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Fondamental

Une éponge à odeurs va identifier les criminels

Un piège à molécules pourrait bientôt compléter l’arsenal de la police pour traquer les « empreintes » olfactives propres à chaque individu et confondre ainsi les suspects.

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Les nouvelles «éponges moléculaires» seraient plus efficaces que les chiffons imprégnés de paraffine utilisés jusque-là, comme ici à Écully (Rhône).

Les nouvelles "éponges moléculaires" seraient plus efficaces que les chiffons imprégnés de paraffine utilisés jusque-là, comme ici à Écully (Rhône).

M. BUREAU / AFP

Le suspect est un homme âgé d’une cinquantaine d’années, de type "caucasien" : il fume du tabac brun, aime l’ail, utilise un déodorant floral et boisé et prend de la metformine pour traiter son diabète… D’ici à quelques années, toutes ces précieuses informations seront peut-être recueillies directement sur une scène de crime grâce à un outil biométrique développé par des chimistes et des mathématiciens toulousains. Objectif : piéger et analyser les odeurs corporelles.

À l’instar des empreintes digitales ou de l’ADN recueilli dans des bulbes de cheveux, du sang ou du sperme, cette nouvelle méthode servirait en premier lieu à identifier des suspects. Car "chaque individu possède une empreinte olfactive unique. Elle est constituée de plusieurs centaines de composés organiques volatils (alcools, alcanes, acides carboxyliques, esters…) dont la nature et les quantités sont déterminées génétiquement parmi un nombre quasi infini de possibilités", explique Alexandra ter Halle, une des initiatrices du projet, chercheuse au Laboratoire des interactions moléculaires et des réactions chimiques et photochimiques (IMRCP) de l’université Paul-Sabatier de Toulouse (Haute-Garonne). À chacun son "odeur primaire" ! Cette signature chimique est sécrétée par les glandes sudoripares et sébacées, au niveau des aisselles, du pubis, du crâne, des mamelons, de la paume des mains et de la plante des pieds en particulier.

Notre signature olfactive se répand partout

Mais l’odeur humaine comprend aussi une composante « secondaire », induite par notre régime alimentaire, notre niveau de stress ou notre état de santé, et une composante « tertiaire », qui résulte d’apports extérieurs et de notre environnement comme les produits cosmétiques ou la fumée de cigarette. "Un criminel ne laissera pas d’empreintes digitales et d’ADN s’il est assez précautionneux, mais il répandra forcément son odeur partout où il passe… sauf à porter un scaphandre", souligne Barbara Ferry, neuroscientifique au CNRS qui collabore avec la sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS) depuis près de dix ans. Toutes les composantes des odeurs humaines se déposent ainsi sur un lieu où a été commise une infraction (sur une arme, un téléphone, le siège d’une voiture, etc.), trahissant le passage du ou des coupables. Encore faut-il être capable de les collecter et de "faire parler" ces bouquets invisibles aussi fugaces que complexes.

Pour cela, la SDPTS exploite depuis quatorze ans l’incroyable capacité des chiens à mémoriser et à discerner une multitude d’arômes… jusqu’à l’odeur primaire des individus ! "À ce jour, aucun appareil ne s’est montré aussi performant que les canidés pour identifier l’odeur humaine. Ils peuvent différencier des jumeaux homozygotes vivant sous le même toit et ayant le même régime alimentaire", relève Barbara Ferry. La méthode de dressage a été mise au point pendant la guerre froide d’abord en URSS, puis en RDA, en Tchécoslovaquie ou en Hongrie pour « ficher » et traquer les dissidents politiques. Après la chute des régimes communistes d’Europe de l’Est, des policiers français se sont rendus en Hongrie pour en apprendre toutes les subtilités. Baptisée odorologie, cette technique consiste à capter, à l’aide de tissus spéciaux enduits de paraffine, des traces odorantes, puis à les comparer, grâce à des chiens spécialement formés à cette tâche, à celles prélevées sur un suspect.

