Asile

L’Europe a les moyens d’accueillir les réfugiés

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Atelier pour réfugiés chez Siemens à Berlin. Les réfugiés s'orientent spontanément vers les pays européens qui embauchent. PHOTO : Fabrizio Bensch - Reuters

Le nombre de demandes individuelles d’asile en Europe est passé de 200 000 à 1,3 million entre 2010 et 2015. En 2016, malgré un ralentissement en fin d’année, on devrait en comptabiliser environ 1 million. Cette hausse est due avant tout à l’afflux de réfugiés en provenance de Syrie, d’Afghanistan et d’Irak (voir encadré).

De tels flux migratoires n’avaient pas été observés depuis longtemps. Et leur cause diffère des mouvements habituels : les migrants de 2015-2017 sont pour le plus grand nombre chassés par la guerre, ce qui les distingue fondamentalement de ceux qui, plutôt qu’un refuge pour échapper à la mort ou à la répression, cherchent avant tout l’amélioration de leurs conditions matérielles. Pour autant, cette situation rare n’est pas sans précédents : la France avait accueilli 800 000 rapatriés d’Algérie en 1962 et plus de 120 000 boat people vietnamiens et cambodgiens en 1979.

Face à l’afflux imprévu de réfugiés, l’Europe a échoué dans sa tentative de coordination des politiques nationales

Les réfugiés ont en commun avec les migrants économiques de souhaiter s’installer là où il y a du travail. C’est ce qui explique, en dehors des différences dans les conditions d’accueil, qu’ils se soient plutôt orientés vers l’Allemagne, la Suède ou la Norvège. Ce sont actuellement les pays dans lesquels les opportunités d’être embauché sont les plus nombreuses. L’attitude plus ouverte des gouvernements de ces pays renvoie aussi, pour une part, au même facteur : la bonne situation du marché du travail, avec parfois des pénuries de main-d’oeuvre, facilite à l’évidence l’accueil et l’intégration d’un plus grand nombre de réfugiés.

Cacophonie européenne

Face à l’afflux imprévu de réfugiés, l’Europe a échoué dans sa tentative de coordination des politiques nationales. Les pays de première arrivée (Italie et Grèce), du fait de leur position géographique, ont été aidés tardivement et insuffisamment par les autres Etats membres. La proposition de la Commission de répartir les réfugiés selon des quotas nationaux s’est heurtée aux refus catégoriques de certains pays d’Europe centrale, dont la Hongrie. La route des Balkans menant de Grèce en Allemagne via la Hongrie est aujourd’hui fermée. Un accord a été trouvé avec la Turquie pour que celle-ci, moyennant finances, maintienne le plus possible de migrants possible sur son territoire. Mais cette situation pourra difficilement perdurer alors que la guerre se poursuit au Proche-Orient et que le flux de réfugiés est loin d’être tari.

Zoom Qui sont les réfugiés ?

La Syrie, l’Afghanistan et l’Irak ont représenté à eux seuls environ 30 % du total des demandes en 2014 et plus de 50 % en 2015 (660 000 premières demandes) et 2016 (plus de 500 000). En dehors de ces trois nationalités, les demandes d’asile sont concentrées sur quelques pays des Balkans (plus de 120 000 demandes de Kosovars et d’Albanais en 2015), le Pakistan (46 000 demandes en 2015), l’Erythrée (33 000), le Nigeria (30 000), l’Iran (25 000) et l’Ukraine (23 000). En 2015, les dix premières nationalités des nouveaux demandeurs d’asile ont représenté plus des trois quarts des demandes.

Le caractère politique des demandes d’asile est indéniable. Il existe des demandes motivées par des raisons purement économiques, mais elles sont très minoritaires. Les autorités des pays européens accordent le statut de réfugié, de bénéficiaire de la protection subsidiaire1 ou d’une autorisation de séjour pour une raison humanitaire à environ la moitié des demandeurs. Les demandeurs originaires des Balkans sont en particulier rarement acceptés. En revanche, ceux qui proviennent des pays en guerre (Syrie, Irak, Afghanistan) sont très majoritairement acceptés. La motivation politique de la demande d’asile est donc clairement prise en compte par les pouvoirs publics.

