LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Niveau de vie : la France des déclassés

Par Anne-Sophie Lechevallier et Pauline Lallement , Mis à jour le

Après le Brexit et l’élection de Trump, les citoyens français vont-ils faire mentir les sondages? Match a enquêté dans cinq communes où le niveau de vie baisse.

Jacob Loison 35 ans Pas un jour de repos pour cet éleveur de fervaques qui trime pour rembourser ses emprunts. Il a repris l’exploitation familiale en 2006. Nathalie, sa compagne, l’a rejoint sur la ferme.
Jacob Loison 35 ans Pas un jour de repos pour cet éleveur de fervaques qui trime pour rembourser ses emprunts. Il a repris l’exploitation familiale en 2006. Nathalie, sa compagne, l’a rejoint sur la ferme. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
1/12
EDGAR AUMONT  54 ans, boucher « LES GENS N’ONT PLUS LES MOYENS DE CONSOMMER DE LA VIANDE» Installé à son compte depuis 2013, il est aux premières loges pour constater le déclassement.
EDGAR AUMONT 54 ans, boucher « LES GENS N’ONT PLUS LES MOYENS DE CONSOMMER DE LA VIANDE» Installé à son compte depuis 2013, il est aux premières loges pour constater le déclassement. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
2/12
VALÉRIE LAMI 39 ans, pharmacienne ELLE A FAILLI METTRE LA CLÉ SOUS LA PORTE APRÈS LE DÉPART DU MÉDECIN Six ans d’études pour 2
VALÉRIE LAMI 39 ans, pharmacienne ELLE A FAILLI METTRE LA CLÉ SOUS LA PORTE APRÈS LE DÉPART DU MÉDECIN Six ans d’études pour 2 © Cyril Marcilhacy / Cosmos
3/12
MARTHE LOISON 63 ans, bistrotière Elle gagne trois fois moins qu'à ses débuts En 1991, Marthe a repris un petit établissement pour payer les études de leurs trois enfants. Elle a dû fermer ses quelques chambres qui n’étaient plus aux normes mais reçoit toujours à sa table les ouvriers du coin. Son mari, Jacques, ancien éleveur, a cédé l’exploitation à leur fils, Jacob.
MARTHE LOISON 63 ans, bistrotière Elle gagne trois fois moins qu'à ses débuts En 1991, Marthe a repris un petit établissement pour payer les études de leurs trois enfants. Elle a dû fermer ses quelques chambres qui n’étaient plus aux normes mais reçoit toujours à sa table les ouvriers du coin. Son mari, Jacques, ancien éleveur, a cédé l’exploitation à leur fils, Jacob. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
4/12
NOUREDDINE ZAÏ 40 ans, ouvrier IL REDOUTE LA FERMETURE DE L’ENTREPRISE OÙ SON PÈRE TRAVAILLAIT AVANT LUI Il a vu fondre les effectifs de son usine en vingt ans.
NOUREDDINE ZAÏ 40 ans, ouvrier IL REDOUTE LA FERMETURE DE L’ENTREPRISE OÙ SON PÈRE TRAVAILLAIT AVANT LUI Il a vu fondre les effectifs de son usine en vingt ans. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
5/12
CHRISTOPHE ANDRETTO 61 ans, carrossier CE FAN DE FOOT NE PEUT PLUS SE PAYER DE LOISIRS Il a repris en 2008 l’atelier de son père, à Revin. A la retraite, il mettra la clé sous la porte mais vieillira ici. Sa femme, Stéphanie, l’aide. Elle touche 700 euros par mois.