Depuis 2003, l’odorologie a été utilisée dans plus de 520 affaires en France et a permis quelque 160 identifications 3500 odeurs corporelles sont par ailleurs archivées dans l’"odorothèque" de la SDPTS, à Écully (Rhône). Ce chiffre s’enrichit peu à peu… mais reste très en deçà des 2,8 millions de profils ADN du Fichier national automatisé des empreintes génétiques créé en 1998. Les difficultés techniques l’expliquent en partie. Deux longues années sont en effet nécessaires pour former des bergers allemands ou malinois à reconnaître les odeurs corporelles humaines sur la seule base de leur composante primaire. Mais "cela s’explique surtout par les réticences des magistrats, la plupart jugeant la technique trop empirique", reconnaît Barbara Ferry. Même si les tests d’identification ont été conçus pour éviter les « faux positifs », il arrive en effet que les chiens ne reconnaissent pas l’odeur d’un criminel pourtant piégé par son ADN. Est-ce parce qu’ils n’ont pas reniflé assez d’odeurs ? Que le tissu en est mal imprégné ? Ou que le suspect est un « faible donneur », exhalant trop peu de molécules odorantes ? Faute d’éléments quantitatifs, il est impossible de trancher…

C’est là qu’entrent en scène les scientifiques toulousains dont les recherches pourraient révolutionner le champ de la biométrie olfactive. « Mon collègue Émile Perez a inventé un piège à odeurs aux propriétés uniques », raconte Alexandra ter Halle. Il s’agit d’un « organogel » microporeux. Ce matériau est constitué d’huiles végétales auxquelles une substance gélifiante a été ajoutée pour figer le liquide dans sa structure tridimensionnelle. Des cristaux de sucre accolés de façon très précise ont permis, ensuite, d’y introduire de la porosité (voir l’infographie p. 44). On obtient ainsi une sorte de « liquide poreux » traversé par des millions de minuscules orifices communiquant les uns avec les autres. « Les molécules odorantes, volatiles, diffusent, se fixent sur les parois de cet immense réseau et se solubilisent dans le gel, explique Alexandra ter Halle. Nos calculs indiquent que dans une pastille d’organogel de la taille d’une pièce de monnaie, la surface de contact avoisine 200 m2 autant qu’un court de tennis ! »

Des algorithmes pour traiter les empreintes

La première application de cette « éponge moléculaire » qui concentre les odeurs de manière extrêmement rapide et efficace consisterait à remplacer les tissus utilisés en odorologie pour améliorer les processus de capture des odeurs et donc les performances des chiens. Mais Alexandra ter Halle et Émile Perez voient plus loin, puisqu’ils espèrent, à terme, égaler, voire surpasser les canidés. Le deuxième volet de leurs recherches vise en effet à recueillir les traces odorantes piégées par l’organogel, puis à déterminer leur composition exacte avec un spectromètre de masse.

Pour analyser ces données mélangées, les chimistes collaborent avec l’Institut de mathématiques de Toulouse. « Grâce à des méthodes d’apprentissage automatique et de partitionnement des données, les algorithmes que nous développons conjointement visent à isoler l’empreinte olfactive des individus, confie Alexandra ter Halle. Nos efforts se concentrent actuellement sur les odeurs primaires, mais nous pensons pouvoir caractériser aussi informatiquement les composantes secondaires et tertiaires de l’odeur humaine. » Cette technique aurait le double avantage de produire des éléments de preuve chiffrés, convaincants pour les magistrats, tout en fournissant quantité d’informations utiles à l’enquête, sur l’état de santé ou l’environnement « chimique » d’un suspect. Un brevet a été déposé et des discussions sont en cours avec la gendarmerie et le ministère de l’Intérieur. Un prototype pourrait être prêt d’ici à trois ans.

GLANDES SUDORIPARES Elles sécrètent la sueur qui permet la thermorégulation du corps. Elles sont de deux types : « eccrines », présentes sur presque tout l’épiderme mais surtout la paume des mains et la plante des pieds, et « apocrines », au niveau des aisselles.
GLANDES SÉBACÉES Ancrées à la base de chaque poil, ces glandes fabriquent le sébum, corps gras qui limite le dessèchement de la peau et joue un rôle bactéricide. SPECTROMÉTRIE DE MASSE Technique permettant d’identifier des molécules d’intérêt en mesurant leur masse, et d’analyser leur structure chimique, grâce à une combinaison de champs électromagnétiques.

 

BETTY LAFON

Pour piéger une multitude d’odeurs, on fabrique un « organogel » microporeux : des huiles végétales gélifiées sont chauffées puis versées sur des cristaux de sucre accolés. Elles se répandent tout autour avant de durcir par refroidissement. Les cristaux sont dissous en ajoutant de l’eau, prêts à l’emploi.

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