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Violées et présumées coupables

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© Getty Images/EyeEm

Oui, Jane Fonda aussi. Après Flavie Flament, AnnaLynne McCord ou Madonna, l’interprète mythique de Barbarella vient de révéler avoir subi des violences sexuelles au cours de sa vie. Un type de coming out qui s’est multiplié chez les people, ces dernières années. Avec pour effet commun ce constat terrifiant: hier comme aujourd’hui, une femme est toujours un peu coupable de son propre viol. Aux yeux des autres, de la société et d’elle-même. «Ça m’a pris du temps de m’avouer que j’avais été violée, témoignait de son côté Lady Gaga sur Instagram. J’ai cru que c’était de ma faute. Je l’ai cru pendant dix ans.» Sylvie Avet L’Oiseau, du Centre de formation continue à la HES-SO Genève, le confirme: «Les femmes violées se sentent responsables de ce qui leur est arrivé.» Et Muriel Salmona, psychiatre française fondatrice de l’association Mémoire traumatique et victimologie, de préciser: «La première chose que disent les victimes, c’est la peur d’être mises en cause. S’expliquer est d’autant plus douloureux pour elles que la société n’est pas vraiment dans l’empathie.»

Accusée d’être trop jolie

Pourquoi, alors, cette série de confessions médiatiques? Peut-être parce que la présomption de culpabilité entretenue autour des femmes victimes d’agressions sexuelles s’est banalisée. «A notre époque, on ne peut plus rester silencieux. Je ne le peux pas, vu l’état de notre monde, bigot et sexiste», réagit fin 2016 l’actrice Evan Rachel Wood dans une lettre envoyée à la presse où, pour la première fois, elle évoque ouvertement le viol subi dans sa jeunesse.

Manipuler le réel au point de faire de la victime une coupable, comment une société en arrive-t-elle là? Il suffit de laisser faire la honte, «pilier de la culture du viol», résume la politicienne et blogueuse française Marlène Schiappa dans l’ouvrage «Où sont les violeurs?» (Ed. de l’Aube, 2017). «Culture du viol», qu’est-ce à dire? «Tout ce qui met en cause la victime, dans un retournement où elle devient «accusé-coupable»: le déni ou la minimisation des violences, la victime qui ne s’est pas débattue, qui s’est mise en danger en sortant le soir, qui est allée chez ce type…», énumère Muriel Salmona. «Porter des talons hauts, être trop jolie, avoir bu, avoir voyagé seule», complète Agnes Molnár, porte-parole de l’association genevoise Viol-Secours, active depuis trente ans dans la prévention des violences sexuelles et l’accompagnement des victimes. «Avec de tels propos, on excuse les agresseurs. Or ces croyances sont si fort enracinées dans notre culture que les victimes finissent par y croire: elles se sentent effectivement responsables!»

Selon un sondage IPSOS réalisé en 2016 par l’association Mémoire traumatique, quatre Français sur dix considèrent que la responsabilité du violeur est atténuée si la victime a une «attitude provocante» – c’est-à-dire? – et près d’un tiers des 18-24 ans estiment que les femmes peuvent prendre du plaisir à être forcées lors d’une relation sexuelle (!).

Le tumblr intitulé «Coupable de mon viol» recense d’ailleurs de nombreux récits de viols subis enfant, à l’adolescence ou plus tard (notamment dans le cadre conjugal), où l’attitude parfois scandaleuse des personnes recueillant les plain tes pour violences sexuelles est mise en lumière. «Violée alors que je portais un jean pourri et un vieux pull de ma grand-mère, j’ai eu mon lot de questions stupides. Je vous donne les pires. Première question assassine: «Tu étais habillée comment?» Deuxième question assassine: «C’était un viol, un viol, ou tu as eu un peu de plaisir?», y narre une femme de 27 ans. Un retournement malheureusement très répandu dans les consciences. Jusque dans celles des gens censés, justement, lutter contre les agressions. Ainsi, en 2013, une campagne de prévention de la police hongroise avait suscité la polémique: elle encourageait les femmes à ne pas se vêtir trop légèrement en soirée; son message à l’attention des messieurs? aucun.

