Exclusif. Les pays de l’UE exploitent les failles juridiques des règles sur la forêt. Ils auraient ainsi empoché 600 millions d’euros de crédits carbone, l’équivalent des émissions de 114 millions de voitures.
Une nouvelle analyse de la Commission européenne, consultée par Euractiv, montre comment les gouvernements ont récupéré des crédits carbone en exagérant les objectifs d’abattage de leurs forêts. Or ces crédits fictifs ne sont pas anodins : ils ont ensuite été utilisés pour compenser les émissions des secteurs polluants, dans le cadre du protocole de Kyoto.
Les forêts absorbent le CO2 de l’atmosphère. Les pays ont été récompensés pour affaiblir les objectifs onusiens d’abattage, ensuite soumis à la Commission européenne.
Les forêts ne sont pas règlementées dans le cadre du système européen d’échange de quotas d’émissions (ETS), le plus grand marché du carbone au monde. Des discussions sont néanmoins en cours pour les intégrer à la surveillance européenne dans le cadre de la règlementation sur le partage des efforts.
La note libre de la Commission a été rédigée afin de convaincre certains États membres de ne plus s’opposer aux nouvelles règles. Car il s’avère que le problème est plus grave que prévu, et nettement.
En 2013 et 2014, les dernières années disponibles, les États membres ont empoché l’équivalent de 120 millions de tonnes en crédits carbone.
Ces crédits gratuits, qui à l’unité valent 5 € au prix du carbone actuel, représentent la même quantité de CO2 que les émissions annuelles des quatre centrales à charbon les plus polluantes d’Europe.
Le document indique qu’en laissant la faille ouverte, 133 millions de tonnes de crédits carbone non acquis risquent de tomber entre les mains des gouvernements.
Au prix actuel, 133 millions de tonnes représentent 665 millions d’euros et équivalent aux émissions de 127 millions de voitures.
UTCATF
La raison de cette nouvelle arnaque repose sur les règles complexes régissant le CO2 de la forêt, appelées UTCATF.
L’utilisation des terres, le changement d’affectation des terres et foresterie (UTCAFT) est utilisé pour décrire l’impact de l’utilisation des sols et de la foresterie sur les émissions de gaz à effet de serre.
La Commission européenne veut inclure l’UTCATF dans sa règlementation sur le partage de l’effort climatique pour 2030. Le projet de loi doit être validé par le Parlement européen et les États membres au Conseil des ministres avant d’entrer en vigueur.
Les règles du protocole de Kyoto permettent de donner ou de déduire des crédits carbone, en se basant sur un scénario tendanciel soumis par les États membres à la Commission européenne. En exagérant la tendance, les États membres exploitent le vide juridique.
Plutôt que de baser les calculs sur les prévisions des futurs abattages, la Commission veut que les crédits soient calculés en maintenant les niveaux de gestion forestière et de récolte passés.
Le document soutient que la « forte divergence » entre les récoltes actuelles et les prévisions signifie que si le vide juridique est maintenu dans les règles européennes, la crédibilité des objectifs climat de l’UE risque d’être compromise.
L’UE a pour objectif de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici à 2030, dans le cadre des engagements pris à Paris. L’accord international vise à limiter le réchauffement climatique à deux degrés au-dessus des niveaux préindustriels.
En échange de leur soutien pour ce changement, l’exécutif a proposé aux États membres d’utiliser les crédits gagnés pour compenser les émissions des secteurs polluants, tels que les transports et l’agriculture. Cette souplesse n’est néanmoins pas possible dans le cadre des lois européennes actuelles, mais elle l’est dans le cadre du protocole de Kyoto, qui est le prédécesseur de l’accord de Paris.
Alors que des pays puissants comme l’Allemagne soutiennent ce changement, l’Autriche et la Finlande veulent garder cette faille ouverte.
Les deux pays souhaitent que leurs propres décisions nationales soient intégrées aux calculs, ce qui, selon les défenseurs de l’environnement, ouvrirait la porte aux abus.
Cela signifierait que les émissions de CO2 résultant de la combustion de bois pour créer de l’énergie, que l’UE qualifie de renouvelable, ne seraient pas prises en compte.
Aucun autre secteur ne s’appuie sur un niveau de référence en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. La plupart utilisent les niveaux d’une année donnée, généralement 2005 ou 1990.
« Cette arnaque dure depuis trop longtemps. Les États membres doivent faire preuve de sérieux avec leurs forêts et calculer correctement l’impact de leurs pratiques de gestion sur le climat », a déclaré Hannah Mowat, militante pour l’ONG FERN.
Des experts européens de l’environnement se rencontreront à Bruxelles le 27 mars pour discuter du projet de loi. Les discussions seront présidées par Malte, qui détient actuellement la présidence tournante de l’UE.
Les eurodéputés de la commission environnement doivent se prononcer sur le sujet en juin prochain.