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portrait

Krzysztof Charamsa, l’amour est dans le prêtre

Cet ex-théologien a révélé son homosexualité et dénonce l’hypocrisie du Vatican.
par Bernadette Sauvaget, Photo samuel kirszenbaum
publié le 15 mars 2017 à 17h06
(mis à jour le 16 mars 2017 à 9h22)

Un jour, il serait peut-être devenu cardinal et du même coup électeur de pape. Car jusqu'à ce fatidique 3 octobre 2015, Mgr. Krzysztof Charamsa avait été au Vatican un (presque) parfait fonctionnaire de Dieu (si ce n'était quelques incartades sexuelles et sentimentales), «un inquisiteur zélé», comme il se décrit lui-même. Sa brillante carrière de théologien, beaucoup nourrie de la pensée catholique française, était rectiligne et toute tracée. Mais voilà, au terme de douze ans de bons et loyaux services à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l'ex-Inquisition et l'ex-Saint-Office, l'un des puissants bastions de la curie romaine, il a jeté sa gourme, a proclamé à la face du monde qu'il était un prêtre catholique gay. Et surtout heureux de l'être. A ses côtés ce jour-là à Rome, il y avait Eduard, l'amour de sa vie, son compagnon catalan avec lequel, aujourd'hui, il «réinvente» son existence, près de Barcelone.

Ce fut un coming out retentissant, sans doute l'un des plus fracassants de l'histoire. Pour l'occasion, le prêtre polonais était habillé en clergyman, arborant, comme une provocation, un col romain très identitaire. «Je l'ai fait consciemment, raconte-t-il. Parce que j'avais servi le système avec toute ma bonne volonté, avec toute ma conviction. Quand je suis entré à la Congrégation pour la doctrine de la foi, je réalisais un rêve, et j'étais persuadé que je venais servir la vérité. Et puis je me suis aperçu, petit à petit, que je servais un système paranoïaque, sans débat stimulant ni espoir de changement, un système dans lequel le fonctionnaire doit obéir sans penser.»

Même dans les rangs des cathos les plus ouverts, ce coup d'éclat a eu du mal à passer. On aurait préféré plus de discrétion. Krzysztof Charamsa, lui, n'en démord pas. Sur sa page Facebook, la photo de la bannière le montre toujours en col romain, avec son compagnon. Elle a été prise ce fameux 3 octobre 2015. «Pour moi, c'est prophétique, dit-il. A l'avenir, les prêtres gays ne seront plus, je l'espère, obligés de se cacher.» On veut bien le croire. Elégant et décontracté, en jeans et veste grise, Charamsa, dans sa nouvelle vie, a changé de look. Il a troqué - on le lui fait remarquer - ses lunettes sévères d'intellectuel pour une monture beaucoup plus souriante. Il doute un petit instant. Si, si, pourtant. Il finit par s'en rappeler : «Oui, je les ai changées à Barcelone.»

Avec Paris, où il venait pour ses rendez-vous clandestins avec son amoureux, s'abreuvant de liberté et de culture, la cité espagnole est son autre ville de prédilection. «Probablement à cause de son histoire. La société catalane respecte la diversité. Elle est exemplaire dans l'accueil des migrants. C'est ma nouvelle patrie, ma maison. Les Catalans ont été importants pour mon coming out», raconte l'ex-fonctionnaire du Vatican. L'exact opposé de sa Pologne natale, où il a été cloué au pilori : «Là-bas, l'Eglise a organisé des prières pour moi dans les paroisses. Un vice-président du Parlement s'est exclamé à la télévision : "Pourquoi a-t-il fait cela à sa mère ?" Ma famille subit désormais un ostracisme social et religieux.»

C'est à Barcelone que le destin de Charamsa a basculé. Là-bas, en 2012, l'aventure d'une nuit s'est muée en une histoire d'amour pour la vie. Quand son amant le ramène à l'aéroport, il éclate en sanglots. Il lui avoue qu'il est prêtre, lui demande s'ils peuvent rester en contact. «Je ne pouvais plus retourner à la "sérénité" catholique de l'Evangile, qui m'imposait une haine aveugle et irrationnelle de moi-même, de mon orientation sexuelle. J'étais amoureux», écrit-il dans son livre, la Première Pierre. Avant, il avait eu des amitiés privilégiées mais platoniques. Et puis à Rome, il y a déjà quelques années, une liaison orageuse avec un prêtre italien. «Non, je n'ai jamais mené de double vie, se défend-il. C'est le système qui m'a contraint à me cacher.»

De passage à Paris, il fait plaisir à voir. Heureux d'amour et léger de ce bonheur. Enfin presque. Comme le survivant d'une grande catastrophe, il y revient toujours. Comme le rescapé d'une dictature, il veut toujours et encore argumenter, raconter les turpitudes traversées. «L'homophobie de l'Eglise a été construite par des gays qui se haïssaient eux-mêmes», clame-t-il haut et fort. Il ne voit pas l'Eglise sortir de la période glaciaire dans laquelle elle est entrée depuis le milieu des années 70. A cause de Jean Paul II, polonais lui aussi, et de Joseph Ratzinger quand il était le patron de la Congrégation pour la doctrine de la foi. Il en veut à ce dernier, devenu, en 2005, le pape Benoît XVI, un «génie intellectuel».

«L'Eglise est incapable, dit-il, de dialoguer avec le monde.» Et le pape François n'y peut rien. «Il est haï par la curie, dit-il. Il tient des discours forts mais rien ne change en réalité.» De sa longue expérience du milieu clérical, il tire la conclusion que la moitié des prêtres catholiques sont gays. Mais se fâche quand on l'interroge sur un éventuel lobby gay au sein de la curie. «Il n'y en a pas. C'est une construction homophobe, estime-t-il. S'il existait, il serait clairement inefficace.»

A Krzysztof Charamsa, il arrive encore (et très souvent) de dire «nous» quand il parle du Vatican : «Nous, à la Congrégation pour la doctrine de la foi, quand on poursuit quelqu'un, c'est un signal envoyé à tous les autres, une manière de montrer là où il ne faut pas aller.» C'est ce qui lui arrive. Il a été suspendu de ses fonctions par l'évêque polonais dont il dépend hiérarchiquement et ses amis prêtres sont obligés de le rencontrer clandestinement. On aimerait sans doute qu'il démissionne. Mais il n'en est pas question. Il ne veut abandonner aucune composante de sa personnalité, spirituelle ou sexuelle.

La semaine qui a suivi son coming out, son portable n'a pas arrêté de sonner, jour et nuit. Du monde entier, on continue à le contacter : des ecclésiastiques eux-mêmes gays (ou leurs partenaires), des compagnes clandestines (et désespérées) de curés, des enfants de prêtres «traumatisés à vie parce qu'ils ne peuvent pas dire de qui ils sont le fils ou la fille», des victimes de pédophilie. Krzysztof Charamsa se sent un peu à la tête d'une paroisse planétaire d'éclopés. Désormais, il gagne petitement sa vie «comme conférencier et écrivain» et confirme «que c'est difficile». Avec Eduard, ils vont sans doute se marier. Enfin, si la Pologne daigne lui envoyer les documents nécessaires. Et avoir des enfants ? Il sourit, botte gentiment en touche. Peut-être pour ne pas encore une fois froisser François ou courroucer les hiérarques du Vatican. «Pour cela, il faut être deux», dit-il. Et il ne répondra qu'en présence d'Eduard.

5 août 1972 Naissance en Pologne.

1991 Etudes de théologie.

1997 Ordonné prêtre.

2003 Travaille au Vatican.

3 octobre 2015 Coming out à Rome.

Mars 2017 La Première Pierre (La Découverte).

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