Migrants. Antoine Laurent, marin-sauveteur

Guirec Flécher

Par Guirec Flécher

À 25 ans, le Lorientais Antoine Laurent a lâché son travail pour se lancer dans l'humanitaire. Au sein de SOS Méditerranée, lui et d'autres membres de l'association surveillent les côtes libyennes pour venir en aide à ceux qui tentent d'atteindre l'Europe.

Le Lorientais Antoine Laurent est embarqué, depuis début 2016, à bord du navire l'Aquarius qui vient en aide aux migrants.
Le Lorientais Antoine Laurent est embarqué, depuis début 2016, à bord du navire l'Aquarius qui vient en aide aux migrants. (Photo Gabriel Bouys/AFP)

À quelques kilomètres des côtes de la Libye, une embarcation de fortune prend le large. À son bord, des centaines d'hommes, de femmes et d'enfants s'entassent les uns contre les autres dans une atmosphère suffocante. Au milieu d'un océan meurtrier, le bateau peut couler à chaque instant et emporter, dans son naufrage, des dizaines de vie dans l'abîme bleu de la Méditerranée.

Cette scène, quotidienne, est devenue banale aux yeux du monde. Bien trop pour Antoine Laurent, qui ne supporte plus cette situation. Le jeune Lorientais, de 25 ans, est engagé, depuis avril 2016, dans l'association SOS Méditerranée, qui effectue des opérations de sauvetage, au large des côtes libyennes, pour recueillir ces personnes à la dérive. À bord du navire l'Aquarius, lui et d'autres bénévoles ont sauvé, en un an, plus de 13.000 personnes et effectué des centaines d'opérations en pleine mer. Qu'est-ce qui pousse un jeune homme à un tel engagement ? « Juste un altruisme naturel », répondra Antoine Laurent, qui aurait pu faire le choix d'une vie beaucoup plus rangée.

Boulimique de culture


Natif de Lorient, où sa mère réside toujours, Antoine s'intéresse rapidement à la mer grâce à son père, un certain Hervé Laurent (trente-neuf transats à son compte) qui lui donne le goût du large. Son bac en poche, il s'inscrit à l'École nationale supérieure maritime (ENSM) du Havre, pour devenir officier de la marine marchande.

À 21 ans, ce blond aux yeux bleus décroche son premier job. Embarqué sur un navire sismique, le bateau, sur lequel il travaille, cartographie les océans pour découvrir des champs pétroliers. « C'est un milieu où il y a beaucoup d'argent en jeu. J'avais une pression commerciale très forte ». Antoine gagne bien sa vie. Il profite de longs mois de vacances, entre deux missions, pour voyager et « prendre du recul sur son job ». Le déclic s'était fait quelques années auparavant, en 2008, à la suite de la crise financière. « J'ai commencé à m'intéresser à tout un tas de sujets, je voulais tout comprendre : finance, macroéconomie, droit, philosophie... Je me suis investi dans la culture ». Cette vie dure plusieurs années, avant de retourner, en 2014, sur les bancs de l'école pour passer un brevet de commandant.

Peu après, l'actualité l'interpelle de nouveau, quand, durant l'été 2015, la photo du petit Aylan, échoué sur une plage de Turquie, fait le tour du monde. Cette fois, c'est l'injustice de trop. « Je suis allé en Grèce rencontrer des bénévoles qui travaillaient dans les camps de réfugiés. Et je me suis dit qu'il fallait que je fasse quelque chose avec mes compétences ».

« Une autre dimension »


L'occasion se présente début 2016. Le jeune commandant entend parler d'une toute nouvelle association, SOS Méditerranée, qui vient en aide aux bateaux de réfugiés. Les qualités et les compétences d'Antoine tapent dans l'oeil des dirigeants.

Il abandonne son salaire confortable, donne sa démission et embarque à bord de l'Aquarius, le navire de l'association, en tant que sauveteur. « Dans le bateau, tous les gens sont extrêmement expérimentés. On travaille en étroite collaboration avec Médecins sans frontières, ils m'ont préparé aux sauvetages pendant une dizaine de jours, avant ma première intervention ». Et celle-ci ne tarde pas à arriver. « Voir 150 personnes entassées sur un bout de plastoc, c'est entrer dans une autre dimension. C'est un moment très choquant. La priorité est d'intervenir très vite et de ramener les gens à bord de l'Aquarius. Quand on prend la main d'une personne, je peux vous dire qu'on ressent toute sa détresse. On sent le moindre muscle qui se contracte pour s'agripper, on vous arrache littéralement le bras », témoigne l'humanitaire.

La mort à la mer


Pendant deux mois, Antoine et les membres de SOS Méditerranée surveillent les côtes libyennes, d'où partent la majorité des réfugiés pour tenter de rejoindre l'Italie. La plupart proviennent d'Afrique subsaharienne, avec chacun un vécu différent, où l'horreur n'est jamais très loin.

Sur les radeaux, des femmes sont enceintes, d'autres malades et certains n'ont tout simplement pas survécu à la traversée. « Ce sont des hommes qui ont été humiliés. La plupart des femmes ont été violées. Pour certains témoignages, je suis incapable d'écouter jusqu'au bout ». Mais les histoires sont toujours plus nombreuses et les sauvetages s'enchaînent. « Une journée, nous avons eu 6.500 personnes, le lendemain 4.000. Les passeurs attendent une fenêtre météo avant de lancer les navires ».

Le travail est épuisant, prenant, et Antoine ne souhaite aujourd'hui qu'une chose : « Être au chômage et que tout cela cesse ». Mais les chiffres ne sont pas au beau fixe. En 2016, 5.079 personnes ont perdu la vie en Méditerranée et 2017 est bien partie pour égaler ce triste record.

« Ce n'est pas un acte héroïque »


Antoine n'est pas remonté sur le navire depuis octobre dernier. Désormais, il cherche des outils pour améliorer les sauvetages et milite auprès du public et des instances politiques. « La moitié de mon taff consiste à sauver les gens, et de l'autre, de ne plus avoir à le faire », répond-il.

Newsletter Aujourd'hui en Bretagne
Chaque soir, les faits marquants du jour en Bretagne
Tous les soirs en semaine à 18h

Une autre question lui revient souvent lors de ses conférences : que peut faire le citoyen lambda ? « On peut se mobiliser de manières multiples, il y a beaucoup d'associations. La solidarité, ce n'est pas un acte héroïque, c'est un effort que je considère comme naturel », répond Antoine Laurent, avant de conclure. « Je suis bien conscient que certaines personnes ont peur de cet afflux. Pour moi, cela naît juste d'une incompréhension. Mais il faut prendre le temps de s'intéresser à l'Afrique. Notre passé est étroitement lié à ce continent et notre futur le sera tout autant ».

Revenir en arrière

Migrants. Antoine Laurent, marin-sauveteur

sur Facebooksur Twittersur LinkedIn
S'abonner
Application Le Télégramme Info Bretagne

Application Le Télégramme

Vous aimez la Bretagne ? Vous allez adorer l'application du Télégramme. Profitez d'une expérience de lecture personnalisée et d'un accès rapide à l'actualité de votre commune.

Application Le Télégramme Journal
Application Le Télégramme Journal