Reportage

Mossoul : «Le problème est que les jihadistes sont prêts à mourir, pas nos soldats»

L’armée irakienne poursuit son offensive contre l’Etat islamique. Mais les ruelles de la vieille ville, les snipers et la présence de civils rendent la progression difficile.
par Luc Mathieu
publié le 21 mars 2017 à 19h46

Le minaret de la mosquée Al-Nouri apparaît parfois, depuis la terrasse en haut d’un immeuble ou à travers le trou étoilé laissé par une balle dans une fenêtre. Il est tout près, à moins de 700 mètres de la ligne de front. Mais à la fois si loin. Depuis une semaine, les soldats irakiens s’en approchent. Ils sont désormais à la lisière de la vieille ville de Mossoul-Ouest. Ses ruelles d’à peine un mètre de large enserrent la mosquée, celle où Abou Bakr al-Baghdadi, le «calife» de l’Etat islamique, est apparu en public, pour la première et unique fois. C’était le vendredi 4 juillet 2014, quelques jours après que les jihadistes eurent déferlé sur Mossoul.

Les gradés irakiens en sont aujourd'hui persuadés : la reprise de la mosquée Al-Nouri marquera la fin de l'EI dans la ville et, au delà, en Irak. «Elle représente le cœur du califat. Quand elle sera libérée, les quartiers qui restent s'effondreront d'eux-mêmes. Ce sera la fin de Daech chez nous», assure le colonel Falah, commandant de la première brigade de la Division d'intervention rapide (ERD).

Les soldats reprendront la mosquée et la vieille ville. Mais pas aussi vite qu’ils l’espéraient. Cet hiver, il leur avait fallu trois mois pour l’emporter à Mossoul-Est, sur l’autre rive du Tigre aux eaux calmes qui traverse la ville. Le 20 février, ils ont lancé la bataille pour reprendre les quartiers Ouest. Ils ont progressé rapidement, depuis le sud, plusieurs kilomètres par jour. Ils ont repris le village d’Al-Aarij, l’aéroport et sont remontés vers le nord. Mais plus ils s’approchent de la vieille ville, plus les combats se durcissent.

Depuis six jours, la ligne de front est figée. Les soldats butent sur un immeuble qui borde le marché dit «du mercredi». Leurs positions sont précaires, la résistance de l'EI, sauvage. Dimanche, le long du parc du musée de Mossoul, repris il y a plus d'une semaine, les balles continuaient à siffler. Des mortiers explosaient dans les rues adjacentes. «Tous les hommes de Daech qui restent se sont regroupés dans la vieille ville. Ils nous attendent. D'un point de vue tactique, c'est normal, on aurait fait la même chose. Les ruelles sont trop étroites pour que les blindés puissent passer, on est obligé de progresser à pied», détaille le colonel Falah.

Tunnels

Soldats et jihadistes se retrouvent face à face, à quelques dizaines de mètres souvent, assez proches pour combattre à coups de grenades. Dans la même maison parfois. «Il arrive que l'on soit au rez-de-chaussée et qu'un ou deux jihadistes soient sur le toit. On est si près que l'on peut s'insulter. On crie "Fils de pute, on va vous tuer", ils nous traitent de "Rawafed" [celui qui a renié, ndlr]», raconte un jeune démineur de l'ERD.

Les hommes de l’EI ont l’avantage d’avoir pu se préparer. Ils ont creusé des tunnels, percé des murs pour circuler de maison en maison. Ils ont eu le temps de prévoir des positions pour leurs snipers en haut d’immeubles ou dans les édifices qui donnent sur les rues principales. Quand ils sont repérés, ils se déplacent, se faufilent parfois derrière la ligne de front pour tirer dans le dos de soldats qui tentent d’avancer.

Un sniper de l'EI s'est installé derrière l'Hôtel de la plaine verdoyante, au bord de la corniche, à une centaine de mètres d'un pont métallique que doivent reprendre les soldats irakiens. Le sergent Ali Karim monte au deuxième étage. Il s'arrête dans ce qui fut une chambre. Le plafond est à moitié effondré, le lit en morceaux, les portes arrachées. Dans un coin, un tas de cheveux et de poils de barbes rasées, vestiges laissés par des déserteurs de Daech. Un miroir a été posé sur deux bouts de bois. Dans son reflet, on aperçoit un bâtiment en parpaings percé de deux trous ronds. «C'est là qu'est leur sniper, dit le sergent, à moins de 30 mètres.» Il chuchote. «S'il nous entend, il va nous repérer et nous guetter jusqu'à ce qu'il puisse tirer.» Les soldats irakiens ne l'ont jamais vu. Mais ils le reconnaissent à l'oreille, à sa façon de tirer plusieurs coups d'affilée.

Dans les ruelles, la même tactique de dissimulation et d'attente est à l'œuvre. «Les combattants de Daech se cachent dans un coin ou même dans les décombres d'une maison. On passe sans les voir et c'est trop tard, ils ont le temps de tirer plusieurs rafales avant qu'on les abatte. Le problème est que les jihadistes qui sont encore là veulent mourir. Nos soldats se battent, mais ils veulent vivre et prendre leurs permissions. Pas eux», explique le colonel Aaref, chef des opérations de l'ERD.

