Yémen, la guerre oubliée : deux ans après, la France critiquée pour ses ventes d'armes à l'Arabie Saoudite

Publié le 24 mars 2017 à 11h00
Yémen, la guerre oubliée  : deux ans après, la France critiquée pour ses ventes d'armes à l'Arabie Saoudite

DÉCRYPTAGE - Le Yémen est plus instable que jamais, deux ans jour pour jour après le début de l'intervention militaire d’une coalition arabe dirigée par l'Arabie Saoudite. Cette monarchie du Golfe bénéficie des transferts d'armes "made in France". Au risque d'être utilisées pour commettre des violations graves des droits humains, estime Amnesty International.

Du jamais vu depuis… 1950. Selon le SIPRI, un cabinet d'études suédois spécialiste de l'économie de Défense, le marché mondial de l'armement ne s'est jamais aussi bien porté. Un juteux marché porté par l’appétit d’ogre de l’Arabie Saoudite, et qui rapporte gros à la France : en 2015, cette dernière a accordé à la monarchie pour plus de 16 milliards d’euros de licences et lui a livré pour près de 900 millions d’euros d’équipements. Des armes qui, selon l'ONG, seraient utilisées - pour certaines - sur le délicat terrain de guerre qu'est devenu le Yémen.

À l’occasion du 2e anniversaire du conflit, Amnesty International a voulu marquer le coup. Jeudi, huit pierres tombales portant l'inscription "Les civils ne sont pas des cibles" ont été installées derrière le mur de la paix (Paris 7eme), avec une bannière portant l'inscription "Conflit au Yémen : la France complice". Une position assumée auprès de LCI par Aymeric Elluin, chargé de plaidoyer armes chez Amnesty France : "Nous n'avons pas de preuve que des armes françaises aient pu servir à commettre des crimes de guerre au Yémen. Mais le risque est suffisamment grand, et le droit international le prévoit, pour souligner le risque que la France puisse être à un moment ou à un autre complice de crime de guerre."

16 milliards d’euros de ventes d’armes autorisées par la France

Quelques chiffres suffisent à comprendre la proximité économique entre Ryad et Paris : selon le rapport de Control Arms paru en février 2016, la France a autorisé 16 milliards d’euros de ventes d’armes à l’Arabie saoudite en 2015, loin devant les États-Unis (5,2 milliards d’euros) et le Royaume-Uni (3,5 milliards d’euros). Problème : la France est partie au Traité sur le Commerce des Armes (TCA), qui vise notamment à empêcher toute exportation d’armes s'il existe le moindre risque qu'elles puissent être utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves des droits humains.

Un constat qui a poussé Amnesty à interpeller directement les autorités françaises. Réponse début mars, par un courrier (dont nous avons pu consulter un extrait) : "On nous a expliqué que tout cela est en lien avec la nécessité de supporter la lutte contre le terrorisme, abonde Aymeric Elluin. Cela pose un problème car à aucun moment cela n'est stipulé dans la position commune des Etats, qui devraient faire un équilibre entre le respect des droits de l'homme et cette lutte." Et le chargé de mission d'ajouter : " Ce courrier nous précise que la sécurité civile est prise en compte lors des exportations des équipements. Sauf que cela veut tout dire et rien dire : de quels équipements parlons-nous, de quelles missions ? Est-ce pour un usage en interne, au Yémen ? La plupart des armes peuvent servir contre les civils. .. Il y a un manque de transparence considérable."

Yémen : à Houdieda, 100 000 enfants menacés par la malnutritionSource : Sujet JT LCI
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"L'embargo sur les armes est devenu de facto un blocus humanitaire"

Contactée par LCI,  une source diplomatique assure que la France agit en respect des règles européennes en la matière. "Nous exerçons une vigilance particulière dans l’instruction des demandes de licence d’exportation. Celle-ci est fondée sur une analyse au cas par cas de chaque demande, tenant notamment compte de la nature des matériels, de l’utilisateur final, des questions de respect des droits de l’Homme, de la stabilité régionale et de la nécessité de soutenir la lutte contre le terrorisme", estime-t-on au Quai d'Orsay.

Pour plusieurs ONG, ce "business" se révèle pourtant inconcevable. Six d'entre elles - Médecins du Monde, Care, Solidarités international, Première Urgence internationale, Action contre la Faim et Handicap International- ont dénoncé mercredi une crise humanitaire sans précédent : dix-neuf millions de personnes au Yémen, soit 60% de la population, sont en situation d'insécurité alimentaire. Une insécurité à laquelle participe le commerce des armes. "L'embargo sur les armes (instauré en avril 2015 par l'ONU) est devenu de facto un blocus humanitaire", a dénoncé le docteur Serge Breysse, d'ACF. A titre d'exemple, un bateau chargé d'aide de Première urgence est bloqué depuis janvier car il ne peut accéder au principal port de Hodaida.

Ce jeudi, Amnesty précise que la France n'est évidemment pas le seul pays à entretenir des liens économiques avec l'Arabie Saoudite. L'ONG rappelle que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont livré pour plus de 5 milliards de dollars d'armes à l'Arabie saoudite depuis qu'elle est intervenue il y a deux ans au Yémen à la tête d'une coalition militaire arabe. Ce montant est 10 fois supérieur à l'aide que ces deux pays ont apporté au Yémen en deux ans,  selon elle. La guerre, elle, a fait près de 7.700 morts, en majorité des civils, et plus de 42.500 blessés, selon l'ONU.


Thomas GUIEN

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