CHRISTOPHE ANDRETTO 61 ans, carrossier CE FAN DE FOOT NE PEUT PLUS SE PAYER DE LOISIRS Il a repris en 2008 l’atelier de son père, à Revin. A la retraite, il mettra la clé sous la porte mais vieillira ici. Sa femme, Stéphanie, l’aide. Elle touche 700 euros par mois. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
6/12
MALIKA LAKHDARI 59 ans, aide à domicile ANCIENNE OUVRIÈRE, ELLE A DÛ SE RECONVERTIR L’aide à la personne est le plus important pourvoyeur d’emplois de la région, à la suite du vieillissement de la population. Elle vit à Revin, avec sa fille.
MALIKA LAKHDARI 59 ans, aide à domicile ANCIENNE OUVRIÈRE, ELLE A DÛ SE RECONVERTIR L’aide à la personne est le plus important pourvoyeur d’emplois de la région, à la suite du vieillissement de la population. Elle vit à Revin, avec sa fille. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
7/12
LINE, 60 ans, infirmière, et RÉGIS VIERNE, 61 ans, retraité IL A ÉTÉ LICENCIÉ DE RICHARD DUCROS À 55 ANS Six ans plus tard, la procédure contre son ancien employeur n’est pas encore terminée. Ici, dans la cour de leur maison, à Alès, dans le Gard.
LINE, 60 ans, infirmière, et RÉGIS VIERNE, 61 ans, retraité IL A ÉTÉ LICENCIÉ DE RICHARD DUCROS À 55 ANS Six ans plus tard, la procédure contre son ancien employeur n’est pas encore terminée. Ici, dans la cour de leur maison, à Alès, dans le Gard. © S. Dock
8/12
MARIE-CLAUDE MORIAU 62 ans, adjointe aux affaires sociales A LA MAIRIE DE REVIN, ELLE REÇOIT SES ANCIENS COLLÈGUES, CHÔMEURS EN FIN DE DROITSDéléguée syndicale, elle a occupé pendant trente-huit ans plusieurs fonctions dans l’entreprise Porcher.
MARIE-CLAUDE MORIAU 62 ans, adjointe aux affaires sociales A LA MAIRIE DE REVIN, ELLE REÇOIT SES ANCIENS COLLÈGUES, CHÔMEURS EN FIN DE DROITSDéléguée syndicale, elle a occupé pendant trente-huit ans plusieurs fonctions dans l’entreprise Porcher. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
9/12
PATRICK LIETARD 62 ans, au RSA IL A CONNU LA BELLE VIE MAIS A A RATÉ SA RECONVERSION Ancien chauffeur indépendant, notamment pour la Caisse minière d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, il s’est essayé au commerce de l’habillement. Aujourd’hui, il galère.
PATRICK LIETARD 62 ans, au RSA IL A CONNU LA BELLE VIE MAIS A A RATÉ SA RECONVERSION Ancien chauffeur indépendant, notamment pour la Caisse minière d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, il s’est essayé au commerce de l’habillement. Aujourd’hui, il galère. © S. Dock
10/12
CLAUDE DUVALET  62 ans, retraité APRÈS 40 ANS DE TRAVAIL, IL TOUCHE 698EUROS PAR MOIS L’ancien viticulteur à La Bruguière, dans le Gard, a cédé son exploitation à son fils mais continue de l’aider. Celui-ci n’a pas les moyens d’embaucher.
CLAUDE DUVALET 62 ans, retraité APRÈS 40 ANS DE TRAVAIL, IL TOUCHE 698EUROS PAR MOIS L’ancien viticulteur à La Bruguière, dans le Gard, a cédé son exploitation à son fils mais continue de l’aider. Celui-ci n’a pas les moyens d’embaucher. © S. Dock
11/12
PASCAL PEREIRA 55 ans, ouvrier SES COPAINS ONT ÉTÉ LICENCIÉS LES UNS APRÈS LES AUTRES Tous les jours, à Revin, le salarié de Selni les retrouve sur le terrain de pétanque.
