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Guyane : « Nous sommes en France mais pas vraiment considérés comme Français »

Des Guyanais racontent leur sentiment d’abandon par les autorités, ainsi que les difficultés qui plombent ce territoire d’outre-mer, miné par l’insécurité et le chômage.

Par  et

Publié le 28 mars 2017 à 15h59, modifié le 28 mars 2017 à 17h00

Temps de Lecture 6 min.

Des manifestants à Cayenne (Guyane), le 27 mars 2017.

« La France nous a abandonnés. » Le sentiment de Pierre, policier guyanais de 38 ans, résume celui de nombreux Guyanais. Depuis huit jours, ce vaste territoire d’outre-mer, situé à 7 000 kilomètres de Paris, est paralysé par une série de mouvements sociaux qui ont abouti à une grève générale illimitée, lundi. Comment en est-on arrivé là ?

La Guyane, où vivent quelque 244 000 personnes, est minée par le chômage et l’insécurité, en dépit d’atouts comme la forêt et le centre spatial de Kourou. Pierre raconte la « situation ubuesque » d’une insécurité galopante qui « perdure en toute impunité », et la demande, restée vaine, de construire un deuxième commissariat de police (le reste, sont des postes de gendarmerie) et une deuxième prison, alors que celle de Rémire-Montjoly est « surchargée », remplie notamment par de nombreux détenus étrangers venus y purger leur peine :

« Les malfrats et les délinquants locaux rigolent quand on les arrête, puisqu’ils savent que, de toute façon, il n’y aura pas de place pour eux en prison. »

Lui ne croit plus à la justice française. « On ne peut pas y croire quand on vit dans le territoire le plus meurtrier de France. » La Guyane détient ce triste record par nombre d’habitants, avec 42 homicides commis en 2016, contre 38 en 2015.

« Il y a beaucoup d’insécurité. Des plaies par arme à feu et arme blanche sont quotidiennes, confirme une infirmière qui travaille en Guyane depuis quatre ans. On ne sort pas après une certaine heure. Personnellement, c’est quand il fait nuit, à 18 h 30. Il ne faut surtout pas aller sur la plage le soir, car c’est un coupe-gorge, et ne parlons pas de Cayenne centre ! »

« On est à bout, assure Pierre. Le point de non-retour a été atteint quand deux jeunes ont été abattus comme des chiens en février-mars. » C’est à partir de là que le collectif des « 500 Frères contre la délinquance » s’est constitué pour lutter contre l’insécurité.

« L’ambiance sur les barrages est pacifique »

Pierre voudrait qu’on arrête de dire qu’ils sont une milice parce qu’ils ont mis une cagoule. « Ce sont des pères de famille honnêtes, comme moi, qui sont là pour protéger la population, il y a des policiers, des pêcheurs, des employés administratifs… » Et la population les soutient, y compris les policiers, assure-t-il :

« Nous sommes avec eux parce qu’ils font respecter une loi morale que nous n’arrivons plus à faire nous-mêmes respecter faute de moyens humains, matériels et pénaux. »

Il serait parfois tenté de les rejoindre, lui aussi. A défaut, il va leur apporter son soutien citoyen sur les barrages, le soir après sa journée de travail.

« L’ambiance sur les barrages est pacifique, calme et détendue, assure Isabelle Othily, une Guyanaise de 30 ans qui participe aux barrages. Il faut le montrer et arrêter de montrer une insurrection violente, ce qu’elle n’est pas. C’est un soulèvement populaire et c’est ce qui fait sa force. C’est la première fois que je vois autant d’unité. »

Marie-Solenne, élève en première, soutient, elle aussi, le mouvement de blocage, « même si cela nous pénalise en nous empêchant de circuler ». « Nous, les jeunes vivant en Guyane, n’avons pas accès à de nombreuses infrastructures de loisirs et de divertissement alors que plus de la moitié de la population a moins de 25 ans, explique-t-elle. Nous n’avons qu’un seul cinéma, deux bowlings, un karting éloigné du centre d’activité et des terrains de sport peu aménagés. »

Sans compter que « la vie est chère sur notre territoire. Même les forfaits téléphoniques mobiles le sont. Un forfait destiné aux moins de 25 ans avec deux heures de communications, SMS illimités et 1 Go d’Internet est facturé 24 euros. »

Les études supérieures obligent souvent les étudiants à partir :

