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L’intelligence artificielle s’invite dans nos assiettes

Décomposition du goût, associations de saveurs, recommandations personnalisées… chercheurs et entreprises utilisent les technologies d’IA pour réinventer notre alimentation.

Par  (envoyée spéciale à Austin, Texas (Etats-Unis))

Publié le 15 mars 2017 à 12h15, modifié le 15 mars 2017 à 12h15

Temps de Lecture 4 min.

Le « réseau de saveurs » développé par Yoshiki Ishikawa.

« Avez-vous déjà pensé à combiner de la bière et du lait ? J’ai essayé hier soir ! En apparence, ça ressemble toujours à du lait, mais étrangement, ça a goût de café. » Si Yoshiki Ishikawa, chercheur en santé publique à l’université de Tokyo, s’essaie à de telles expériences, c’est que le programme qu’il a développé le lui a suggéré. Le chercheur a en effet conçu un « réseau de saveurs » pour tenter de repérer les ingrédients les plus à même de se marier entre eux. « Le café partage des saveurs avec le bœuf, si vous les cuisinez ensemble, ça peut être bon, selon le graphique. J’ai goûté cette combinaison dans un restaurant français, et c’était fantastique », explique le chercheur.

Yoshiki Ishikawa n’est pas le seul à décomposer les données liées à la nourriture pour tenter d’influencer le contenu de nos assiettes. Au festival South by Southwest Interactive, qui s’est conclu mardi 14 mars à Austin (Texas), plusieurs chercheurs et entrepreneurs se sont réunis pour expliquer comment ils exploitaient les données et l’intelligence artificielle (IA) pour modifier la façon dont nous mangeons, et en apprendre plus sur nos habitudes.

Caviar au ketchup

L’entreprise du Belge Bernard Lahousse, Foodpairing, a ainsi analysé 2 000 ingrédients, dont il a isolé 8 000 molécules d’arômes. Grâce aux techniques d’apprentissage des machines, son programme a appris lesquelles se mariaient bien entre elles pour plaire au goût humain, et est désormais capable de proposer des combinaisons de saveurs originales. « On a analysé des ingrédients venant du monde entier. On est par exemple capables de lier le Sancerre à un aliment coréen dont vous n’avez jamais entendu parler », explique M. Lahousse. Un outil qui, pour lui, n’a pas vocation à remplacer les chefs, mais plutôt à leur donner de nouvelles idées :

« Quand un chef voyage et se demande ce qu’il va bien pouvoir faire des nouveaux légumes qu’il a rapportés, on peut donner [au programme] les combinaisons possibles. Ça leur permet d’être plus créatifs, plus rapidement. »

Selon lui, les chefs n’osent pas toujours tester certaines combinaisons. « Mais avec cet algorithme, ils deviennent de plus en plus fous. L’un m’a même confié qu’il adorait le caviar avec du ketchup. » Cette technologie permet aussi de trouver des ingrédients de remplacement, ou de créer de nouveaux ingrédients en en mélangeant d’autres. « Si vous n’avez pas d’orange, vous pouvez combiner de quoi obtenir la saveur d’une orange », assure M. Lahousse. Ce service peut aussi participer à rendre plus acceptables certains ingrédients : « On aide de jeunes entreprises, qui travaillent par exemple avec des insectes, en leur proposant des combinaisons pour que cela ressemble à des plats que l’on connaît déjà. »

« Propose-moi une recette qui comble mes carences »

Le site Internet américain de recettes Yummly, de son côté, utilise d’autres types de données. Il a pour ambition de faire des propositions personnalisées en fonction des goûts et des habitudes de ses utilisateurs, mais aussi du contexte : si l’internaute consulte le site un mardi soir de mars à Austin, il n’aura pas les mêmes propositions qu’un samedi d’été à 8 heures à Paris. « Nous voulons faire une plate-forme qui saurait ce qu’on a envie de manger, et qui nous permettrait de découvrir d’autres plats », explique Gregory Druck, responsable de la recherche chez Yummly.

Pour y parvenir, deux millions de recettes ont été structurées en base de données, et les milliards d’interactions que les internautes ont eues avec ces recettes ont été analysées par des technologies d’intelligence artificielle, afin de générer des recommandations pertinentes.

Le système peut aussi, à partir des propriétés de la recette, ajouter des informations qui n’y figurent pas à l’origine : d’où est-elle originaire ? Est-elle saine ? Rapide à cuisiner ? Dangereuse en cas d’allergie ?

M. Druck veut croire que son système peut aussi contribuer à améliorer la santé des internautes. « Il existe des applications pour suivre votre alimentation. Avec ces données, il est possible de créer un système auquel demander “propose-moi une recette qui comble mes carences”. »

L’analyse des données de Yummly permet aussi d’en savoir plus sur les habitudes alimentaires de ses nombreux utilisateurs :

« On a remarqué qu’ils cherchaient plutôt des recettes saines en début de semaine, et ça se dégrade au fil des jours. Les comportements les plus sains sont en janvier, et ça s’effondre autour du Super Bowl et de la Saint-Valentin. Et pendant les vacances, on est au plus bas. »

Le spécialiste peut aussi s’amuser à effectuer des requêtes étranges, comme par exemple regarder les plats qui ne sont recherchés que dans une zone très précise. « On a découvert des plats bizarres, comme les “funeral potatoes”, que les gens ne cherchent que dans l’Utah. C’est lié aux mormons. »

Le risque de tourner en rond

Mais en personnalisant les recommandations de recettes au maximum, ne risque-t-on pas d’enfermer les utilisateurs dans leurs habitudes, et leur éviter de belles découvertes ? Comme la fameuse « bulle » de Facebook, objet de polémique depuis quelques mois car elle tend à ne confronter les internautes qu’aux idées conformes aux leurs. Ce qui pourrait s’avérer problématique dans le cas de l’alimentation : une personne aimant manger gras risque de ne se voir recommander que des plats du même ordre.

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« Il faut qu’on garde ça en tête, reconnaît Gregory Druck. Peut-être devrions-nous proposer des recettes de saisons qui ne soient pas personnalisées, pour que les internautes voient aussi des choses qui ne sont pas dans leur bulle. » Mais le chercheur ne semble pas pour autant très ouvert à l’idée de ménager la santé des utilisateurs du site en proposant des salades vertes aux accros du burger : « Il ne faut pas avoir la main trop lourde. Mais nous pouvons peut-être leur proposer des alternatives plus saines, comme des burgers à la dinde. »

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