PASCAL PEREIRA 55 ans, ouvrier SES COPAINS ONT ÉTÉ LICENCIÉS LES UNS APRÈS LES AUTRES Tous les jours, à Revin, le salarié de Selni les retrouve sur le terrain de pétanque. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
12/12
Jacob Loison 35 ans Pas un jour de repos pour cet éleveur de fervaques qui trime pour rembourser ses emprunts. Il a repris l’exploitation familiale en 2006. Nathalie, sa compagne, l’a rejoint sur la ferme.
Jacob Loison 35 ans Pas un jour de repos pour cet éleveur de fervaques qui trime pour rembourser ses emprunts. Il a repris l’exploitation familiale en 2006. Nathalie, sa compagne, l’a rejoint sur la ferme. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
1/12
EDGAR AUMONT  54 ans, boucher « LES GENS N’ONT PLUS LES MOYENS DE CONSOMMER DE LA VIANDE» Installé à son compte depuis 2013, il est aux premières loges pour constater le déclassement.
EDGAR AUMONT 54 ans, boucher « LES GENS N’ONT PLUS LES MOYENS DE CONSOMMER DE LA VIANDE» Installé à son compte depuis 2013, il est aux premières loges pour constater le déclassement. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
2/12
VALÉRIE LAMI 39 ans, pharmacienne ELLE A FAILLI METTRE LA CLÉ SOUS LA PORTE APRÈS LE DÉPART DU MÉDECIN Six ans d’études pour 2
VALÉRIE LAMI 39 ans, pharmacienne ELLE A FAILLI METTRE LA CLÉ SOUS LA PORTE APRÈS LE DÉPART DU MÉDECIN Six ans d’études pour 2 © Cyril Marcilhacy / Cosmos
3/12
Publicité
MARTHE LOISON 63 ans, bistrotière Elle gagne trois fois moins qu'à ses débuts En 1991, Marthe a repris un petit établissement pour payer les études de leurs trois enfants. Elle a dû fermer ses quelques chambres qui n’étaient plus aux normes mais reçoit toujours à sa table les ouvriers du coin. Son mari, Jacques, ancien éleveur, a cédé l’exploitation à leur fils, Jacob.
MARTHE LOISON 63 ans, bistrotière Elle gagne trois fois moins qu'à ses débuts En 1991, Marthe a repris un petit établissement pour payer les études de leurs trois enfants. Elle a dû fermer ses quelques chambres qui n’étaient plus aux normes mais reçoit toujours à sa table les ouvriers du coin. Son mari, Jacques, ancien éleveur, a cédé l’exploitation à leur fils, Jacob. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
4/12
NOUREDDINE ZAÏ 40 ans, ouvrier IL REDOUTE LA FERMETURE DE L’ENTREPRISE OÙ SON PÈRE TRAVAILLAIT AVANT LUI Il a vu fondre les effectifs de son usine en vingt ans.
NOUREDDINE ZAÏ 40 ans, ouvrier IL REDOUTE LA FERMETURE DE L’ENTREPRISE OÙ SON PÈRE TRAVAILLAIT AVANT LUI Il a vu fondre les effectifs de son usine en vingt ans. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
5/12
CHRISTOPHE ANDRETTO 61 ans, carrossier CE FAN DE FOOT NE PEUT PLUS SE PAYER DE LOISIRS Il a repris en 2008 l’atelier de son père, à Revin. A la retraite, il mettra la clé sous la porte mais vieillira ici. Sa femme, Stéphanie, l’aide. Elle touche 700 euros par mois.
CHRISTOPHE ANDRETTO 61 ans, carrossier CE FAN DE FOOT NE PEUT PLUS SE PAYER DE LOISIRS Il a repris en 2008 l’atelier de son père, à Revin. A la retraite, il mettra la clé sous la porte mais vieillira ici. Sa femme, Stéphanie, l’aide. Elle touche 700 euros par mois. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
