Viol collectif présumé : «La victime peut ne pas se débattre»

La psychiatre Muriel Salmona, indignée par l'acquittement des accusés d'un viol collectif, juge « inconcevable » le consentement chez une victime de moins de 15 ans. Entretien, avant le procès en appel.

La psychiatre Muriel Salmona.
La psychiatre Muriel Salmona. (PHOTOPQR/LA MONTAGNE)

    L'indignation allait crescendo depuis le week-end. Jeudi, en décidant de faire appel du verdict d'acquittement des accusés du viol collectif d'une adolescente de 14 ans, le parquet général de Versailles (Yvelines) met fin à une polémique qui se serait à coup sûr amplifiée. En trois jours, 33 000 personnes ont signé la pétition de Muriel Salmona, psychiatre fondatrice de l' association Mémoire traumatique et victimologie, demandant au ministère public de faire appel. Les Femen l'ont relayée et ont publié des photos chocs assimilant ce verdict, rendu le 17 mars par la cour d'assises des mineurs des Hauts-de-Seine, à un «permis de violer».

    Le procès en question portait sur les faits survenus une nuit de septembre 2011 à Antony (Hauts-de-Seine), quand une adolescente de 14 ans a ouvert la porte à un copain. Sept garçons ont suivi, la soumettant tour à tour à leurs désirs. Selon eux, elle était d'accord et il semble que les jurés l'aient admis. «L'acquittement ne repose pas que sur la question du consentement, s'insurge M e Cécile Miceli, avocate de l'un des accusés. Mais aussi sur les contradictions, les incohérences de la plaignante.»

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    Pour la psychiatre Muriel Salmona, les incohérences sont «normales». Elle affirme aussi que la question du consentement ne devrait pas se poser.

    Comment comprenez-vous l'acquittement général pour viol collectif ?

    Muriel Salmona. D'abord, je remarque que, si cette affaire est allée jusqu'à la cour d'assises, c'est qu'il y avait des éléments sérieux puisque seulement 10 % des plaintes pour viol aboutissent à un procès criminel. Je déduis de l'acquittement que, comme dans la plupart des dossiers, les jurés n'ont sans doute pas analysé le fait que la jeune fille ne s'est pas opposée. Il y a une grande méconnaissance des troubles traumatiques alors que l'explication est là. En état de stress aigu, le cerveau déclenche des mécanismes de défense qui anéantissent les émotions. C'est la dissociation. C'est pour cela que les victimes se taisent, se soumettent, ne se débattent pas. Voire obéissent à leurs agresseurs. Personne ne trouve rien à redire de ce comportement quand il s'agit de victimes d'attentat qui, sidérées, ne bougent pas non plus et ne livrent pas forcément des récits cohérents, alors que c'est normal. Mais pour les victimes de viol, la dissociation est confondue avec le consentement.

    Vous dites le consentement inconcevable dans cette affaire. Pourquoi ?

    Comment peut-on imaginer qu'une jeune fille de 14 ans consente à des relations sexuelles avec tout un groupe ? Le nombre d'agresseurs induit la contrainte morale. Et le viol, c'est le fait d'imposer une relation sexuelle notamment par la contrainte, qui n'est pas seulement physique mais peut aussi être morale. En plus, cette jeune fille, dont le père a été condamné pour l'avoir violée, était de facto en grande vulnérabilité. Ce qui rend son consentement encore plus inconcevable.

    J'estime que pour les mineurs de 15 ans, donc en dessous de la majorité sexuelle, il ne peut y avoir consentement, et il faudrait l'inscrire dans la loi. Aujourd'hui, la loi n'empêche pas de considérer qu'en enfant de 8 ou 9 ans soit consentant, c'est aberrant.

    Quelles conséquences peut avoir un acquittement pour les victimes ?

    Je n'ai pas en mémoire un tel précédent. Mais, quand les peines sont légères, certaines ont des tendances suicidaires, je le vois avec beaucoup de mes patientes. L'une d'elles, pour des faits qui ont dix ans, mais qui est toujours menacée par ses agresseurs pour les avoir dénoncés, a décidé d'avoir recours à la chirurgie esthétique pour changer de visage et a lancé une procédure de changement de nom.