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Présidentielle : le casse-tête du temps d’antenne équitable

Pour la présidentielle, le CSA a mis en place une nouvelle règle dite « d’équité du temps d’antenne ». Un cauchemar pour les radios et télévisions, obligés de comptabiliser l’ensemble des sujets consacrés à chaque candidat.

Par Nicolas Madelaine

Publié le 15 mars 2017 à 15:58

Un gendarme n’est pas là pour se faire aimer. Mais, avec l’arsenal qu’il a déployé pour que la couverture de l’élection présidentielle par les radios et les télévisions soit juste, on pourrait croire que le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a carrément cédé au plaisir aristocratique _ ou bureaucratique _ de déplaire. « Monstruosité », « usine à gaz », « chronodémocratie anti-démocratique », « ingérence éditoriale »...

Un petit tour des rédactions concernées quelques semaines après le début de l’application des règles donne l’étendue des frustrations. Même si la quasi-totalité d’entre elles jugent un cadre nécessaire. A chaque cycle électoral, le CSA et le législateur tentent de tirer les leçons du précédent. En 2012, les télés et les radios avaient jugé ingérable l’égalité de temps de parole des candidats cinq semaines avant l’élection présidentielle.

Et parallèlement, certains avaient estimé que l’exposition médiatique de certains partis, même pour de mauvaises raisons _ les tribulations du Front national, par exemple_ leur était avantageuse. Sylvie Pierre-Brossolette, membre du collège du CSA, souligne que les règles ont été modifiées « en respectant le désir des chaînes elles-mêmes de réduire la période d’égalité stricte au profit de celle de l’équité, et le cahier des charges fixé par le Parlement. »

« On voulait même nous faire comptabiliser les brèves»

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La période d’égalité ne démarrera que deux semaines avant le premier tour, et la période d’équité, introduite cette année, s’est ouverte le 1er février. Le problème est que ce temps d’antenne est une notion valise . Il comprend « le temps de parole d’un candidat, les interventions de soutien à sa candidature », mais aussi « l’ensemble des séquences qui lui sont consacrées », dit le CSA.

Que ce soit des éditoriaux, des revues de presse, des débats... du moins lorsque ces séquences « ne lui sont pas explicitement défavorables ». « On voulait même nous faire comptabiliser les brèves, dit le patron de l'info d’une radio. Tout le monde a fait barrage. » Sans compter que déterminer les soutiens des candidats est aussi un casse-tête.

Que faire de ceux de François Fillon qui sont partis puis revenus ? Faire ces calculs nécessite d’abord toute une infrastructure. Radio France a recours à un sous-traitant employant une dizaine de personnes. TF1, avec LCI, aurait cinq personnes chargées des contrôles. Certaines radios notent que le CSA est plus souple depuis quelques jours, mais l’une d’entre elles a été reprise « pour 13 secondes d’applaudissements ».

Le cas Fillon

Mais le vrai sujet est l’incohérence journalistique induite par ce contrôle. Certaines chaînes disent qu’on peut faire d’une contrainte une opportunité, « en faisant des reportages, des angles etc. ». Mais beaucoup estiment devoir rallonger ou raccourcir des sujets ou ne pas inviter les personnes qui intéresseraient vraiment le public. Certaines chaînes s’interdisent aussi de demander aux citoyens pour qui ils votent.

Le cas Fillon pose aussi question , même si le CSA s’est dit « conscient des circonstances particulières » de son actualité. En raison de son feuilleton judiciaire, il a bénéficié d’une exposition médiatique plus importante. Ce sera au prix de la défense de son programme, car il faudra compenser.

Ces récriminations ne vont pas s’arranger après la publication, la semaine prochaine, de la liste définitive des candidats, qui déclenche la période dite « d’équité renforcée ». L’équité devra alors être respectée par tranche horaire, ce qui rend les calculs encore plus complexes.

« Cela nous dissuade d’aller sur le terrain »

« On va même s’arracher les cheveux pendant les législatives, annonce le patron de l’info d’une antenne. On ne peut pas faire un sujet sur un candidat sans interroger les autres, ce qui est impossible sur des sujets d’une minute ou deux ». En tout cas, dit un autre, « cela nous dissuade d’aller sur le terrain à la rencontre des gens : dommage, au moment où on reproche aux journalistes, après l’élection de Trump, d’être déconnectés des réalités. »

Depuis quand est-on obligé de perdre son esprit critique quand on soutient quelqu’un ?

Cet épluchage minutieux des temps d’antenne pose enfin deux questions de fond. Peut-on mettre à égalité la parole de la rédaction et celle d’un candidat, ce qu’on fait dans ce calcul du temps d’antenne ? Mais, aussi, est-ce le rôle du CSA d’employer une quinzaine de personne dans sa direction des programmes pour interpréter qui soutient qui, ou encore ce qui est « explicitement défavorable » ?

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Les télés et les radios n’en sont-ils pas capables elles-mêmes ? Daniel Cohn-Bendit, partisan déclaré d’Emmanuel Macron et donc bientôt retiré de l’antenne d’Europe 1, va plus loin : « Depuis quand est-on obligé de perdre son esprit critique quand on soutient quelqu’un ? ».

Une présidentielle portée par des rebondissements dignes de séries télé

Pendant ce temps, les journaux, les sites Internet et les réseaux sociaux, de plus en plus centraux dans la vie démocratique, ne sont soumis à aucune de ces contraintes. Familière de ces critiques, Sylvie Pierre-Brossolette répond que ces règles ont été validées par le Conseil constitutionnel. « Comme toutes les libertés en France, celle d’informer est encadrée pour que cela ne soit pas la logique du renard dans le poulailler qui triomphe, comme par exemple des candidats qui passent au 20 heures et d’autres la nuit », dit-elle en ajoutant que, contrairement à ce qu’on dit sur l’intransigeance supposée du CSA, « aucune sanction lourde n’a été appliquée dans les élections récentes ».

Le CSA est fondé à dire que ses règles n’empêchent pas les audiences de la politique d’atteindre des sommets à la télé ou à la radio - il faut dire que cette présidentielle est portée par les rebondissements dignes de séries télé. Pour les chaînes et les radios généralistes, le vrai test viendra à la prochaine campagne ennuyeuse  : comme cela s’était produit en 2012, certains médias pourraient jeter l’éponge et diffuser des jeux ou de la télé-réalité plutôt que des sujets politiques...

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