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TRIBUNE

Il faut préserver le remboursement intégral de la maladie d’Alzheimer

Plusieurs grandes sociétés françaises de neurologie, psychiatrie, gériatrie et la Fédération des Centres Mémoire (universitaires) contestent l'avis de la Haute Autorité de santé prévoyant un déremboursement total des médicaments indiqués, estimant qu'une telle mesure reviendrait à diminuer drastiquement les chances d’accéder à la recherche thérapeutique innovante pour les patients.
par un collectif
publié le 20 mars 2017 à 17h31

La maladie d’Alzheimer et les maladies apparentées affectent près d’un million de personnes en France, tandis que plusieurs millions de proches affrontent les troubles cognitifs et comportementaux de ces personnes en perte d’autonomie. Il ne s’agit pas d’une conséquence inéluctable du vieillissement comme on le présente encore quelquefois, mais bien d’une maladie du cerveau, provoquée par une cascade d’événements biologiques qui font le lit d’une dégénérescence anormalement marquée des systèmes de neurones en charge de la cognition.

Ces maladies sont reconnues en affection de longue durée et bénéficient, à ce titre, d’un remboursement à 100% des soins médicaux par l’assurance maladie. Or le remboursement des médicaments symptomatiques fait aujourd’hui l’objet d’une remise en cause, alors que même leur bénéfice cognitif est statistiquement démontré dans toutes les études à haut niveau de preuve scientifique (1).

Un parcours de soin spécifique

C’est pourquoi, rappeler les enjeux d’une démarche diagnostique de qualité et les fondamentaux du parcours de soins dédiés aux maladies neurodégénératives est crucial, à un moment où la recherche apporte des éléments majeurs pour comprendre les mécanismes des démences, les cibles et stratégies curatives et préventives, médicamenteuses et non-médicamenteuses à venir.

L’utilisation de ces médicaments indiqués spécifiquement dans la maladie d’Alzheimer et parfois la maladie à corps de Lewy (inhibiteurs de l’acétylcholinestérase et mémantine) s’inscrit dans un parcours de soins où une approche interdisciplinaire, impliquant le médecin généraliste, le spécialiste, les professionnels paramédicaux comme l’orthophoniste, le psychologue, l’ergothérapeute, le psychomotricien, l’infirmière, peut être efficace. Les services sociaux organisent le plan d’aide à domicile adapté à la dépendance, et les associations de familles accompagnent les patients et leurs proches. Cette démarche globale permet de limiter l’impact de la perte d’autonomie, le «mieux-être» du patient et de son entourage étant l’objectif de tous (2).

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Considéré isolément, l’effet de ces médicaments est modeste. Mais il s’inscrit en synergie des approches non-médicamenteuses. C’est bien l’ensemble des mesures thérapeutiques et aides qui contribue au ralentissement de la dégradation cognitive et comportementale du patient.

Les médicaments symptomatiques ne doivent être prescrits qu’en respectant scrupuleusement les contre-indications, cardiaques notamment, tout en surveillant l’absence d’effet secondaire tels que l’anorexie. Forte de près de vingt années de prescriptions, la pharmacovigilance et l’expérience clinique n’ont pas montré de signe d’alerte significatif si (et seulement si) les contre-indications sont respectées, ce qui est aujourd’hui le cas en France. L’utilisation de cette pharmacopée est raisonnée car réservée à une minorité de patients chez qui le rapport bénéfice-risque est jugé favorable.

Recul inédit dans le monde occidental

Dans tous les pays occidentaux, les médicaments symptomatiques de la maladie d’Alzheimer font partie du «standard of care», autrement dit des mesures thérapeutiques standards. Les nouveaux traitements évalués dans les essais cliniques visant à stabiliser les lésions de la maladie, tels que certains anticorps monoclonaux peu différents de ceux prescrits dans les maladies auto-immunes, ne sont proposés au stade de démence qu’en adjonction des traitements symptomatiques. Comme pour le VIH-sida, les nouveaux traitements à l’étude sont donc associés aux traitements médicamenteux standards.

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Leur déremboursement reviendrait à diminuer les chances d’accéder à la recherche thérapeutique innovante pour ces patients, recul inédit dans le monde occidental. Cela induirait paradoxalement une dépendance à l’industrie pharmaceutique ou une iniquité sociale car seuls les plus aisés pourraient prétendre à ces traitements et accéder aux grands essais. Il apparaît donc licite que les associations de familles ou leur fédération invoquent l’équité d’accès aux soins en Europe. Ces médicaments étant maintenant dans le domaine public, ils sont proposés sous forme générique, l’industrie pharmaceutique ne déploie plus de démarche commerciale envers les médecins et leur coût financier est relativement modeste.

Avec le vieillissement de la population, l’heure est à la mobilisation autour des patients atteints de maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée. Le plan «Maladies neurodégénératives» (3) offre une opportunité d’améliorer la structuration du parcours de soins, de proposer une démarche diagnostique intégrée, adaptée aux caractéristiques du patient, à sa demande et celle de ses proches. Il offre également la possibilité d’un nouveau dialogue interdisciplinaire impliquant l’ensemble des professionnels de santé, sans corporatisme et sans posture hostile aux seuls médicaments actuellement disponibles dont l’efficacité est sans doute faible mais démontrée. Le médecin généraliste doit pouvoir disposer d’une stratégie de repérage et de soins formalisée et concertée, individualisée et centrée sur la personne atteinte d’une maladie d’Alzheimer ou d’une maladie apparentée.

Renoncer à cet objectif en considérant qu’il ne s’agit pas d’une maladie comme les autres, celles qu’on reconnaît comme chroniques et graves, en avançant le prétexte de son «incurabilité», conduirait à mettre en péril tout ce qui a été construit dans notre pays au fil des années, plongerait des centaines de milliers de patients et de familles dans le désarroi et accentuerait leurs souffrances, en compromettant gravement les possibilités futures de notre pays d’affronter, sans sombrer, un des enjeux majeurs de santé publique.

(1) Cochrane library, 2006, 2012, 2015
(2) National Institute for Heath and Care Excellence, 2015, Royaume-Uni
(3) Le plan maladies neuro-dégénératives 2014-2019 est un projet porté par Marisol Touraine, Thierry Mandon, Pascale Boistard. Il concerne l'ensemble des malades atteints d'Alzheimer, de Parkinson, de sclérose en plaques et est élargi à l'ensemble des maladies neuro-dégénératives.

Signataires :

Pierre Krolak-Salmon, professeur, neurologue et gériatre, vice-président de la Fédération Française des Centres Mémoire, Mathieu Ceccaldi, professeur, neurologue et président de la Fédération nationale des Centres Mémoire de Ressources et de Recherche ; Sandrine Andrieux, professeure, Société Française de Gérontologie et de Gériatrie, Bruno Brochet, professeur, Fédération Française de Neurologie ; Pierre Vandel, professeur, Société Française de Psycho-Geriatrie

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