Bulldozer piégé

Les jihadistes ont aussi une arme que n’ont pas leurs ennemis : les véhicules piégés. Dans les quartiers libérés, les carcasses de voitures calcinées, tordues, emmêlées sur elles-mêmes, gisent sur la chaussée. Certaines avaient le capot, les ailes et les portes avant blindées, les roues peintes en noir sur les plaques de métal pour faire croire à des voitures normales. Des bouts de moteur, des essieux, des morceaux de carrosserie traînent le long des rues.

Le 15 mars, c'est un bulldozer piégé, la cabine protégée par des plaques d'acier, qui a explosé juste à côté du siège du gouvernorat reconquis quelques jours plus tôt. L'engin, venu de la vieille ville, a profité d'un barrage mal tenu à un carrefour pour avancer. Son explosion a détruit plusieurs blindés. Le conducteur de l'un d'eux n'a pas survécu. Coincé sous le blindage du toit qui s'était effondré, il a brûlé vif. «On l'a entendu hurler à l'aide jusqu'à ce qu'il meure. On n'a rien pu faire : son blindé était coincé au milieu d'autres», lâche un soldat de son unité.

Dimanche en fin d’après-midi, un autre bulldozer a franchi la ligne de front et s’est approché du parc du musée de Mossoul. Il aurait pu continuer s’il n’avait été ralenti par un trou creusé par une frappe aérienne. Repéré, il a été bombardé par un avion de la coalition. L’explosion a créé une boule de feu enchâssée dans une fumée grise de plusieurs dizaines de mètres de hauteur. Le sol a tremblé et des débris ont survolé plusieurs rues avant de s’éparpiller à côté du parc. L’armée irakienne ne communique pas le nombre de ses morts mais au moins quatre soldats auraient été tués. Un officier et plusieurs de ses hommes ont été capturés.

Les militaires irakiens gardent l’avantage du nombre. Trois formations sont mobilisées à Mossoul-Ouest : l’ERD, la police fédérale et, plus à l’ouest, les unités de contre-terrorisme (CTS). Des divisions de l’armée régulière achèvent l’encerclement au nord. Au total, plusieurs milliers d’hommes sont déployés. En face, il resterait quelques centaines de jihadistes, peut-être un millier. Les commandants irakiens connaissent leurs principales positions. Elles sont marquées de points rouges sur les cartes téléchargées sur Internet qu’ils font défiler sur leurs tablettes. Les points désignent des snipers, des groupes de trois ou quatre hommes, des combattants qui ont des lance-roquettes. Il y en a des dizaines, il faut zoomer pour qu’ils ne se superposent plus. Quand les positions ennemies sont éliminées, elles passent en jaune.

L'armée irakienne maîtrise le ciel. Sans cesse, des hélicoptères de combats passent en bourdonnant. Ils effectuent les mêmes boucles. Ils s'approchent, piquent, mitraillent, tirent deux missiles et repartent. L'aviation de la coalition est là aussi, mais beaucoup moins active que durant la reconquête de Mossoul-Est. «Si l'on voulait, on pourrait reprendre la vieille ville en dix jours. Mais il ne resterait rien», avance le colonel Aaref.

Civils terrés

Personne ne semble savoir combien de civils sont toujours là. Des habitants de quartiers libérés disent qu'il y en a 250 000, sans que cela soit confirmé. «Ils sont coincés, Daech ne les laisse pas sortir. La dernière fois que j'ai pu parler à mes proches qui y vivent, c'était le 25 février. Ils étaient déjà épuisés et n'avaient plus rien à manger», s'inquiète Abou Abdallah Rezlani, un commerçant d'un quartier proche de l'aéroport. Les officiers de l'ERD affirment que les habitants se terrent dans les caves de leur maison. Ils affirment aussi qu'ils font tout pour éviter que les civils périssent dans les combats. «Les frappes des hélicoptères visent les étages. Celles des avions de la coalition sont trop puissantes, elles détruisent tout», note le colonel Falah. Des ONG, dont Human Rights Watch, se sont alarmées de la violence des bombardements.

Depuis le début de la semaine, plusieurs opérations ont été annulées, à cause de la pluie, qui gêne les hélicoptères, ou de plans qu'il faut revoir. Les soldats piétinent, sans s'en émouvoir. La plupart combattent l'EI depuis 2014, et ont l'habitude des batailles qui se font attendre. Ils patientent dans les immeubles en ruine qui bordent la vieille ville. Discutent, allument des feux dans les échoppes aux rideaux de fer déchirés, fument des narguilés. Le soldat Ali, 29 ans, montre les cicatrices de son bras droit, là où une balle l'a traversé lors de l'offensive de Ramadi, à la fin 2014. «Daech n'avait pas de tunnels là-bas, c'était des combats en face à face, raconte-t-il. Ici, ça a été facile au début mais maintenant, les combats sont féroces. Ils sont encerclés, ils vont faire tout ce qu'ils peuvent. Mais on gagnera, c'est juste une question de temps.» A quelques mètres, un soldat tire une roquette : il a vu des jihadistes bouger dans la vieille ville.

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