6/12
Publicité
MALIKA LAKHDARI 59 ans, aide à domicile ANCIENNE OUVRIÈRE, ELLE A DÛ SE RECONVERTIR L’aide à la personne est le plus important pourvoyeur d’emplois de la région, à la suite du vieillissement de la population. Elle vit à Revin, avec sa fille.
MALIKA LAKHDARI 59 ans, aide à domicile ANCIENNE OUVRIÈRE, ELLE A DÛ SE RECONVERTIR L’aide à la personne est le plus important pourvoyeur d’emplois de la région, à la suite du vieillissement de la population. Elle vit à Revin, avec sa fille. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
7/12
LINE, 60 ans, infirmière, et RÉGIS VIERNE, 61 ans, retraité IL A ÉTÉ LICENCIÉ DE RICHARD DUCROS À 55 ANS Six ans plus tard, la procédure contre son ancien employeur n’est pas encore terminée. Ici, dans la cour de leur maison, à Alès, dans le Gard.
LINE, 60 ans, infirmière, et RÉGIS VIERNE, 61 ans, retraité IL A ÉTÉ LICENCIÉ DE RICHARD DUCROS À 55 ANS Six ans plus tard, la procédure contre son ancien employeur n’est pas encore terminée. Ici, dans la cour de leur maison, à Alès, dans le Gard. © S. Dock
8/12
MARIE-CLAUDE MORIAU 62 ans, adjointe aux affaires sociales A LA MAIRIE DE REVIN, ELLE REÇOIT SES ANCIENS COLLÈGUES, CHÔMEURS EN FIN DE DROITSDéléguée syndicale, elle a occupé pendant trente-huit ans plusieurs fonctions dans l’entreprise Porcher.
MARIE-CLAUDE MORIAU 62 ans, adjointe aux affaires sociales A LA MAIRIE DE REVIN, ELLE REÇOIT SES ANCIENS COLLÈGUES, CHÔMEURS EN FIN DE DROITSDéléguée syndicale, elle a occupé pendant trente-huit ans plusieurs fonctions dans l’entreprise Porcher. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
9/12
Publicité
PATRICK LIETARD 62 ans, au RSA IL A CONNU LA BELLE VIE MAIS A A RATÉ SA RECONVERSION Ancien chauffeur indépendant, notamment pour la Caisse minière d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, il s’est essayé au commerce de l’habillement. Aujourd’hui, il galère.
PATRICK LIETARD 62 ans, au RSA IL A CONNU LA BELLE VIE MAIS A A RATÉ SA RECONVERSION Ancien chauffeur indépendant, notamment pour la Caisse minière d’Auchel, dans le Pas-de-Calais, il s’est essayé au commerce de l’habillement. Aujourd’hui, il galère. © S. Dock
10/12
CLAUDE DUVALET  62 ans, retraité APRÈS 40 ANS DE TRAVAIL, IL TOUCHE 698EUROS PAR MOIS L’ancien viticulteur à La Bruguière, dans le Gard, a cédé son exploitation à son fils mais continue de l’aider. Celui-ci n’a pas les moyens d’embaucher.
CLAUDE DUVALET 62 ans, retraité APRÈS 40 ANS DE TRAVAIL, IL TOUCHE 698EUROS PAR MOIS L’ancien viticulteur à La Bruguière, dans le Gard, a cédé son exploitation à son fils mais continue de l’aider. Celui-ci n’a pas les moyens d’embaucher. © S. Dock
11/12
PASCAL PEREIRA 55 ans, ouvrier SES COPAINS ONT ÉTÉ LICENCIÉS LES UNS APRÈS LES AUTRES Tous les jours, à Revin, le salarié de Selni les retrouve sur le terrain de pétanque.
PASCAL PEREIRA 55 ans, ouvrier SES COPAINS ONT ÉTÉ LICENCIÉS LES UNS APRÈS LES AUTRES Tous les jours, à Revin, le salarié de Selni les retrouve sur le terrain de pétanque. © Cyril Marcilhacy / Cosmos
12/12
Publicité
Publicité

