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Présidentielle 2017

Les raisons du succès inespéré de Jean-Luc Mélenchon

Depuis dix jours, une dynamique paraît porter Jean-Luc Mélenchon, désormais devant Benoît Hamon dans les sondages. Comment expliquer ce succès qui fait désormais de lui le quatrième homme de la campagne présidentielle?

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Jean-Luc Mélenchon

Jean-Luc Mélenchon s'impose petit à petit face à Benoît Hamon.

(c) AFP

Le moment Mélenchon. Enfin. Nous sommes à un instant de la campagne où le candidat de la France insoumise a capté son momentum. Les sondages frémissent. 13% ici, 14% là. Mélenchon a désormais François Fillon dans sa ligne de mire.

Double mauvaise nouvelle pour Benoît Hamon. La première, c’est donc l’envolée du candidat Mélenchon. La seconde, c’est que ce même candidat Mélenchon et Emmanuel Macron ont sympathisé dans les coulisses du débat des cinq grands candidats, la semaine passée, sur TF1, juste avant que ne débutent les hostilités. Quelques minutes d’échange et la naissance d’une certaine forme de sympathie, de reconnaissance intellectuelle et de respect personnel. A quoi tiennent les choses humaines parfois…

Le résultat de cette improbable rencontre a sauté aux yeux durant les échanges. Tandis que Benoît Hamon lançait une attaque, un brin perfide et sournoise, lourde de sous-entendus, sur le financement de la campagne Macron et la probité de ses donateurs, Mélenchon et Macron se sont évertués à offrir ensemble une image d’adversaires respectueux de la dignité de l’un et de l’autre. Ils ont affiché, de manière ostensible, leur capacité à s’écouter, leurs accords sur une vision traditionnelle de la laïcité et le vivre en République, et leurs désaccords profonds sur la politique économique et sociale. Le fait qu’ils poursuivent l’un comme l’autre le même objectif, à savoir l’effacement du paysage politique du PS n’est pas étranger à cette objective complicité, mais la dimension personnelle a aidé à établir un rapport de connivence qui aide.

Ce relatif respect des règles de la dignité du débat n’est sans doute pas étrangère à la réhabilitation du personnage Mélenchon. La stature intellectuelle de l’homme est perceptible. Visible. De ce point de vue, Benoît Hamon, son concurrent direct, qui carbure à l’élément de langage de la novlangue socialiste post-Mitterrand apparue au tournant des années 2000, souffre de la comparaison. Or, il apparaît que la France, après les présidences Sarkozy et Hollande, qui ne furent pas celles des intellectuels au pouvoir, loin des Pompidou et des Mitterrand d’antan, aspire à retrouver des politiques au niveau. Qui ne récitent pas des slogans, mais affirment une singularité. Qui ne sont pas des produits, mais des authenticités.

Mélenchon est d’autant plus fondé à la faire qu’il est une bête de télévision. De ce média dominant, il possède la maîtrise des codes et des clés. Il sait en jouer physiquement et dialectiquement. Et surtout, il pratique à merveille l’art de la déconstruction du propos de tout interlocuteur qui lui est opposé. Mélenchon est l’homme qui met les sous-titres sous les questions des uns et des autres, ce que Macron n’ose pas encore faire, qui s’est laissé enfermer dans le rôle de l’accusé face à son juge lors de son échange avec Benoît Hamon sur les donateurs de sa campagne. Mélenchon, plus roué et expérimenté aurait réglé l’affaire en une phrase, façon Mitterrand, niant à Benoît Hamon toute légitimité morale à se poser en gardien du temple de la vertu.

