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Festival BD d'Angoulême, pourquoi tant de haine ?

La manifestation dédiée au neuvième art se retrouve au cœur d'une guerre de pouvoir qui oppose l'État, les collectivités locales, les éditeurs à l'organisation historique. Un conflit qui pourrait sérieusement la fragiliser. GEORGES GOBET/AFP

ENQUÊTE - La manifestation dédiée au neuvième art se retrouve au cœur d'une guerre de pouvoir qui oppose l'État, les collectivités locales, les éditeurs à l'organisation historique. Un conflit qui pourrait sérieusement la fragiliser.

Éditeurs, collectivités locales, auteurs... Le festival international de bande dessinée d'Angoulême peut-il résister encore longtemps aux pressions qu'il semble subir de toutes parts? C'est en effet un rude bras de fer qui s'engage aujourd'hui pour tous les acteurs du plus grand rendez-vous du neuvième art.

D'un côté, l'association pour le développement de la bande dessinée à Angoulême (ADBDA), nouvelle structure créée le 21 février sous l'égide du ministère de la Culture pour assurer une nouvelle gouvernance de la manifestation. De l'autre, le FIBD, l'association historique propriétaire du festival et Franck Bondoux, délégué général qui organise l'événement depuis 2007, qui craignent une perte d'indépendance et refusent d'adhérer à la nouvelle structure mise en place par Audrey Azoulay.

Pis, Delphine Groux, la présidente du FIBD et Franck Bondoux crient à la spoliation et au chantage à la subvention. Reproches dirigés contre la nouvelle structure présidée par Bruno Racine, magistrat de la Cour des comptes et ancien patron de la BNF. Xavier Bonnefont, maire d'Angoulême et Guy Delcourt, ont été nommés respectivement trésorier et secrétaire de la nouvelle association.

«Les éditeurs n'ont pas à créer le festival»

La vocation de la nouvelle gouvernance? «Assurer une meilleure coordination et une meilleure implication des partenaires dans les orientations importantes du festival et dans l'utilisation des moyens financiers qui lui sont alloués». Belle idée, mais à l'évidence compromise sans l'adhésion de l'association historique détentrice de la marque, alarmée par ce nouveau dispositif.

À Angoulême, c'est une certitude, les éditeurs, les collectivités locales, l'organisation du festival ou les auteurs doivent pouvoir enfin se retrouver autour d'une table pour discuter en bonne intelligence. «Mais dans une relation contractuelle, en tant qu'exposant. Les éditeurs n'ont pas à créer le festival», soutient Franck Bondoux.

Or, la nouvelle structure estime que la profession a son mot à dire. Elle lui donne, via le syndicat national de l'édition dont la branche BD est présidée par Guy Delcourt, secrétaire de l'ADBDA, la possibilité d'être partie prenante dans la gouvernance du festival.

«Les partenaires publics et les organisations professionnelles entendent dorénavant définir ensemble les grands objectifs y compris les moyens financiers qui sont alloués au festival. Ce qui permettra d'assurer son indépendance et sa pérennité», soutient-on dans l'entourage du ministère de la Culture.

Recours à la justice

Développer le manga et le comics, renforcer la présence japonaise, intensifier l'ouverture vers l'international et le marché des droits, inviter davantage d'auteurs étrangers ou participer aux réflexions sur le choix des jurys.... sont autant de revendications auxquelles Franck Bondoux est confronté depuis des années. Si la profession a voix au chapitre dans la décision des axes stratégiques du festival, son organisateur s'interroge alors sur sa marge de manœuvre.

«Sur quels fondements peut-on prétendre de réformer la gouvernance du festival qui s'appuie aujourd'hui sur une entité qui a créé et gère le festival depuis 44 ans, le FIBD et son organisateur? Seuls l'un et l'autre peuvent prétendre à la gouvernance du festival. L'État veut passer en force, il y a tentative de spoliation et seule la justice peut trancher», déclare ainsi l'organisateur au Figaro.

