Thierry Roger (Carrefour) "Nous réfléchissons au lancement d'un chatbot de recrutement pour 2018"

Pour recruter les profils les plus compliqués, Carrefour s'est inspiré de la relation-client mais aussi des start-up. Explications avec son directeur du recrutement.

JDN. Combien de recrutements effectue Carrefour chaque année ?

Thierry Roger est directeur de l'Espace Emploi chez Carrefour. © Carrefour

Thierry RogerSur l'année 2016, nous avons recruté 40 000 collaborateurs dont 11 000 en CDI. Le reste se divise entre les CDD et les contrats d'apprentissage. Ces chiffres font de Carrefour le premier employeur privé de France. Nous avons une très forte saisonnalité puisque chaque été nous recrutons massivement sur les côtes et d'une manière générale dans les zones touristiques. Point important, 60% des personnes qui nous rejoignent ont moins de 26 ans.

Il y a près d'un an, vous avez lancé un processus de digitalisation de vos process RH pour attirer la génération Z. Vous vous êtes notamment inspiré de la relation client avec un système de chat. Quel est le bilan ?

Il est extrêmement positif avec une hausse de 40% des visites en un an et 6 minutes en plus passées sur notre site de recrutement. Le nombre de candidatures a baissé car les demandeurs d'emploi sont accompagnés dès l'envoi du CV. Ils ne pratiquent donc plus l'envoi massif de candidatures. Lorsqu'ils s'adressent à nous, ils connaissent les attentes pour le poste à pourvoir. Nous avons donc gagné en matière de qualité des profils.

"27% des CV sont envoyés via un smartphone"

Le système de chat a fonctionné au-delà de nos espérances. A l'origine 10 personnes étaient en interaction avec les internautes. Nous sommes passés à 20. Le succès est tel que nous réfléchissons au lancement d'un chatbot pour 2018. Enfin, notre site est conçu de manière responsive design. Aujourd'hui 27% des CV envoyés le sont via un smartphone.

En quoi la génération Z se distingue des précédentes ? Avez-vous fait évoluer certaines pratiques pour vous adapter à elles ?

Les nouveaux entrants sur le marché du travail sont davantage en quête de sens, d'autonomie et ils sont familiers des réseaux sociaux. La frontière vie professionnelle vie privée devient plus floue avec le digital.

C'est pourquoi nous avons bouleversé notre manière de recruter. Mais en parallèle, nous souhaitons fidéliser. Carrefour a donc lancé en 2016 un plan de transformation managériale. Cela passe par l'amélioration de la QVT (qualité de vie au travail, ndlr), un management davantage en mode projet, la promotion du télétravail

Carrefour a développé des méthodes particulières pour attirer des saisonniers ou des profils peu qualifiés. Quelles sont les initiatives et leurs résultats ?

Les travailleurs en contrat saisonnier et les profils peu qualifiés sont une catégorie particulière. Ils sont moins mobiles que les Bac+5 notamment, car ils ont plus de difficultés en termes de transport et de logement. De plus, ils peuvent éprouver des difficultés à naviguer sur un site, à s'orienter… Or, nous avons des postes à proposer à ce public. Un gros travail en matière de Ux experience pour faciliter les interactions et l'expérience candidat a été mis en place.

"Les candidats peuvent discuter par chat avec un recruteur qui connaît leur bassin d'emploi"

Nous avons fait en sorte que le numérique soit à leur service, notamment via un système de CV géolocalisé. Nous sommes en mesure de proposer des emplois ou un parcours de formation à une personne vivant dans une ville donnée et possédant un scooter mais pas de permis B. Grâce à un chat, ils peuvent discuter avec un recruteur qui connaît leur bassin d'emploi. Celui-ci peut devenir un chaperon qui l'aide dans ses démarches et son orientation. Ainsi, si un candidat souhaite travailler comme caissier mais que nous recherchons un CDI dans les métiers de la bouche, nous le lui faisons savoir.

Au delà des emplois saisonniers et peu qualifiés, vous recrutez également des candidats sur des métiers du digital en tension. Pour cela, vous avez développé de nouvelles stratégies dans votre espace emploi. Lesquelles ?

Les profils spécialisés dans le numérique sont très particuliers. Ils sont digitalisés dans leur mode de vie et dans leur rapport au travail. Ils considèrent globalement que les CV, les lettres de motivation, les jobboards sont dépassés. De toute manière, ce sont les recruteurs qui viennent à eux. La grande difficulté est donc de les sourcer. Pour cela nous avons innové. Depuis un an, au sein de notre Espace Emploi, nous avons trois personnes qui se dédient entièrement à cette cible. Elles sont accompagnées au quotidien par Link Humans, un cabinet spécialisé dans le sourcing.

"Carrefour a recruté six data scientists en un mois, un petit exploit sur le marché du travail"

Ils agissent de manière autonome sur deux fronts : le sourcing sur les réseaux sociaux et les blogs mais aussi le contact physique. Cette "task force" organise des meet-up dans des écoles comme l'école 42 ou dans des incubateurs de start-up. L'idée est de montrer notre savoir-faire technique. Dans les meet-up nous n'envoyons pas des recruteurs classiques mais nos spécialistes du digital qui développent leur propre storytelling en mentionnant la taille de nos bases de données, en utilisant un langage technique. En somme, nous faisons en sorte que des geeks s'adressent aux geeks…

Nos professionnels du recrutement tech passent aussi beaucoup de temps dans la sillicon sentier, dans les bars où se réunissent les start-uppers. Ils commencent donc à être connus dans le milieu de la tech. Cette méthode originale et agile est un vrai succès. Exemple concret, nous avons réussi à recruter six data scientists en un mois. Je peux vous assurer que c'est un petit exploit sur le marché du travail…

A combien évaluez-vous la part des recrutements de Carrefour entraînée par la digitalisation du groupe ? Comment cette part croît-elle d'année en année ?

Les profils digitaux sont incontournables pour notre croissance. Pourtant en termes de volume,  ils sont une infime minorité au sein du groupe. Sur 11 000 CDI recrutés en 2016, 600 sont des cadres. Parmi eux, 100 possèdent des profils digitaux. C'est à peine 1%. Il s'agit de développeurs, de spécialistes du CRM, de webmasters ou encore de spécialistes du e-commerce et du marketing digital.

"Trois personnes se consacrent entièrement au sourcing des profils tech"

Même s'il est difficile de quantifier, cette part va augmenter dans les années à venir pour deux raisons. D'abord, nous avons vocation à être de plus en plus présent dans le e-commerce. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons acquis Rue du Commerce ou encore Croquetteland. Ensuite, tout ce qui touchait à l'IT était jusqu'à présent réalisé par des prestataires. Or, nous sommes en train d'internaliser ces fonctions.

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