Fervaques, dans le pays d’Auge, la rue Marcel-Gambier va devenir la rue du Lieutenant-Clarke. Deux hommes morts au combat. Le premier, tombé dans la Marne, en 1917 ; le second, Britannique, fauché en août 1944 à Fervaques. Ce village doit faire l’inventaire de ses héros pour rebaptiser une vingtaine de ses rues, des voies portent les mêmes noms à Livarot. Or les deux bourgs ont fusionné (avec vingt autres) dans une commune nouvelle, Livarot-Pays d’Auge. Fervaques, un « petit pays », s’efface. Ses 670 habitants n’ont pas fait le poids face aux 2 140 Livarotais.

Publicité

Lire aussi : Le coût de la vie à Paris : les statistiques en infographie

La suite après cette publicité

Marthe Loison, au bar-tabac du Commerce, sis au 11 de la rue Marcel-Gambier, espère qu’elle aura vendu avant le changement de nom. Cela lui épargnerait des heures de paperasse pour signaler ce déménagement qui n’en est pas un. Mais le dernier café-restaurant ne trouve pas preneur. « Les banques ne font pas confiance, constate-t-elle en servant une tablée d’ouvriers. Je gagne 560 euros par mois, sans compter ma pension. J’ai connu la période où c’était trois fois plus. Il y a moins de touristes et les gens, quand les paniers-repas ont remplacé les Ticket Restaurant, ont préféré garder l’argent. »

La suite après cette publicité

Lire aussi : Sous le froid, les mille visages de la pauvreté

Marthe n’est pas surprise quand on lui parle de déclassement. Fervaques, avec ses maisons à colombages et son château où séjournèrent Henri IV puis Chateaubriand, ne ressemble pas à un bourg fantôme. Certes, les annonces « bail à céder » jaunissent dans plusieurs vitrines. Mais il reste une école, une bibliothèque et des commerces. Fervaques est encore vivant. Valérie Lami, 39 ans, tient la pharmacie depuis huit ans. « En 2015, quand le généraliste est parti à Lisieux, mon revenu a baissé de 20 % car les patients vont à la pharmacie la plus proche. Je me suis invitée au conseil municipal et j’ai dit : “Là, c’est le médecin ; l’an prochain, c’est moi.” Nous avons fait appel à un cabinet de recrutement de médecins étrangers, la commune a payé 12 000 euros, et une Roumaine de 55 ans s’est s’installée. Dans les années 1980, la pharmacie, c’était la poule aux œufs d’or. C’est fini. Je gagne 2 000 euros par mois. Nous avons fait six ans d’études, nous sommes plus des professions libérales que des commerçants, il serait normal de mieux gagner notre vie. »

La suite après cette publicité
La suite après cette publicité

En trente ans, le logement a remplacé l’alimentaire comme premier poste du budget des Français

La pharmacie est sauvée, mais les services publics se font plus rares. Danielle Mas, 64 ans, secrétaire de mairie pendant trente-deux ans, raconte : « La poste a fermé en 2008, une agence postale a été installée. Pour retirer plus de 300 euros ou changer d’adresse, il faut aller à Livarot ou à Lisieux. Quand je travaillais, on faisait beaucoup de social. Les personnes âgées venaient raconter leur vie. Aujourd’hui, les heures d’ouverture au public se réduisent, on va vers un isolement complet du monde rural. Et encore, nous avons la chance d’avoir des commerces. Avec ma retraite, je peux y acheter de la bonne viande, mais les jeunes, avec de grandes familles, ils ne peuvent aller qu’au supermarché. »
« En trente ans, le logement a remplacé l’alimentaire comme premier poste du budget des Français », rappelle le sociologue Louis Chauvel (1), qui a théorisé la spirale du déclassement. « Les dépenses contraintes ont aussi réduit la part des achats plaisir. Le déclassement atteint la qualité de vie. » A la maison, les besoins évoluent. Odette Mary, ancienne ouvrière, constate : « Les gens se plaignent beaucoup, mais ils veulent tout avoir. Aujourd’hui, il faut un portable, Internet… Je pense que les jeunes vivent moins bien que moi, et pourtant je n’ai jamais eu les moyens d’avoir une voiture. Matin et soir, pendant vingt-trois ans, je suis allée à l’usine, à 7 kilomètres, en stop. »