L’homme de la modernité

Bête de télé, Mélenchon l’est aussi sur le net. Il est le candidat le plus « image » de cette campagne, qui a lancé sa chaîne Youtube. Car la télé, ce n’est plus seulement la télé, ce sont aussi tous les écrans où l’on peut faire de la télé. Mélenchon est l’homme de la modernité. De la même façon qu’en transformant une partie de ses meetings en revue de presse à la Guy Bedos, il a révolutionné aussi le genre, le tout en s’inspirant, Ô paradoxe!, de ce qui se fait de mieux aux Etats-Unis en matière de rénovation de la mise en forme des réunions publiques… Entre télé de papa et smartphone des enfants, il parle à tout le monde…

Cette forme particulière et moderne de communication lui permet d’entrer en résonance avec ce qui fait le sens de sa campagne. Dans son genre, Mélenchon a aussi compris que les thématiques liées à l’identité, à la culture, à la perte de sens républicain étaient fondamentales. Et il en a tiré les conclusions.

On ne l’a pas assez dit, mais le grand rassemblement de la France insoumise, place de la République à Paris, était d’abord et avant tout gaullien et hugolien. Une manifestation authentiquement républicaine. Quelques drapeaux rouges, ici et là, mais surtout une présence massive, énorme, de drapeaux tricolores. Et un discours en adéquation avec l’image produite. France de gauche. France républicaine. France insoumise. Ce jour-là, Mélenchon a réussi la synthèse entre Hugo et de Gaulle. La IIIe et la Ve accouchant de la VIe en direct, sous l'oeil des caméras de BFMTV et Cnews.

Place de la République, l’image et le discours se voulaient porteurs des grands mythes de la gauche et de la République et, il faut bien le reconnaître, ce fut parfaitement exécuté, jusque dans le ton adopté par Mélenchon qui, à l’évidence, avait opté pour une scansion, en mode théâtral,  rappelant les plus grandes heures de la fondation de la Ve République. Ou de la IIIe. En attendant la VIe. Bien pensé. Bien vu. Melenchon n'est pas l'homme des accords d'appareils avec un parti écologiste fantôme, comme on n'osait plus le faire depuis 1956, façon Guy Mollet et Jacques Chaban-Delmas, tel Hamon négociant un mois avec Jadot pour des clopinettes, il est l'homme du peuple, qui va au peuple.

Le plafond de verre Mélenchon

Les électeurs les plus à gauche de la gauche socialiste ou social-démocrate ne s’y sont pas trompés, d’autant que le lendemain, à Bercy, Benoît Hamon a commis l’erreur de persister à se présenter en candidat permanent des délégués de classe encartés MJS, salués par si peu de drapeaux tricolores, et se présentant, micro autour de l’oreille en gentil animateur social pour conférence Ted’X. Ni fondateur, ni républicain.

Ainsi positionné, moderne dans la forme, traditionnel dans le fond, en jouant de l’imagerie républicaine et historique sur YouTube, Mélenchon est en passe (objectivement aidé par Macron et réciproquement) de réaliser son rêve. Effacer le Parti socialiste qui s’est détourné de l’héritage de Mitterrand. Dont acte, l’affaire est en bonne voie.

Cela dit, toute situation étant porteuse de son contraire, demeure le plafond de verre Mélenchon. Il est clivant. Désespérément clivant. Comme Hamon ou Fillon, il oppose des France à d’autres France. D'un côté les riches et les nantis. De l'autre les travailleurs et les besogneux. Il n'entend pas être le candidat des réconciliations françaises, et il en paye le prix. Par ailleurs, trop souvent encore, péché mignon, il ne résiste pas à la tentation de faire peur avec lui-même à la télévision. Le leader de la France insoumise adore effrayer le bourgeois, y compris le bourgeois en recherche de centre gauche. Forcément, ces deux handicaps majeurs, qu’il ne se donne pas les moyens d’atténuer, limitent la portée du momentum qu’il vient de saisir.

Cela étant, l’essentiel est en passe d’être acquis. Si Mélenchon passe devant le candidat du PS au soir du 23 avril, il en résultera un tremblement de terre politique qui changera durablement la face de la gauche. « On ne peut rien contre la volonté d’un homme » constatait Mitterrand. Disons ici que la volonté de Mélenchon est en passe de s’accomplir. Autrefois, Malraux disait qu’entre « les gaullistes et les communistes, il n’y a rien ». Après le 23 avril, il est possible que l’on puisse dire qu’entre Mélenchon et Macron, il n’y a rien.

 

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