Et dans la vie vraie, quid de ce qui est sensé guetter les violeurs: la justice? En Suisse, on estime que seules 20 à 30% des victimes portent plainte. Même si l’évolution des condamnations montre un accroissement de la sévérité et une augmentation du nombre de jugements, comme le relevait le quotidien «Le Temps» en octobre 2016, «le fait de penser être responsable du viol empêche encore beaucoup de victimes de déposer plainte», souligne Sylvie Avet L’Oiseau. En France, où une femme se fait agresser sexuellement toutes les sept minutes, une enquête qui vient d’être menée sur 400 cas portés devant la justice a montré que moins de 2% des affaires de viol aboutissaient à une condamnation en Cour d’assises. En cause notamment: des suspicions sur les dires des victimes. Pascale Forni, psychologue adjointe du centre de consultation Les Boréales au CHUV, explique: «Certaines sont dans l’impossibilité de décrire ce qu’elles ont subi. Et puis, souvent, du fait des mécanismes de dissociation qui suivent un trauma, les mots ne viennent pas, les récits contiennent des imperfections vite assimilées à de la mythomanie ou de l’affabulation.» Passer devant la justice reste une épreuve. Il y a la durée de l’instruction, voire le devoir de passer par une expertise psychiatrique – demande légitime d’un point de vue légal, mais souvent vécue comme une mise en doute de leur crédibilité. «Les victimes ont l’impression de devoir tout le temps se justifier», déplore la psychologue.

Le viol, ce massacre

Et puis, chaque convocation devant le Ministère public ou le juge est extrêmement anxiogène. La peur de croiser l’agresseur, d’être attaquée par les avocats…» Sans parler, bien sûr, du traumatisme lui-même, aux lourdes séquelles psychologiques, souvent ignorées. «Le viol provoque chez les victimes d’intenses angoisses de mort, décrit Pascale Forni, même si le violeur n’a pas essayé de tuer. Elles y repensent en boucle, revoient certaines scènes, ressentent les mêmes sensations corporelles, ont l’impression de percevoir les mêmes odeurs. Certaines se réfugient dans l’amnésie partielle ou totale, d’autres se coupent des affects, n’éprouvent plus rien et peuvent parler sans émotion de ce qui leur est arrivé. Tout cela les dessert au tribunal. Elles ont fréquemment des troubles de l’endormissement, des cauchemars, peinent à se laisser aller au sommeil car elles sont dans l’hyper-vigilance. Elles peuvent développer des rituels de lavage, où elles se douchent sans cesse comme pour se purifier car elles se sentent sales.» Les femmes qui n’ont pas vécu ce traumatisme n’en comprennent pas forcément la gravité. «Dans mon quotidien, quand je discute avec des proches, je suis étonnée du peu de considération que les femmes, en particulier de 20 à 40 ans, accordent à ce type de violences, relève Sylvie Avet L’Oiseau. Il y a comme un déni. Je suis toujours surprise d’entendre certaines dire que les femmes agressées n’ont qu’à se défendre, à porter plainte, et que si elles ne le font pas c’est qu’elles sont consentantes. Je trouve les femmes assez peu aidantes et compréhensives entre elles, finalement.» Et l’experte de compléter: «Les hommes non plus ne se font pas assez entendre. Des affaires, sorties dans les médias, de politiciens qui ont commis des agressions sexuelles et restent impunis envoient un message permissif. Indirectement, parce qu’elles représentent la loi et la bafouent, ces personnalités donnent à d’autres hommes le signal qu’agresser et violer, ce n’est pas perpétrer un acte suffisamment grave pour relever de la justice.»

La parole se libère

Reste toutefois qu’en Suisse, indique Sylvie Avet L’Oiseau, «sous la pression de la société et des mouvements féministes, les politiques publiques ont évolué. Des centres LAVI (pour Loi fédérale sur l’aide aux victimes d’infractions) ont été créés, des formations ont été mises en place pour les professionnels intervenant auprès des victimes. Les policiers aussi sont mieux formés à les recevoir.» Toutes les expertes interrogées insistent sur l’efficacité de ces initiatives. A titre d’exemple, relève Pascale Forni, «les enfants victimes d’agression parlent souvent après le passage de la fondation vaudoise Profa en classe.» Est-ce donc que, dans l’opinion, un tournant a eu lieu? On pense par exemple au récent tapage autour de l’invitation faite à Roman Polanski (accusé par la justice américaine de viol, en 1977, sur une mineure de 13 ans) de présenter la cérémonie des Césars; face aux foudres féministes, le réalisateur a fini par décliner. Il y a un mois, à Los Angeles, un Casey Affleck accusé pour sa part de harcèlement est allé récupérer son Oscar sous les critiques et les regards de colère. Et puis il y a ces personnalités qui, l’une après l’autre, osent enfin témoigner des viols dont elles furent victimes...

La parole semble bel et bien se libérer, donc. Et «les anonymes peuvent se reconnaître dans ces personnalités, se sentir moins seules, commente Muriel Salmona. Mais se concentrer sur ces cas médiatiques ne doit pas laisser les centaines de milliers d’autres dans leur coin. La médiatisation serait alors à double tranchant». «Médiatiser des cas peut être positif, ajoute Agnes Molnár, si le discours associé ne renforce pas des idées reçues déjà trop empoisonnantes. Parler des violences sexuelles est essentiel, mais pas n’importe comment: il faut un profond respect pour les victimes, toujours, et un discours solidaire avec elles.» Pascale Forni va un pas plus loin: «On doit leur montrer que ce qui leur est arrivé peut être envisagé par un autre être humain; elles se sentent alors moins stigmatisées, moins submergées par la honte. Pour leur permettre de penser l’impensable, il faut être proactif. La neutralité bienveillante ne suffit pas.» Un message exigeant, certes. Et encore bien loin d’être communément reçu.

