Dieselgate à Renault : la répression des fraudes met en cause Carlos Ghosn

Dieselgate à Renault : la répression des fraudes met en cause Carlos Ghosn
Carlos Ghosn est directement visé par la DGCCRF. (BRENDAN SMIALOWSKI/AFP)

Renault est suspecté d'avoir trompé ses acheteurs de modèles diesel, volontairement, et toute la chaîne de direction serait impliquée : le rapport de la DGCCRF qui commence à fuiter est explosif.

Par Claude Soula
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Renault et son PDG Carlos Ghosn sont-ils déjà dans la même tourmente judiciaire que leur concurrent Volkswagen ? Devront-ils payer aussi des milliards de dédommagements aux acheteurs de leurs modèles polluants et la société devra-t-elle changer de PDG ? Le constructeur automobile est en tout cas soupçonné d'avoir vendu des moteurs diesels frauduleux volontairement et trompé les consommateurs depuis plus de 25 ans.

Le rapport secret de la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes), rendu il y a un an et demi, et qui a abouti à l'ouverture d'une enquête judiciaire en janvier 2016, menée désormais par trois juges - ce qui est exceptionnel - commence à fuiter, et ce qu'il contient s'avère explosif.

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C'est "Libération" qui a lâché les premières salves ce mercredi 15 mars, en publiant les premiers extraits du rapport :

"Ces résultats permettent de soupçonner l’installation d’un dispositif frauduleux qui modifie spécifiquement le fonctionnement du moteur pour en réduire les émissions de NOx dans des contions spécifiques du test d’homologation afin que les émissions respectent les limites réglementaires", y lit-on.

Pire :

"Renault SAS a trompé les consommateurs sur les contrôles effectués et notamment, le contrôle réglementaire de l’homologation sur les émissions de polluants."

"L'ensemble de la chaîne de direction" impliqué

En fin de journée, l'AFP donnait d'autres détails du rapport, encore plus compromettants : "des stratégies frauduleuses" ont été mises en place depuis plus de 25 ans au sein du groupe Renault "afin de fausser les tests d'homologation de certains moteurs diesel et essence". Le gendarme de Bercy suspecte le constructeur automobile d'avoir mis en place un logiciel "ayant pour objectif de fausser les résultats de tests antipollution" afin de respecter les normes réglementaires.

Selon l'AFP, la DGCCRF, qui se base sur le témoignage d'un ex-salarié, estime que certaines pratiques remontent à 1990 et qu'elles ne concernent pas que le diesel : dès cette époque, l'électronique des Clio à essence de première génération s'adaptait d'elle même pour mieux passer le test.

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"L'ensemble de la chaîne de direction" du groupe Renault, jusqu'à son PDG Carlos Ghosn, est impliquée dans la fraude présumée aux émissions polluantes des moteurs diesel, ajoute le rapport. De plus, "aucune délégation de pouvoir n'a été établie par M. Ghosn concernant l'approbation des stratégies de contrôle utilisées pour le fonctionnement des moteurs", relève notamment le gendarme de Bercy, qui retient "la responsabilité" du PDG dans les faits de tromperie présumée visant le constructeur automobile.

La direction de Renault, qui jouait les autruches depuis un an face à ce dossier gravissime, est donc aujourd'hui placée sur le devant de la scène. Et le rôle de Carlos Ghosn directement mis en cause par le ministère de l'Economie, ainsi que celui de ses prédécesseurs, alors que l'Etat est aussi par ailleurs principal actionnaire de Renault et Nissan ! Le ministre de l'Industrie, Christophe Sirugue, a refusé de s'exprimer plus clairement : il laisse la justice continuer à explorer le dossier.

Des tests trop laxistes en laboratoire

La question que devront trancher les juges est celle de l’existence d’un "dispositif frauduleux", créé volontairement par les ingénieurs de Renault pour passer les tests. Et cela, Renault le dément catégoriquement depuis 18 mois.

Pour comprendre le débat, expliquons d’abord comment les voitures sont homologuées en Europe : les moteurs diesel doivent respecter un plafond d’émission de gaz Nox, composant extrêmement dangereux pour notre santé. Comment mesurer ces émissions, alors que chaque conducteur a une utilisation différente de sa voiture, dans des conditions différentes ? Les instituts ont conçu un test standard, identique pour toutes les voitures, dans toute l’Europe.

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Le test en question se passe dans un laboratoire : l’auto roule 20 minutes sur des rouleaux, et ses rejets sont analysés ensuite. Pendant ces 20 minutes, elle suit un protocole de conduite, toujours identique : accélération, décélération... L’épreuve n’est pas franchement difficile à respecter et d’ailleurs, tout le monde la réussit. Volkswagen n’avait même pas besoin de ses logiciels frauduleux pour respecter le protocole en question : c’est uniquement pour les contrôles américains, plus stricts, que ses voitures devaient se mettre en mode faussé. En Europe, les voitures qui passent les tests ne sont d’ailleurs même pas de vraies voitures commercialisées : elles sont préparées spécialement pour l’épreuve, allégées de tout ce qui est possible, avec des pneus gonflés de la bonne façon. On les appelle en jargon les "golden cars", les voitures en or. 

Un trucage délibéré ?

La question dans le cas Renault est donc de comprendre si les "Captur" ou "Clio" ont été "aidées" en prime pour passer le test. Et si Carlos Ghosn a couvert l'opération. Depuis la découverte de leurs rejets réels supérieurs à toutes les normes, grâce à la commission Royal qui avait testé les véhicules roulant en France sur un vrai circuit, Renault jure que rien n’est frauduleux sous ses capots. La réglementation européenne permet en effet aux constructeurs de "désactiver" le système de dépollution si cela nuit à l’efficacité du moteur.

Or, dans le cas Renault, les moteurs diesel ne dépolluent que lorsque la température extérieure est d’environ 20°C... exactement comme dans les labos d’homologation. Au-dessus de 30°C, en dessous de 17°C, ils sont désactivés et émettent beaucoup trop de gaz dangereux. Dans le cas Fiat, lui aussi mauvais élève, le "truc" est encore plus sommaire : le moteur ne dépollue que 22 minutes... soit deux minutes de plus que la durée du test !

Pour les juges, la question sera donc passionnante à trancher : est-ce que Renault avait le droit de faire un moteur qui ne marche que lorsqu’il fait 20°C, ou est-ce que l’idée même d’un moteur pareil constitue une fraude ? La DGCCRF a déjà tranché et elle estime même que cela fait 25 ans que Renault est coutumier du fait. La justice va encore enquêter avant de donner sa version, qui aura de lourdes conséquences pour l’industriel selon sa conclusion.

Pour le moment, le PDG Carlos Ghosn a fait son choix : il se refuse à admettre la moindre culpabilité  de sa firme. Et il se justifie en disant qu’il n’a pas eu accès au dossier d’instruction, et qu’il ne sait donc pas ce qu’on lui reproche. Qui aura raison entre ses services juridiques, qui vont s’appuyer sur les très étranges règlements européens pour se disculper, ou ceux qui se demandent si cette lecture de la loi constitue une faute ? Le spectre d’un scandale Volkswagen en France plane désormais sur Renault. Et s'il se produit, il entraînera la chute de toute la direction de l'entreprise. 

Claude Soula

Claude Soula
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