ANCÊTRE. Il fallait y penser. Au vu des dizaines de génomes de plantes à fleur qui ont été décryptés depuis maintenant 17 ans (le séquençage du patrimoine génétique de la première plante Arabidopsis thaliana remonte à l’an 2000), pourquoi ne pas chercher ces gènes qui les réunissent toutes et permettrait ainsi de remonter au génome de leur ancêtre commun? Le résultat vient d'être publié dans Nature genetics. «Nous avons donc comparé les génomes de plantes qu’elles soient monocotylédones (les céréales) ou dicotylédones (légumineuses, crucifères, arbres fruitiers), expose Jérôme Salse, chercheur à l’Unité "Génétique, diversité et écophysiologie des céréales" conjointe à l’Inra et à l’Université de Clermont-Ferrand. C’est ainsi que nous avons déterminé 15 chromosomes communs porteurs de 20 000 gènes conservés au sein des génomes de toutes les plantes étudiées ». Ces gènes commandent les fonctions élémentaires du développement des plantes.
Arbre généalogique (branches noires) illustrant l'évolution des génomes de plantes modernes à partir de leur ancêtre commun disparu (au centre). Les deux familles principales de plantes à fleurs sont les dicotylédones (à gauche, fond jaune) et les monocotylédones (à droite, fond vert)
La plasticité génétique à l'origine du succès des plantes à fleur
MUTATIONS. Ce travail sur la structure des génomes a permis également de dater l’émergence de cet ancêtre commun. «Nous avons obtenu une datation à 214 millions d’années en répertoriant le nombre de mutations accumulées par ces gènes conservés entre espèces, l’accumulation de ces mutations spontanées permettant de calibrer le temps d’évolution des plantes ». Ce résultat va donner du grain à moudre aux paléontologues. La plus vieille plante à fleur recensée est aujourd’hui Montsechia vidalii retrouvées dans des dépôts calcaires de plusieurs sites du Montsec dans les Pyrénées espagnoles et de Las Hoyas dans la Chaîne ibérique. L’âge du fossile ? autour de 127 millions d’années. Que l’origine des angiospermes soit plus ancienne n’étonnera pas les botanistes. «Il est certain que les plantes à fleur sont plus anciennes qu’on ne pense, leur existence étant restée pendant longtemps confinée à des niches écologiques limitées jusqu’à ce que les conditions favorables de leur succès soient réunies sous le coup du hasard ou de changements climatiques », estime ainsi Marc-André Selosse, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et président de la société botanique de France (lire à ce propos le hors-série de Sciences et Avenir "le génie des plantes" en kiosque fin mars).
L’étude apporte également un éclairage nouveau sur la plasticité des génomes des plantes à fleurs. « Les 37 génomes comparés sont extrêmement divers, précise Jérôme Salse. Le nombre de chromosome varie de 5 à plus de 20 et présente de 20 000 à 40 000 gènes. De plus, on constate des duplications entières du génome et ceci même de manière récente, phénomène plus rare dans le monde animal, qui font que certaines plantes peuvent avoir plusieurs copies de leur patrimoine génétique ». Ainsi, le blé utilisé pour la fabrication du pain est hexaploïde, c’est-à-dire qu’il possède trois copies du génome ancestral diploïde des céréales. « Ces duplications permettent aux plantes d’acquérir de nouvelles fonctions biologiques au cours du temps et favorisent notamment une meilleure adaptation aux contraintes, poursuit Jérôme Salse. Cette extrême variabilité et plasticité des gènes dupliqués constituent toujours à l’heure actuelle un atout majeur qui permet aux plantes de s’adapter en permanence aux changements des conditions environnementales ». C’est ce qui pourrait bien expliquer le succès évolutif phénoménal des plantes à fleurs, qui représentent 90% des espèces végétales sur Terre et couvrent tous les climats à l’exception des régions polaires.