« Concernant le post-bac, très peu de filières sont présentes, ce qui nous oblige à nous expatrier en métropole loin de nos familles et nos repères, nous plaçant dans une inégalité des chances avec les étudiants hexagonaux. »

Sime, qui est né et a grandi en Guyane, a ainsi dû partir pour la métropole il y a six mois après son bac technique. « Il était difficile pour moi d’avoir “le choix” pour mon avenir, que ça soit pour une poursuite d’étude ou pour une rentrée dans la vie active. »

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Enseignante d’histoire-géographie et secrétaire académique du SNES, Sarah Ebion, en Guyane depuis 1991, dénonce « le manque cruel d’établissements scolaires et d’enseignants qualifiés ». « On a des élèves qui vivent dans des communes plus isolées qui font 7 à 8 kilomètres tous les jours pour venir, ils sont dépendants des transports et doivent se lever à 4 heures du matin. »

Elle observe avec inquiétude « cette jeunesse désabusée et pas encadrée, livrée à elle-même. Tant que plus de 50 % des jeunes quitteront le système sans diplôme et sans qualification, on ne pourra pas avoir d’avenir en Guyane. »

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« C’est le désert médical le plus conséquent de France »

Bertrand (le prénom a été changé), qui vit en Guyane depuis vingt-six ans, pointe le paradoxe : « On envoie des fusées, mais il y a de nombreuses zones urbaines où on ne capte même pas de réseau téléphonique et Internet. Nos hôpitaux sont des mouroirs sous-équipés, en sous-effectif et dans un état de délabrement. »

Une habitante qui travaille dans la santé souligne, elle aussi, le contraste entre ce « territoire magnifique avec un potentiel exceptionnel » et les difficultés qui le plombent, en particulier dans son secteur. « En un mot : c’est un scandale. C’est le désert médical le plus conséquent de France. Une densité de professionnels huit fois inférieure à la moyenne nationale (…). Les conditions de pratique relèvent de l’humanitaire. »

Sa famille s’est elle-même heurtée aux lacunes du système sanitaire :

« Mon père a eu besoin d’un diagnostic en neurologie, spécialité inexistante à l’instant T. Il a dû payer un billet (875 € A/R) pour avoir une consultation sur Paris et des examens. Avec l’hébergement, ce sont des frais supplémentaires (1 255 €) pour, finalement, essayer de trouver la source de ses troubles. Un diagnostic qui, s’il est confirmé, impliquera des soins toujours à l’extérieur, avec un accompagnant familial, ma mère.

Notre chance est d’être assez “aisés” pour en avoir les moyens. Et donc, il paraît que nous sommes des privilégiés parmi les Guyanais. Incroyable ? Cela tombe bien. C’est le slogan de notre office du tourisme : la Guyane, personne ne vous croira. »

« Isolement extrême »

Le sentiment d’abandon est encore plus fort pour certains habitants de Camopi, première commune amérindienne de France située au sud de Cayenne. Vaneza Ferreira, étudiante et enseignante de 29 ans, raconte « l’isolement extrême » de cette commune, « encore plus délaissée que le reste de la Guyane ». « Les difficultés sont encore plus criantes que dans le reste de la Guyane : problème de suicides, de drogue, d’alcoolisme, de violence, d’échec scolaire… »

La jeune femme raconte le périple pour rejoindre Camopi depuis Cayenne, « aussi long que de faire Paris-Cayenne ». Et très cher : il faut prendre un taxi puis un autre et, enfin, faire un long trajet en pirogue, en trois à six heures selon la saison.

Comme dans d’autres communes isolées, les services publics sont réduits au minimum : « Il y a l’école, le collège, la gendarmerie et le dispensaire pour les soins de base. »

« Si on est malades, mais que ce n’est pas une urgence vitale, il faut rejoindre le littoral par ses propres moyens. Je me suis retrouvée plusieurs fois très malade avec une anémie et de la fièvre à devoir faire tout ce trajet en pirogue. »

Un bel aérodrome tout neuf a pourtant été inauguré par les autorités il y a deux ans, mais il n’est toujours pas mis en service. « C’est vraiment inimaginable ce qu’on vit en Guyane, ça l’est encore plus à Camopi », explique-t-elle. Elle dit avoir « mal au cœur de voir comment les gens se démènent pour survivre. Nous sommes en France, mais nous ne sommes pas vraiment considérés comme Français. »

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