En 2016, Les magasins de Michel-Édouard Leclerc ont encore gagné 0,4 point de part de marché en France et, surtout, ils ont progressé de 2,5%. Étonnant quand l’heure est à la stagnation dans l’univers des produits de grande consommation.

CAPITAL : Quelle serait votre première réforme si vous étiez élu président ?
MICHEL-ÉDOUARD LECLERC : Je conseillerais de mettre à plat l’intégralité de la politique de formation professionnelle. C’est la clé de notre adaptation à la nouvelle économie. Les métiers sont tous impactés par la digitalisation. L’effort est colossal. Or le système actuel de formation est une sorte de raffinerie très coûteuse, avec une architecture et des procédures bien trop complexes ! Des milliers d’emplois ne trouvent pas preneur faute de compétences certifiées dans les métiers manuels ou de services. Et, en même temps, il manque des modules de formation pour les nouveaux jobs. Il faut aussi changer de culture pour pouvoir passer aisément d’un métier à l’autre, de l’entrepreneuriat au salariat, du public au privé…

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> Vidéo. Visionnez l'interview décalé de Michel-Édouard Leclerc :

Comment expliquez-vous votre croissance de 2,5% en 2016 ?
Cela fait six ans que E. Leclerc fait la course en tête en termes de croissance et gagne des parts de marché. Seul Lidl croît également cette année. Premièrement, nous avons su rester constants et fermes dans notre promesse sur les prix, malgré les pressions des ministères ou du lobby industriel. Ensuite, nous avons revitalisé toute notre offre alimentaire. Enfin, nous avons pris le parti de nous différencier par rapport à Intermarché, Système U ou Lidl, en étendant nos gammes non alimentaires. La cosmétique et la parapharmacie, par exemple, progressent chez nous de 6%. Notre place dans le multimédia, le culturel, le bricolage, le jardinage, le jouet ou l’auto s’est aussi renforcée. Nous avons cinq à six ans de croissance sous le pied.

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Pourquoi vous opposer à l’ouverture le dimanche si vous avez encore un fort potentiel de croissance ?
80% des salariés et des dirigeants de centres E. Leclerc sont demandeurs d’un jour de repos familial. D’où tire-t-on l’idée que l’ouverture le dimanche va créer des emplois et du chiffre d’affaires? Va-t-il y avoir une distribution de pouvoir d’achat ? Bien sûr que non. Dans la plupart des cas, cela se traduira par un lissage de l’activité sur sept jours au lieu de six avec des coûts marginaux plus élevés. Je comprends que certaines enseignes qui n’ont pas de modèle fort visent un petit surcroît de croissance avec cela. Seuls certains quartiers parisiens ou certaines zones touristiques ou en bénéficieraient.

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Il n’y a pas de «déconsommation», comme certains l’analysent, dans la grande distribution ?
Je crois plutôt à une autre consommation. Il y a des transferts de dépenses évidents. Le textile continue à régresser, les services progressent, notamment dans le domaine culturel. Les familles font des arbitrages plus longs, plus réfléchis, pour consommer mieux. On mange moins de viande, mais de meilleure qualité, on boit moins de vin, mais plus haut de gamme. Le bio est en hausse de 25% en 2016 chez E. Leclerc.

©Christophe Boulze pour Capital

Peut-on faire du bio pas cher ?
Selon la dernière enquête de vos confrères de «Linéaires», le bio est vendu 64% plus cher que le non-bio. Il est clair que certains s’en servent de caution pour augmenter leurs marges. Notre ambition est de le rendre accessible. Nous sommes déjà 14% moins chers que la moyenne de nos concurrents.

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Pour aboutir, allez-vous organiser des filières en amont ?
Nous avons commencé à le faire. Vu l’atomisation de l’offre, c’est le rôle de nos plates-formes régionales. Par exemple, le magasin bio E. Leclerc en test à Nice a passé des contrats avec des très petites entreprises de fruits et légumes de la région Paca. Nous aidons en particulier celles qui sont en phase de transition vers le bio.

Au-delà du bio, vous voulez faire la guerre aux pesticides et autres perturbateurs endocriniens…
J’ai proposé aux centres E. Leclerc de grimper d’ici 2020 sur le podium des enseignes les mieux-disantes en matière de développement durable et de qualité nutritionnelle. C’est un projet qui va tirer notre croissance. Notre Marque Repère prend un virage. Elle va imposer un cahier des charges plus exigeant tout en offrant aux consommateurs le niveau de prix le plus accessible. Nous avons regardé ce qui se fait de mieux chez nos partenaires européens (Coop Italia, Rewe, Ahold Delhaize). Certains concurrents français sont plus ou moins montés dans le train du développement durable mais à des prix très élevés. Les exigences que nous imposerons à nos MDD (marques de distributeurs), nous les attendrons aussi des grandes marques.

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Celles-ci ont regagné un peu de terrain sur les MDD, non ?
Oui, elles ont baissé leurs prix. En France, grâce à la loi LME, elles sont redescendues dans la moyenne européenne alors qu’elles étaient 7% au-dessus. C’est cet effet de ciseaux qui oblige les distributeurs à repositionner leurs marques propres. Les nôtres (Bio Village, Nos régions ont du talent) vont arrêter d’être challengers et revendiquer le projet commercial et sociétal de l’enseigne.

L’arrivée d’Amazon dans l’alimentaire, cela vous inquiète ?
Pour l’instant, c’est surtout un phénomène médiatique. A Paris, il pique le marché de Monoprix, qui est cher. Mais quand il s’agira, sur le même modèle, de venir livrer de l’alimentaire aux clients de Landerneau, il faudra qu’Amazon baisse sacrément ses prix. Amazon, c’est un modèle économique dont je peux beaucoup apprendre (logistique, place de marché…), mais que je ne peux pas copier. Mon banquier ne m’autorisera jamais à emprunter sur 15 ans sans faire de bénéfices d’exploitation. Et les adhérents de mon groupe doivent payer 700 millions d’impôts et taxes qu’Amazon ne paie pas.

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> Vidéo. La supérette du coin, l'autre cheval de bataille des grands de la distribution :

Vous ne croyez pas à la livraison alimentaire en ville ?
On ne peut pas faire des prix Leclerc en livrant le dernier kilomètre. En revanche , un drive urbain où les clients viendraient à pied ou en voiture chercher leur commande serait imbattable.

Le numérique va-t-il avoir la peau du commerce traditionnel ?
La réponse n’est pas binaire. Ce n’est pas tout ou rien. Le numérique est une formidable opportunité pour nos hypers d’accroître leur attractivité. E. Leclerc a choisi d’en être en devenant multicanal. Ce qui restera intangible, c’est la qualité de la promesse commerciale d’une marque ou d’une enseigne. S’il suffisait d’avoir la meilleure logistique ou la meilleure application pour devenir le meilleur commerçant, ça se saurait. La mutation technologique n’est pas tout.

Propos recueillis par Christophe David et Sophie Lécluse