Rineke Dijkstra, photographe de la fragilité des êtres

La Néerlandaise Rineke Dijkstra vient de recevoir le Prix Hasselblad, un équivalent du Nobel de la photo. Son travail tourne autour de la fragilité, qui est pour elle le summum de la beauté.

Par Luc Desbenoit

Publié le 18 mars 2017 à 17h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 03h56

Après Henri Cartier-Bresson, Robert Frank, Cindy Sherman... Rineke Dijkstra (née en 1959) vient d’être couronnée par le Prix Hasselblad 2017, l’équivalent du Nobel de la photographie. Son œuvre hypnotique tourne depuis trente ans autour de la fragilité lors des incessantes mutations qui mènent de l’enfance à la vieillesse. La Néerlandaise détecte ce moment si particulier où l’on change de peau, un processus comparable à celui des homards lors de la période de mue, lorsqu’ils sont à la merci de tous les dangers le temps qu’ils se reconstituent une nouvelle carapace pour accueillir leur croissance. Chez Dijkstra, la fragilité est le summum de la beauté.

Ayant suivi une solide formation à la Gerrit Rietveld Akademy d’Amsterdam, la jeune femme fait ses premières armes dans la publicité et les commandes pour les entreprises : « Je me souviens d’un conseil d’administration dont je devais photographier les membres. Pendant que je changeais de film, ils ont montré leur vrai visage, les rapports de hiérarchie qui s’étaient figés sont réapparus. J’ai été fascinée. »

Le véritable déclic de ses obsessions survient après un grave accident. Victime d’une fracture de la hanche en 1991, elle décide de se photographier à la fin des séances de rééducation lorsqu’elle est épuisée après ses interminables longueurs de piscine. Elle s’y trouve « vraie », la fatigue l’empêchant de se composer un masque social. Rineke Dijkstra se met alors en quête de sujets « authentiques », et de fil en aiguille, s’attache à ces personnes en période de transition, n’ayant plus le contrôle de leur image.

D’abord avec les adolescents dans sa série Beach sur les bords des plages d’Angleterre, d’Ukraine, de Pologne ou des Etats-Unis. Elle les fait poser debout, avec pour unique consigne « regardez l’objectif et ne souriez pas ». Le plus souvent confrontés en solitaire à sa chambre photographique posée sur un trépied, garçons et filles s’abandonnent les bras ballants, les corps se tortillant, efflanqués en maillot de bain avec juste derrière eux la mer, le ciel.

Rineke Dijkstra effectue toujours ses images dans des décors sobres afin qu’aucun détail superflu ne vienne troubler le face à face du spectateur avec le modèle. Ceux-ci nous regardent autant qu’on les examine, forcés aux silences quand par exemple ces femmes s’exposent nues juste après leur accouchement encore meurtries par l’épreuve, des traces de sangs coulant sur leurs jambes.

Toujours avec ce souci de capter ces moments d’incertitudes, fragiles, où la vie bascule vers quelque chose d’autre, la Néerlandaise a eu aussi l’idée étonnante de photographier de jeunes Israéliennes venant de s’engager dans l’armée de Tsahal. Rineke Dijkstra réalise aussi des vidéos dans le même esprit lorsqu’elle assiste à l’entraînement de petites danseuses russes, qui répètent inlassablement les mêmes mouvements pour s’arracher du cocon de l’enfance et se métamorphoser en ballerines aux gestes parfaits.

Elle suit certains de ses modèles pendant plusieurs années pour assister à leurs différentes métamorphoses. En sept photos, elle raconte le passage de l’enfance à l’âge adulte d’Almérisa, une réfugiée bosniaque, ou les épreuves de la vie militaire se lisant dans les yeux d’Olivier, un légionnaire dont le regard se durcit insensiblement au fil des ans.

D’une apparente simplicité, ses images dissimulent une éblouissante maîtrise des lumières – souvent naturelles, ou au flash pour gommer les ombres – de la bonne distance (à la limite de l’indiscrétion), et une connaissance pointue des arts classiques. La Néerlandaise admire certains photographes comme les Allemands August Sander (1876-1964) et Thomas Struth (né en 1954). Mais ses véritables influences viennent des maîtres de la peinture du XVIIe siècle – Rembrandt, Veermer et Verspronck – exposés au Rijksmuseum à Amsterdam.  Comme eux, elle parvient à imposer dans ses portraits ce calme, cette immobilité indémodable et hypnotisante de ses modèles. Le temps n’a pas de prise sur eux.

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