Préfiguration de la gare Saint-Denis-Pleyel.

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Société du Grand Paris-Agence Kengo Kuma & Associates 2

Comment avez-vous appréhendé Paris, littérairement, dans ce nouveau roman?

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Aurélien Bellanger. Je suis né à Laval, mais j'ai grandi dans l'Essonne, en banlieue sud. Pour moi, Paris est la ville proche et lointaine à la fois. Durant mon enfance, y aller, c'était aller voir les vitrines de Noël, les dorures, les grands magasins. Mais d'un autre côté, c'était emprunter l'autoroute A6, entre Corbeil-Essonnes et Paris, quarante kilomètres d'un itinéraire dont je connais chaque sortie. La ville était une petite amande dorée préservée dans une sorte d'énorme coquille, un peu moche mais impressionnante.

Ce que j'ai vu de Paris en premier, ce sont des murs antibruit, des lignes à haute tension. Le tout formait une entité à deux faces qui n'étaient pas réunies. Il m'a fallu y habiter pour que l'échelon métropolitain devienne la ville dans son entièreté. Deux choix s'offrent alors: soit on s'enfonce dans l'érudition (l'histoire des rues, etc.), mais c'est un peu réac et on finit par tourner à vide car l'histoire ne se fait plus complètement ici, soit on décide d'agrandir l'échelle et de considérer que l'unité urbaine de Paris n'est plus le quartier, mais la ville entière. J'ai fait le second choix.

Comment inclure la banlieue et la région parisienne dans un récit du Grand Paris aujourd'hui?

La vraie échelle pour en penser l'existence dépasse l'intra-muros. Tout ce qui fait de Paris une ville intéressante, à moins de le transformer en une capitale mondiale du Airbnb, c'est que c'est une "ville-monde", où cohabitent plus de cent nationalités. Et tout cela existe bien plus extra-muros qu'intra-muros. Il y a un Paris d'antiquaires, sympa, mais le vrai Paris est sorti du périphérique depuis longtemps. Notamment depuis la construction du Forum des Halles à la fin des années 1970, qui avait inversé les notions de périphérie et de centre car les banlieusards n'entraient plus dans la capitale par les gares extérieures, mais par le coeur.

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Or, qu'est-ce que le projet de métro Grand Paris Express? La même chose, en plus large, et quarante ans après. En outre, au contraire des villes anglo-saxonnes qui montrent tout, Paris a toujours dissimulé sa propre machinerie: les centrales thermiques, les dépôts de métro, les usines, et même son marché alimentaire (à Rungis). On les a déplacés en banlieue, cette vaste zone qui sert de dépendances. D'autant que là, l'aménagement du territoire ne cache rien du tout! Mais la banlieue et ses habitants en ont assez de faire office de coulisses et de servitudes pour que la capitale reste une ville musée. Et écrire c'est montrer les coulisses.

Aurélien Bellanger

"Une telle métropole, c'est un vaisseau interstellaire dont dépend la survie des hommes tout autour... et vice versa", observe Aurélien Bellanger.

© / F. Montovani/Gallimard

Vous y êtes allé, dans ces coulisses?

Oui... à vélo! J'en ai acheté un pour ce livre, car je m'étais pris de passion pour l'Ile-de-France. Tous les endroits du roman, je les ai parcourus à bicyclette. Il n'y a pas une ville francilienne que je ne connaisse pas.

En quoi la métropole du Grand Paris génère-t-elle un nouvel imaginaire? Et quel peut y être le rôle des écrivains?

Une telle métropole, c'est un vaisseau interstellaire dont dépend la survie des hommes tout autour... et vice versa (Rungis est le garde-manger de Paris). La fiction est là pour proposer une vision en coupe de cet appareillage-là. Comme l'ont fait ceux qui ont déjà travaillé sur des "villes-mondes", offrant des "romans-mondes", avec des narrations chorales et des personnages multiples.

Ces livres assument, dans leur structure même, la notion de mondialisation. Je pense à Cartographie des nuages de David Mitchell (Points), qui porte l'idée d'une écriture postterritoriale. Ou aux romans de William Gibson, avec des sortes d'êtres ultra-cosmopolites, qui passent d'une métropole futuriste à une autre. Ces dernières jouent le rôle des planètes dans Star Wars, une galaxie de villes interconnectées.

Une autre piste possible pourrait être celle des guerres civiles entre Paris et la banlieue. Ce serait une continuité du travail de Maurice G. Dantec "première période", quand il était le romancier du Val-de-Marne: Villa Vortex faisait ce pari d'une guerre civile à venir. Dernière hypothèse, plus positive: celle qui reviendrait à privilégier les paysages naturels au détriment du décorum urbain et technologique.

Et que serait cette forme, concrètement?

Ce serait celle où j'aimerais aller dorénavant. Je suis très marqué par les travaux du philosophe Bruno Latour, qui allie les approches sociale et scientifique. Pour lui, par exemple, une autoroute n'est pas seulement la décision d'un responsable, venue d'en haut, mais une négociation entre les choses elles-mêmes. J'aimerais un récit où des êtres hybrides dialoguent: la grenouille, la rivière, etc. Le roman deviendrait le lieu de représentation de ces échanges, car l'écrivain a la liberté de prendre qui il veut comme protagoniste. Il convient alors de ne pas tomber dans l'allégorie ou dans le kitsch...

Un réalisme magique à la française?

Non, plutôt l'idée d'une sortie progressive du naturalisme. La forme idéale serait la massification du discours direct libre. Pour le dire simplement: le plus possible d'entités parlantes, de narrateurs. Faire feu de tout bois. Se permettre un long paragraphe sociologique, puis une digression lyrique, singer un discours technocrate, etc. Cette forme referait du genre romanesque un lieu du réenchantement. C'est d'ailleurs pourquoi, dans ce roman sur l'Ile-de-France, j'ai voulu dépasser le sentiment un peu houellebecquien du "c'est moche et c'est déprimant" au profit du mien: "C'est exaltant quand même, il se passe quelque chose."

Et comment fait-on littérature de ce "quelque chose"?

En faisant en sorte qu'un personnage se retrouve dans un certain type d'état d'âme, et que celui-ci soit lié au paysage même. En somme, c'est réutiliser les vieux outils du romantisme allemand. Mais en le modernisant, car sinon ce serait ringard. Aux descriptions paysagères à l'ancienne, il faut injecter quelque chose comme du réalisme augmenté, comme si le protagoniste portait des lunettes Google Glass.

Le Grand Paris par Aurélien Bellanger, 480p., Gallimard, 22¤.

couv Lire mars 2017

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