Pour Bruno Racine, sa mission est très claire. «Mon but est de dissiper les craintes mais aussi de mettre en œuvre la démarche que souhaitent les collectivités, d'élaborer un cadre clair entre elles, le FIBD et l'organisateur. Nous n'avons pas vocation à devenir un simple club de réflexion. Il y a aujourd'hui une grande attention au bon emploi des fonds publics et je me situe dans cette qui ne devrait pas être perçue comme une menace», explique-t-il.

«Les inquiétudes de M. Bondoux et de l'association historique paraissent excessives. Nous ne voulons absolument pas toucher à l'indépendance artistique du festival. S'agissant des axes stratégiques, les pouvoirs publics contribuent à hauteur de 48%, ce qui n'est pas rien», justifie-t-on au ministère.

Franck Bondoux, l'homme à abattre?

Les rapports entre les collectivités publiques et Franck Bondoux, à qui l'on reproche une certaine opacité dans la gestion financière de la manifestation, ne sont pas vraiment cordiaux, ni fondés sur la confiance. Pour preuve, Xavier Bonnefont, le maire d'Angoulême, annonçait dans La Charente Libre, son intention de lancer un audit sur la gestion du festival, pour «soit tordre le cou soit avoir des preuves» sur de prétendus «montages juridiques ou financiers douteux» de la Société 9e Art+ (société de Frank Bondoux), organisatrice du festival, rapportait alors le quotidien régional.

Franck Bondoux serait-il l'homme à abattre? Décrié à la fois par la municipalité, les éditeurs ou les auteurs, il a malgré tout permis au festival de survivre et de rayonner dans le monde entier contre vents et marées. Mais il cristallise aujourd'hui trop de ressentiments à son endroit. Sans doute aurait-il gagné dans cette bataille qui n'en finit pas à montrer davantage de souplesse.

Du côté des auteurs, d'anciens Grand prix, n'ont à l'évidence pas pardonné à Franck Bondoux leur éviction dans le mode de scrutin des futurs présidents. Ils se sont associés à des professionnels de l'événementiel et des spécialistes de la bande dessinée pour créer, en juin 2016, le groupe «Angoulême, la Renaissance», préconisant une nouvelle gouvernance du festival et saluant de fait la création de l'ADBDA.

«Aujourd'hui La BD est en péril. Depuis plusieurs années, l'opérateur de la manifestation s'enferre dans une dérive autocratique, accumulant les fautes de communication et de programmation, jusqu'à conduire les pouvoirs locaux et nationaux à se réunir autour d'un médiateur nommé par le Ministère de la culture pour décider d'une nouvelle gouvernance de la manifestation», ont ainsi indiqué les membres du groupe «Angoulême, la Renaissance».

Les défenseurs de Bondoux se comptent sur le bout des doigts dans le neuvième art. Jean-Christophe Menu, co fondateur de la maison d'édition indépendante L'Association, en fait partie. Pour lui, l'édition mainstream a tout à gagner à déboulonner Bondoux. «Une fois de plus tout remis en question par une coalition gouvernement - politiques locaux - gros éditeurs, qui cherchent à prendre la mainmise sur la direction artistique, écrit-il sur sa page Facebook, le 1er mars. Sous couvert d'une nouvelle association du ministère de la Culture, c'est la BD marketing qui cherche à re-rentrer par la porte de derrière. Voilà des années que certains éditeurs mainstream prédateurs [...] cherchent à détruire la politique de direction artistique exigeante menée par le festival depuis nombre d'années, au profit de la foire à la dédicace et à la saucisse de leurs rêves de jackpot. Ne laissons pas faire cela et faisons savoir haut et fort au ministère que nous tenons à un Angoulême tel qu'il est aujourd'hui, et à sa pérennisation, sans Hommes en gris, sans prédateurs financiers, sans Blagues à Toto.»

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