Les tensions sont au plus haut entre Ankara et La Haye après que des ministres turcs ont été empêchés de tenir des meetings électoraux aux Pays-Bas. Ils voulaient mener campagne en faveur du référendum constitutionnel turc du 16 avril, qui doit renforcer les pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan.

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DÉCRYPTAGE >> Quel est ce référendum qui met l'Europe en émoi?

Auparavant, un conflit - de moindre ampleur- avait éclaté avec l'Allemagne pour les mêmes raisons. Les explications du politologue Samim Akgönül, maître de conférence à l'université de Strasbourg.

Quel est l'intérêt a la Turquie à envoyer des ministres mener campagne en Europe ?

Samim Akgönül: Il s'agit en partie de convaincre les électeurs de la diaspora turque présente en Europe du Nord [un peu plus de 4 millions de personnes, principalement en Allemagne, en France et aux Pays-Bas], selon Ankara. L'AKP [le parti islamiste au pouvoir] fait comme si l'UE était une circonscription électorale, alors qu'il s'agit d'un référendum constitutionnel et non de l'élection d'un député pour les Turcs de l'étranger.

Mais c'est surtout l'électorat en Turquie même que vise Erdogan. Depuis le mouvement de contestation du parc Gezi, à l'été 2013, le président turc a compris que les crises lui profitent. Il en fait son fonds de commerce et fait résonner la fibre identitaire pour galvaniser ses partisans. En jouant la surenchère avec La Haye et Berlin, il mise sur la fibre anti-occidentale d'une partie de l'électorat.

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Le paradoxe est que, en vertu de l'Etat d'urgence imposé par le gouvernement depuis le coup d'Etat manqué de juillet 2016, la propagande électorale est interdite en dehors du territoire turc. Cette disposition visait à l'origine les partisans du HDP, le parti d'opposition qu'Erdogan cherche à écraser. L'AKP, qui se considère au dessus-des lois, ne respecte même pas ses propres règles.

Quel est le poids du vote de la diaspora?

Les électorats nationaliste-islamiste et kurde sont surreprésentés en Europe. L'AKP rassemble environ 50% des voix en Turquie, mais 65% en France, en Allemagne et aux Pays-Bas. Les électeurs de ces pays sont pour l'essentiel des descendants des immigrés des années 1960, issus de milieu rural et conservateur. C'est moins vrai au Royaume-Uni où les kémalistes (nationalistes laïcs) sont plus représentés. Les poids lourds de l'AKP n'ont d'ailleurs pas prévu de meeting outre-Manche.

Le vote kurde est aussi très fort en raison de l'importance de cette minorité: aux dernières élections, le parti pro-kurde HDP a obtenu 22% des voix en France contre 10% en Turquie.

C'est la raison pour laquelle la Turquie a longtemps refusé à sa diaspora le droit de vote. Les Turcs de l'étranger ne sont conviés aux urnes que depuis deux ans.

Quelles peuvent être les conséquences de cette montée des tensions?

Cette stratégie de crise ne peut que conforter le discours des populistes en Europe. A commencer par le candidat d'extrême droite néerlandais Geert Wilders, à l'occasion des législatives du 15 mars en Hollande. Cette politique ne rend pas service aux Turcs installés ici; elle les enferme dans leur identité turque. Les grands perdants sont les citoyens turcs d'Europe qui ne sont pas pro-Erdogan. Ils sont ostracisés par leurs compatriotes.

Difficile à ce stade de prévoir jusqu'où peut aller Erdogan. Il considère le compromis comme un signe de faiblesse et pourrait donc continuer à jeter de l'huile sur le feu. Il a reculé face à Vladimir Poutine, avec qui il avait déclenché une crise en 2015, seulement parce que celui-ci n'a pas cédé. Les deux anciens ennemis sont désormais alliés, comme en témoigne la visite d'Erdogan à Vladimir Poutine, vendredi. Face aux 28, Erdogan est d'autant moins enclin à la modération qu'il sait disposer d'un levier de poids, le chantage à la pression migratoire. Ankara menace régulièrement d'ouvrir les frontières pour laisser passer les migrants voulant se rendre en Europe.

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