à 19h30 sur « L’acquisition du langage chez le bébé » à l’Ecole Normale Supérieure, Salle Jaurès, 29 rue d’Ulm, à Paris. Et retransmise sur You Tube.

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