  • 1. La protection subsidiaire est délivrée aux demandeurs qui, sans pouvoir bénéficier de l’asile stricto sensu, courent un risque majeur s’ils étaient renvoyés dans leur pays d’origine.

Au coeur de la désunion européenne, il y a, entre autres choses, la question du coût de l’accueil des réfugiés. A court terme, il faut loger les arrivants, leur apporter un minimum de secours financier et souvent leur apprendre la langue de leur nouveau pays de résidence. Le Fonds monétaire international a estimé cette dépense budgétaire pour les pays de l’Union à environ 0,2 point de PIB pour l’année 2016. Compte tenu de la distribution des réfugiés et de la plus ou moins grande générosité de la prise en charge entre Etats membres, cet effort serait de 1 point de PIB en Suède, 0,6 au Danemark, 0,35 en Allemagne, 0,2 en Italie et... 0,06 en France. Seule une petite partie de ces dépenses est financée par des fonds communautaires : de l’ordre de 0,07 point de PIB de l’Union, soit 9,2 milliards d’euros.

Charge supplémentaire, mais aussi aubaine

Dans un contexte de rigueur budgétaire, un surcroît de dépenses pour accueillir les réfugiés peut sembler difficile à financer. Toutefois, il faut tenir compte du fait que cette charge supplémentaire s’accompagne d’une augmentation de la population active potentielle, ce qui constitue à terme une aubaine pour une économie vieillissante. Dès lors, il ne serait pas injustifié que le financement de cette dépense puisse recourir à l’endettement, dans la mesure où elle permet une augmentation de l’offre. Par ailleurs, la répartition des réfugiés au sein de l’Union correspond approximativement à la carte des besoins de main-d’oeuvre et il en résulte, on l’a vu, une assez grande disparité des coûts budgétaires par pays.

Face à cette réalité, une réponse pourrait être que la liberté d’installation et de circulation des réfugiés - principe plus satisfaisant du point de vue politique et éthique que la relocalisation encadrée par des quotas, proposée sans succès par la Commission - s’accompagne d’un financement entièrement communautaire de l’aide aux réfugiés. Au final, on trouverait là une très bonne justification pour la mise en place d’un financement par l’emprunt d’une partie du budget de l’Union, ce qu’interdisent aujourd’hui les traités. Le fait que l’Allemagne bénéficierait d’une part importante du financement en raison de sa position de pays d’accueil principal renforcerait la cohésion européenne en favorisant la consommation allemande et donc ses importations en provenance des autres Etats membres.

Premières demandes d’asile dans l’Union européenne (nombre mensuel)
Nombre de réfugiés syriens, par pays d’accueil, en juin 2016

A long terme, les arrivées d’un grand nombre de réfugiés sur le territoire de l’Union font craindre une hausse du chômage qui pèserait sur les autochtones les moins qualifiés ou sur les précédentes générations de migrants. On a vu que les réfugiés s’orientent spontanément vers les pays dans lesquels ce risque est limité du fait d’une situation démographique caractérisée par un vieillissement important. C’est en particulier le cas de l’Allemagne. En outre, les observations montrent que la combinaison de la hausse de la demande tirée par les dépenses nouvelles liées aux réfugiés et de l’augmentation de la production potentielle permise par celle de la population active rend possible une insertion sans tension des migrants dans l’économie de leur pays d’accueil, sans augmentation significative du chômage.

Le risque est plutôt celui d’une baisse des salaires des moins qualifiés, qui serait d’autant plus probable (et dommageable) que les pays européens sont déjà engagés dans une compétition par la baisse des coûts. L’existence d’un salaire minimum limite ce risque dans de nombreux pays, mais l’absence de coordination des politiques salariales ne l’écarte pas complètement. L’adoption d’un salaire minimum européen serait une garantie pour une meilleure insertion des réfugiés.

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Commentaires (1)
ARNAUD 14/03/2017
Rappel de deux différentes définitions du terme de réfugié avant l'éclatement de l'URSS : => personne privée de sa liberté individuelle = définition bloc ouest => personne privée des conditions de vie élémentaires = définition bloc est. sauf erreur de ma part.
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