Marthe Loison tient le seul café de Fervaques.
Marthe Loison tient le seul café de Fervaques. © Cyril Marcilhacy

Nombreux sont ceux qui ont le sentiment de stagner ou de voir leur niveau de vie régresser par rapport à celui de leurs parents. Le fils de Marthe, Jacob, 35 ans, a repris la ferme de son père en 2006. L’an dernier, il s’est associé avec Nathalie, sa compagne. Leurs journées s’étirent de 7 h 30 à 21 heures, samedi et dimanche compris, rythmées par les deux traites de leurs 80 holstein et les soins des 25 veaux de race montbéliarde… « Je vends le kilo de viande et le litre de lait au même prix que mes parents il y a vingt ans. Je ne pense pas que nous vivions mieux qu’eux, même si c’était dur aussi. On court plus, on est pendus au téléphone, toujours à gérer les rendez-vous. Je ne peux prendre une salariée que quinze heures par semaine, pour aider, le soir, quand Nathalie s’occupe des filles. Ça me coûterait moins cher d’acheter un robot que d’embaucher ! » Le 23 avril, Jacob glissera un bulletin Fillon dans l’urne. « Quitter l’Europe comme le propose Marine Le Pen, c’est une mauvaise idée. On serait pas bien », dit celui qui touche des subventions de Bruxelles.

Longtemps, Fervaques a voté comme la France. Sarkozy en 2007, Hollande en 2012. Mais cette année-là Marine Le Pen avait recueilli 93 voix au premier tour contre 90 pour le socialiste. Cinq ans plus tard, ils sont déboussolés. Valérie, la pharmacienne : « J’étais partie pour choisir Fillon. C’était une solution de moindre mal. Et là… » Marthe se déplacera aussi, c’est « un devoir » transmis par sa mère, résistante gaulliste : « J’allais voter Fillon, maintenant je me pose des questions. Si Marine Le Pen est élue, je déménage tout de suite. Elle va tout déglinguer. » Son mari, lui, n’exclut pas de voter FN : « C’est la dernière ressource quand on peut plus faire autre chose, même si ça ne correspond pas à ce qu’on pense. Et puis je suis d’accord pour commencer par servir les Français. » Pour Odette, l’ancienne ouvrière, la politique en ce moment, « ce n’est pas mirobolant. De Gaulle, au moins, ne promettait rien. » Danielle, l’ancienne secrétaire de mairie : « Il y a un écœurement. Ici, les gens ne disent pas ouvertement qu’ils votent FN, ils votent par dépit. Je ne sais pas s’ils se rendent compte de l’impact que ça peut avoir. Ils ne sont pas racistes, ils n’en veulent pas aux migrants, ils en veulent aux politiques. Moi, j’ai toujours voté socialiste. Et là, je ne sais pas. »

"Mon père a travaillé toute sa vie, moi aussi, et je gagne moins d’argent. Je ne veux pas que mon fils ait la même vie"

Revin, dans les Ardennes. Chaque soir, en bord de Meuse, c’est le même rituel. Une bande de copains se retrouvent au boulodrome et se souviennent d’un âge d’or révolu : les 12 000 habitants, les cheminées fumantes et les cafés bondés à la fin des trois-huit. Pascal Pereira, 55 ans, petit-fils d’immigrés portugais, travaille toujours sur la même ligne de fabrication à l’usine, mais il a vu défiler les employeurs : Arthur Martin, Electrolux en 1976, puis, en 2014, Selni, fabricant de moteurs de lave-linge. Ils ne sont plus que 180 dans l’usine, silencieuse et vide, qui accueillait jusqu’à 3 000 ouvriers. « J’espère partir à 60 ans, sans passer par la case chômage », confie Pascal. Son partenaire de pétanque lance : « Les gouvernements ont laissé filer les entreprises à l’étranger, ils nous ont oubliés. » Alors, à Revin, on vivote sans se plaindre. Pascal raconte : « On a fait un seul enfant, pour être sûrs de subvenir à ses besoins. »

