Les candidats à l’élection présidentielle aiment dire qu’ils sont “à l’écoute” des Français, qu’ils ont compris ce qui compte pour eux. Le respect des “valeurs françaises” ? L’âge de la retraite ? L’avenir de leurs enfants ? Pour sonder ce qui préoccupe vraiment les Français, Le Monde a décidé de poser la même série de questions à des hommes et des femmes d’âge et de milieux différents partout en France. Voici leurs réponses, pragmatiques, politiques ou poétiques.

Je n’ai pas de Rolex. Mais je n’en veux pas, ça doit être trop lourd à porter

Ali R., 45 ans, est Roubaisien de naissance. Educateur spécialisé depuis 25 ans, Ali est également un inlassable militant associatif.

Qu’est-ce qui vous préoccupe en ce moment dans votre vie ?

Ce qui m’inquiète, c’est l’avenir du pays, ce qu’on va laisser aux jeunes générations. J’ai l’impression qu’on n’a pas retenu grand-chose du passé. Qu’est-ce qu’on aura fait pour améliorer le pays ? C’est la question qu’on doit se poser.

Quelle est la dernière chose qui vous a ému ?

Une nana qui m’a fait « braire » [« pleurer » en ch’ti]. Elle s’appelle Hanane Charrihi, sa maman est la première victime de l’attentat de Nice [le 14 juillet 2016]. Elle a raconté tout ça dans un bouquin, Ma mère patrie [éditions de la Martinière, 120 pages, 12,90 euros]. Je l’avais vue dans l’émission d’Anne-Sophie Lapix [« C à vous », sur France 5]. J’ai lu son livre dans le TGV, ça m’a retourné. Ce qui m’a flingué, c’est son flegme, waou, parfois j’étais au bord des larmes. Avec mes amis de l’association Rencontre et dialogue, on l’a invitée à présenter son livre, le 17 mars, à la coopérative Baraka de Roubaix.

Quelle est la dernière chose qui vous a mis en colère ?

Il y a quelques jours, les images de gamins pieds nus fuyant les villes de Rakka et Mossoul. C’est à cause de Bush et de son père si l’Irak est dans ce bordel. L’Etat islamique rassemble tous les frustrés de l’armée de Saddam.

Quel est le dernier contenu que vous avez posté sur Facebook ?

Je crois que c’est un post sur le dernier livre de Nadir Dendoune, Nos rêves de pauvres [JC Lattès, 200 pages, 15 euros]. Parce que j’aime bien Nadir. Il parle de nos parents à nous, les enfants de la première génération d’immigrés, de manière généreuse. Mes parents sont arrivés en France après la guerre d’Algérie.

Quelle est la dernière information qui vous a marqué ?

Tout le délire autour de Fillon, l’abnégation et la folie furieuse de cet homme-là. Son suicide politique.

Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?

Les enfants. La génération qui arrive, pour une partie, a plus la niaque que nous. Elle est totalement décomplexée, elle ose beaucoup plus. Je vais citer Gramsci : « Allier le pessimisme de l’analyse à l’optimisme de l’action ». On est bien obligés, sinon on distribue des cordes pour se pendre.

Où vous voyez-vous dans cinq ans ?

A Roubaix. Ma femme veut partir, mais moi, je suis né ici, je vais crever ici. J’y ai mes amis, des connaissances… Sauf si Marine Le Pen arrive au pouvoir, on fuira à Bruxelles… à pied [sourires]. Quant au mythe du retour dans le pays de nos origines, je n’y crois pas.

Qu’est-ce que vous souhaitez ?

Des choses toutes simples : continuer à vivre en paix, à se battre pour ses droits, c’est déjà pas mal. Etre solidaire, moins égoïste. J’ai raté ma vie, je n’ai pas de Rolex. Mais je n’en veux pas, ça doit être trop lourd à porter…

Si vous étiez nous, où iriez-vous ? Que pensez-vous qu’il faille raconter ?

J’irai en Nouvelle-Calédonie. J’ai des grands-oncles, côté maternel, qui ont été expulsés à Cayenne et d’autres en Nouvelle-Calédonie. J’ai vu un docu à la télé sur une communauté d’Algériens sur place. Alors, oui, si j’étais vous, j’irais rencontrer les Français de Calédonie voir ce qu’ils pensent du délire de la campagne électorale.

Qu’est-ce que c’est, pour vous, être français ?

Ah ça, c’est une bonne question. Etre français, c’est se sentir chez soi dans son quartier, sa ville, sa région. On peut avoir des identités multiples, disait Amin Maalouf. Je constate que la parole s’est totalement libérée depuis les débats sur l’identité nationale sous Sarkozy.

Après, être français, c’est aimer le bon fromage et visiter la France des cathédrales. C’est aussi et surtout connaître son histoire. Etre français, c’est, je trouve, un sentiment que tu ressens en toi, qui te fait frissonner.

Propos recueillis par Nicolas Lepeltier à Roubaix (Nord) en mars 2017
Photo : Lucie Pastureau/hanslucas.com pour Le Monde

Les Grands formats
du Monde
Chargement en cours