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Billet de blog 15 mars 2017

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Journée noire pour la culture russe

Le 7 mars 2017, des hommes en armes défonçaient les portes du Centre international Rerikh à Moscou. Alertés, Natalia Klokova et d’autres militants du monde moscovite politique et culturel se sont précipités. Impuissants, ils ont assisté aux déménagements d’œuvres à la valeur culturelle inestimable.

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Illustration 1
Nicolas Rerikh. © Wikipedia

Nicolas Rerikh est un peintre russe né en 1874 à Saint-Pétersbourg et mort en 1947 à Naggar en Inde. Après des études de droit, il s’intéresse à la littérature, à la philosophie, à l’archéologie et tout spécialement à l’art. Il a reçu sa formation à Paris où il a rencontré de nombreux artistes, français, russes ou étrangers. Il visitera New York. Après avoir quitté cette ville, il partira pour une expédition de cinq ans en Asie où il séjournera à plusieurs reprises. Sa collection est répartie dans plusieurs musées mondiaux, dont le centre international Rerikh à Moscou.

« Aucun oukase ne peuvent créer ou protéger la culture si le public lui est indifférent et passif. La culture est l’expression de tout un peuple. Sa protection et sa diffusion sont une responsabilité nationale ». Nicolas Rerikh (aux amis de la Paix, 1947).

Moscou, le 7 mars 2017. Il n’est pas exagéré d’appeler cette journée « Jour noir de la culture russe ». Ce jour-là, tôt le matin, une soixantaine de personnes lourdement armées et le visage masqué ont défoncé à coups de hache les portes d’entrée du Musée « Centre International Rerikh » à Moscou. Se prévalant d’une réquisition du procureur russe, ils devaient enquêter dans le cadre d’une instruction judiciaire concernant M. Bulotchnik, ancien gestionnaire de Masterbank.

Illustration 2
Les forces spéciales au musée © Nicolas Igorkov

Prévenu, le directeur du musée, Alexandre Stetsenko avait demandé de l’attendre afin qu’il leur ouvre les portes. Peine perdue, ces hommes armés impatients ont enfoncé les portes du musée pour y pénétrer. Auparavant, à 7 heures du matin, ils avaient fait intrusion dans l’appartement d’un collaborateur du musée qu’ils ont littéralement tiré du lit pour se faire accompagner. Vers 9 h 40, après avoir débranché les caméras de vidéosurveillance et en l’absence des collaborateurs du musée, les miliciens ont perquisitionné dans le bâtiment. Ils ont décroché et emballé eux-mêmes les tableaux qu’ils ont emportés.

 Prévenus, les collaborateurs du musée sont venus. Ils sont restés sur les lieux jusqu’au lendemain, 8 mars à 5 heures du matin, afin d’observer les événements. Des amis du musée et de la culture ont afflué également. Ils ont été témoin de la rotation des camions emportant les objets de collection. Ils ont été tenus à l’écart derrière les grilles du musée fermées par des encagoulés en armes. Environ 40 peintures et 150 dessins ont été confisqués. Les hommes des forces spéciales n’ont absolument pas réagi à la demande de retirer leur tenue extérieure et de la déposer à la garde-robe, comme il en est la règle dans les musées en Russie. Ils ont mangé et bu dans le musée lui-même. Ils se sont adressés grossièrement aux collaborateurs culturels. Les tableaux enlevés sont des œuvres anciennes et fragiles. Ils ont été manipulés et transportés en l’absence de spécialiste. Le conservateur craint leur altération.

 Cette opération policière s’est transformée en confiscation d’œuvres appartenant au musée d’art Nicolas Rerikh et de ses fils Sviatoslav et Youri. Les peintures du grand artiste russe Nicholas Rerikh avaient été offertes au musée par son fils Sviatoslav Rerikh à l’époque de la perestroïka en 1989. À l’heure actuelle, la valeur du patrimoine culturel du musée Rerikh est estimée à un milliard de dollars.

 Cela n’a pas manqué d’ouvrir des appétits. Les pressions et les tracasseries à l’encontre du musée Rerikh ont commencé à se multiplier dernièrement. Il a été soumis à des contrôles par l’administration fiscale. Elle lui a imposé un redressement de 52 millions de roubles d’impôts, en dépit du fait que le musée avait investi environ 2 milliards de roubles dans la rénovation de ses locaux. Il a été vérifié que le musée ne diffusait pas de messages extrémistes.

Illustration 3
Oeuvre © Nicolas Rerikh

Le 7 mars 2017, lors de la perquisition et la saisie des peintures, les policiers étaient accompagnés du directeur du musée d’art oriental, Mkrytchev, bénéficiaire des produits de la perquisition. Les tableaux saisis ont été amenés dans les locaux de son musée. Le vice-ministre de la Culture, commanditaire de l’opération, était également présent. Les policiers ont saisi non seulement les tableaux qui étaient inscrits sur leur réquisitoire, mais aussi ceux désignés verbalement par ces deux personnes. La police a demandé à la direction du musée Rerikh de présenter les documents originaux attestant la propriété des œuvres saisies. Celle-ci s’est exécutée. La police a alors saisi les documents présentés. La police a ensuite demandé à l’administration si elle possédait des copies de ces documents. La réponse étant affirmative, la police a saisi ces copies également. En définitive, la direction du musée Rerikh se retrouve sans les œuvres et sans aucune documentation prouvant qu’elle est propriétaire de celles-ci. Les œuvres saisies ont une valeur culturelle et matérielle considérable.

 Le directeur du musée Rerikh estime que cette modalité d’agir relève du hold-up.

 L’opération militaire à l’encontre du musée Rerikh a été médiatisée. Les journalistes du canal propagandiste NTV étaient présents. Il s’agit de créer parmi la population une image négative du musée pouvant permettre de justifier sa spoliation et sa liquidation totale ainsi que l’expulsion de locaux très convoités.

 La décision d’en finir avec ce musée a été prise par les plus hautes autorités de l’État. Ces pratiques guerrières sont communes lors des conflits commerciaux ou industriels en Russie. Elles ont émaillé le processus de privatisation. Mais actuellement, les hommes de culture commencent à en être victimes. Le transfert du musée Isaac de Saint-Pétersbourg à l’Église orthodoxe russe et la liquidation de la Bibliothéque de littérature internationale à Moscou sont des précédents.

 La culture russe fait partie de la culture européenne et mondiale dont les communautés ne peuvent rester indifférentes à ce démantèlement.

Illustration 4
Natalia Klokova © Natalia Klokova

Auteur : Natalie Klokova, militante moscovite du mouvement politique et social « Mouvement 14 % »

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