La moitié de la population a abandonné la vallée. Christophe Andretto, 49 ans, carrossier de père en fils, s’est résigné : « Mon père a travaillé toute sa vie, moi aussi, et je gagne moins d’argent. Je ne veux pas que mon fils ait la même vie. Je préfère abandonner l’affaire familiale. » Quand il a pris la suite de son père, les salaires atteignaient 1 800 euros, il en gagne désormais 1 450. Il poursuit : « On a toujours plus de charges, je ne m’en sors pas. Regardez mes cernes ! Les voitures ne circulent plus. Le pire, c’est l’immobilier. Il y a dix ans, j’ai acheté ma maison 135 000 euros. Aujourd’hui, il y en a plus d’une centaine à vendre dans Revin, et celles à 35 000 euros ne partent pas. Les politiques ne connaissent pas notre quotidien. La dernière fois, j’ai voté à droite, mais là j’hésite à me déplacer. » Le sociologue Christophe Guilluy s’est penché sur le cas de Revin (2), sur la question de ces biens immobiliers qui se déprécient au rythme de l’érosion de la population : « Cette impasse est le moteur de toutes les radicalités sociales mais aussi politiques. »

"Je vais voter Mélenchon, comme je l’ai toujours fait, même quand j’étais mon patron"

A 210 kilomètres de là, à Auchel, dans le Pas-de-Calais, Louise (le prénom a été changé), septuagénaire, vide son grenier. Son mari, policier, est mort il y a deux ans. Cette ancienne couturière, qui a grandi dans les corons, tient les comptes : « Je ne touche que la moitié de la retraite de mon mari, soit 1 017 euros. Alors je ne donne plus que 50 euros, au lieu de 100, aux anniversaires des petits. » La politique l’énerve. « Dès qu’ils élèvent la voix, je coupe la télé. » Celle qui a une photo de de Gaulle dans son salon finit par murmurer : « Je pourrais être partante pour Marine. C’est différent du père, qui est un raciste. »

A quelques rues, Patrick Lietard est le huitième d’une fratrie de quinze. De sa fenêtre, il a vue sur la maternité où il est né le 16 mars 1956. Petit, il rêvait de devenir pompier ou gendarme, mais il a été diagnostiqué daltonien. En 2000, il devient chauffeur de voiture de petite remise. « Je transportais des mineurs pour leurs visites médicales, par exemple. L’Etat et la Caisse minière prenaient en charge les déplacements. Je faisais 110 000 kilomètres par an en Alfa Romeo. » Ses plus belles années. « J’allais au restaurant avec les pourboires, je pouvais atteindre 1 000 euros par jour ! C’était exceptionnel, mais cela arrivait. » Ses yeux s’embuent. « Le 5 janvier 2009, à 17 h 30, la préfecture m’appelle : les taxis se sont plaints d’une concurrence déloyale. J’ai tout perdu. » Patrick touche désormais 670 euros, le RSA. Dans son jardin, il plante quelques légumes pour moins dépenser. « Je vais voter Mélenchon, comme je l’ai toujours fait, même quand j’étais mon patron. Je respecte la tradition communiste de ma famille. » Aujourd’hui, il joue son avenir au tiercé. Le regard dans le vide, il lâche : « Parfois, j’en veux à tout le monde. » 

Enquête Caroline Petit
Paris Match a choisi 5 communes qui, entre 2004 et 2014, ont vu le revenu fiscal de référence par foyer baisser ou stagner, alors qu’en France en moyenne, il augmentait.
(1) « La spirale du déclassement », éd. Seuil.
(2) « La France périphérique », éd. Flammarion.

Contenus sponsorisés

Publicité