Accueil

Monde Europe
Images de la libération de Rome en 1944.
Images de la libération de Rome en 1944.

Un avocat italien veut poursuivre la France pour crime de guerre

Par

Publié le

Il aura fallu le tournage d’un film porno pour que le débat sur les crimes commis par les alliés durant la Libération de l’Italie en 1944 soit relancé. Et pour qu'un avocat italien s'empare du dossier et veuille poursuivre la France devant un tribunal militaire italien et la Cour pénale internationale.

Réalisé par Mario Salieri, l’un des grands noms du porno italien aujourd’hui basé en Roumanie pour contourner la censure et la crise, le film au coeur de l'affaire est un remake de La Ciociara tourné en 1960 par Vittorio de Sica. L’histoire était celle d’une femme interprétée par Sofia Loren, victime d’une « marocchinata » comme les appelle les Italiens, c'est-à-dire les viols et les meurtres commis par les goumiers, l’armée d’Afrique du corps expéditionnaire français en Italie. Une page sombre de la Libération que les Italiens comme les Français ont ensevelie au fond de leur mémoire par honte des deux côtés. Tourner un film sur un sujet aussi terrible, et qui plus est en version porno... cela a sacrément choqué les Italiens et poussé plusieurs députés à réclamer le blocage du tournage. Une chose en entraînant une autre, un avocat italien a rouvert le dossier et a l'intention de déposer une plainte contre la France ce lundi 20 mars.

Tout commence en juillet 1943 lorsque les troupes alliées débarquent en Sicile. Quelque 832 soldats marocains rattachés par le général De Gaulle au contingent américain participent à l’opération « Husky ». C’est le début des massacres. Des enfants, des femmes et des hommes sont violés, des villages mis à sac. En Ciociarie, une zone située à une centaine de kilomètres au sud de la capitale, les nazis battent en retraite et plusieurs villages sont occupés par les troupes franco-coloniales. Les témoignages des rescapés sont terribles. Dans le village d’Ausonia, dix femmes sont violées et tuées et les hommes qui tentent de les défendre sont sodomisés puis massacrés. Dans la petite commune de Vallemaio, deux femmes sont violées par un peloton de 200 goumiers. A Esperia, 700 femmes sur une population de 2500 habitants sont violés par les soldats nord-africains mais aussi français du général De Gaulle. Le curé qui essaye de les défendre, est attaché à un arbre et sodomisé pendant toute une nuit.

Dossier de plaintes contre la France

Selon plusieurs historiens italiens, le général Alphonse Juin qui dirigeait le contingent nord-africain, aurait promis à ses goumiers de leur laisser les mains libres pendant 50 heures en cas de victoire sur les troupes nazies qui occupaient encore une partie de l’Italie. « Personne ne sera poursuivi » aurait assuré le général Juin en ajoutant que derrière les troupes nazies, il y avait du vin, de l’or et des femmes…. Pour l’écrivain Massimo Lucioli, toute l’armée française et même le général Charles De Gaulle étaient au courant de ces crimes et n’ont rien fait pour les empêcher. « Il y a quelques années, j’ai défendu une pauvre femme victime d’une « marocchinata », la plupart des femmes, des hommes et des enfants violés et tués étaient de pauvres gens », explique l’avocat Luciano Randazzo qui monte son dossier de plaintes contre la France.

Selon les témoignages recueillis au lendemain de la deuxième guerre mondiale, plus de 12.000 civils ont été violés, massacrés et leurs villages détruits par les goumiers. A la fin de la guerre, quelques victimes furent indemnisées en coulisses et très vite car il fallait oublier ces faits d’armes honteux qui entachaient la réputation de l’armée de libération française. Du coté italien en revanche, on a refusé d’oublier mais dans le silence. En 1985 par exemple, une opération de réconciliation entre vétérans est organisée à Esperia. Seuls les Français n’ont pas été invités.

« Les pauvres gens indemnisés ont reçu à l’époque l’équivalent de 1 000 euros mais c’est quoi 1 000€ en échange de toute cette souffrance physique et morale qui a perduré chez les victimes ? » s’interroge maitre Randazzo. La plainte sera déposé lundi matin « en mon nom et aussi au nom de cette vieille femme qui avait été violée et de tous les morts » ajoute-t-il.

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne