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«La croisade anti-avortement de Trump va impacter des millions de femmes»

Françoise Girard, présidente de l'International Women's Health Coalition.

Françoise Girard est présidente de l'International Women's Health Coalition, une ONG basée à New York, œuvrant auprès de l'ONU comme à Washington. Cette organisation finance des programmes de santé sexuelle sur tous les continents, et milite pour les droits reproductifs. Elle est par exemple proche de celles qui ont organisé les manifestations de femmes en Pologne, cet automne, contre les velléités du gouvernement de restreindre complètement l'accès à l'avortement. De passage à Genève, dans le cadre du FIFDH, le Festival du film et forum international sur les droits humains, Françoise Girard explique en quoi les orientations de Donald Trump vont avoir des effets dévastateurs sur la santé des femmes dans le monde.

Trois jours après son investiture, Donald Trump signait un décret qui stoppe tout financement aux organisations soutenant l'accès à l'IVG. Quelle sera la portée d'un tel décret?

Oui, Donald Trump n'a pas tardé avant de remettre en place la dite «règle du bâillon», que les républicains ont déjà pratiquée par le passé. L'intention, c'est de stigmatiser les organisations qui, dans la palette des soins de santé offerts aux femmes dans le monde, défendent l'avortement sans risque. Le fond de l'affaire, c'est la contestation de l'autonomie des femmes, c'est le refus qu'elles contrôlent leur corps.

Concrètement, les structures offrant les meilleurs services de santé vont donc être privées des fonds américains. La manne ne va pas disparaître, mais elle va se diriger vers des organisations d'obédience religieuse, celles qui prônent l'abstinence sexuelle comme moyen contraceptif plutôt que le préservatif. C'est donc une modification en profondeur des approches de la santé des femmes qui risque de se mettre en place.

Sous George W. Bush, on a déjà pu mesurer les effets dévastateurs de la règle du bâillon. Des études ont montré qu'elle a freiné l'accès à la contraception moderne. Le paradoxe, c'est que cela a engendré davantage d'avortements dans le monde et, qui plus est, un boum des avortements à risques. On a donc un effet contraire à ce que cette politique prétend être.

La politique du bâillon est une constante républicaine, mais certaines organisations pensent que le nouveau décret aura une portée bien plus conséquente que sous l'ère Bush. Pourquoi?

Par le passé, la règle portait sur des fonds alloués dans le cadre de l'enveloppe du budget américain liée à la planification familiale, un montant de 600 millions de dollars. Aujourd'hui, les républicains envisagent de placer tous les fonds de santé sous la règle du bâillon, ce qui représente un montant de 9 milliards de dollars.

A ce stade, telle qu'annoncée, la nouvelle politique de l'administration Trump toucherait de plein fouet des organisations actives dans les pays en développement sur quantité de fronts: la prévention VIH, la nutrition, les soins aux nouveau-nés, la lutte contre le paludisme, etc. Il faut bien comprendre qu'on ne se situe pas dans un débat rhétorique, les effets seront très concrets. Il suffit par exemple qu'un groupe distribue de l'information sur l'IVG ou participe à des débats à ce sujet pour ne plus remplir les conditions de subventions. Il suffit aussi qu'une organisation touche des fonds d'un autre pays pour des programmes ayant trait à l'avortement pour qu'elle soit bannie de tout financement américain, même pour d'autres actions. Il s'agit donc d'une politique extrêmement arrogante, car elle cherche à conditionner tout le financement de la santé globale.

Comment lutter?

A ce stade, le décret a été signé, mais les règlements d'application doivent encore être publiés. Les organisations concernées, comme la nôtre, essaient donc de mobiliser le Congrès pour faire comprendre l'importance de l'enjeu. Le 8 mars, on a manifesté massivement devant la Maison-Blanche. On essaie aussi de mettre sur pied un projet de loi destiné à en finir avec les pouvoirs présidentiels permettant de réactiver la loi du bâillon.

Ce qui est réjouissant, c'est que nous avons le soutien en Europe de plusieurs gouvernements, les Pays-Bas, la Belgique, la Suède, le Danemark, qui sous l'initiative «She decides» («elle décide») récoltent des fonds pour contrer les effets du décret de Donald Trump. Cela ne compensera pas la manne américaine, mais cet engagement est un signal politique important.

Les Américaines elles-mêmes sont-elles inquiètes pour leurs droits?

Quand on voit les profils qui entourent Donald Trump, il y a en effet de quoi s'inquiéter. Le vice-président Mike Pence, lorsqu'il était gouverneur de l'Indiana et élu au Congrès, a été de toutes les batailles possibles pour altérer les droits des femmes, tout comme ceux des minorités sexuelles.

On voit déjà des effets se profiler. Il y a la volonté de révoquer l'Obamacare, la loi sur l'assurance-maladie de Barack Obama. Cela aura un impact direct sur l'accès à la contraception. La loi prévoyait en effet l'accès gratuit à des méthodes contraceptives pour les catégories de femmes défavorisées, soit 55 millions de personnes. Et dans un tel climat, de nombreux Etats se sentent pousser des ailes pour faire passer des lois régressives, visant à limiter l'accès à la pilule ou à l'avortement.