Des people qui brisent le silence

Teri Hatcher En 2006, en pleine gloire des «Desperate Housewives», l’actrice révèle à «Vanity Fair» les abus commis par un oncle quand elle avait 7 ans et son propre silence jusqu’au suicide d’une autre victime. Elle a depuis dénoncé les violences sexuelles faites aux femmes lors d’un discours à l’ONU.


©A. Edwards/WireImage

Evan Rachel Wood Après y avoir fait allusion dans une interview, l’actrice américaine («Westworld») évoque les deux viols qu’elle a subis – dont l’un par son compagnon de l’époque – dans une lettre partagée sur Twitter en novembre 2016. «Je suis heureuse. Je suis forte. Mais je ne vais toujours pas bien», écrit-elle.

Oprah Winfrey En 1986, sur son propre plateau, l’animatrice évoque les viols dont elle fut victime entre 9 et 14 ans. Un «aveu» dont l’impact aux Etats-Unis fut énorme. Pourtant, aujourd’hui encore, les Afro-Américaines y sont plus souvent victimes d’abus et moins souvent prêtes à les dénoncer que leurs compatriotes blanches.


©J. Paul Filo/CBS via Getty Images

Madonna Elle l’avait suggéré dès 1995, un peu entre les lignes. Et c’est en 2013 que l’interprète de «Holidays» trouve la force de raconter l’agression de ses 21 ans: «J’ai été violée sur le toit d’un immeuble, menacée avec un couteau tenu contre mon dos.» Longtemps, elle avait préféré taire ce cauchemar. «Ça n’en vaut pas le coup. C’est beaucoup trop humiliant.»

Flavie Flament Dans «La Consolation», l’animatrice française accuse sans le nommer un célèbre photographe de l’avoir violée quand elle avait 13 ans. Sa famille lui tourne le dos, David Hamilton annonce son intention de porter plainte... avant de se suicider. Depuis, d’autres femmes agressées par le photographe se sont fait connaître.


©J. Catuffe/Getty Images

Nos témoignages

Sylvie Le Bihan, 51 ans, Vient de publier «Qu’il emporte mon secret» (Seuil), récit librement inspiré du viol qu’elle a subi à l’âge de 18 ans.

«La société a du mal avec la bestialité, avec les pulsions violentes, avec tout ce qui touche aux déviances sexuelles. Elle cherche donc une autre voie, pour se rassurer. Et le doute ouvre une faille qui en même temps jette un voile sur la réalité. On veut une sorte de complicité entre le bourreau et la victime... Je suis très contente que la parole autour du viol semble se libérer. Mais agir, c’est mieux. Un viol, c’est un massacre. Certain-e-s mettent parfois 30 ans à parler. C’est pour cela que je suis pour la fin de la prescription (ndlr: en France, une plainte peut être déposée 10 ans après le viol, 20 ans pour les mineurs. En Suisse, la prescription est de 15 ans, mais n’existe pas pour les victimes de moins de 12 ans). Il faut veiller à ne pas réduire les victimes à ce qu’elles ont subi, ou qu’elles-mêmes ne s’identifient qu’à leurs souffrances.»

Manon Leresche, 22 ans, Lausanne. Elle a évoqué dans «Peau Morte» (Ed. de l’Aire, 2013) le viol dont elle fut victime à 16 ans.

«A la parution de mon livre, j’ai reçu énormément de messages de victimes d’agression et de viol. La plupart d’entre elles n’en avaient jamais parlé. Moi, je n’ai jamais hésité à le faire, parce que le viol est non seulement tabou, mais banalisé. Et je pense que, pour une victime, rien n’est pire que de lui faire sentir ce qu’elle a vécu comme quelque chose de presque «anodin». Les victimes ne sont pas assez prises au sérieux. Le simple fait de leur demander la manière dont elles étaient habillées lors du viol les décrédibilise. Trop peu de femmes parlent de ce traumatisme, qui a des conséquences graves. En parler davantage permettrait d’une part d’aider les victimes à surmonter le moins mal possible les effets que, de toute façon, elles subiront, mais aussi de faire comprendre à la société que le problème est réel et que les agresseurs ne sont pas punis comme il le faudrait! J’ai l’impression qu’on leur cherche sans cesse des excuses. Tout le monde ne mérite pas de deuxième chance, et notamment pas ces gens-là.»


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