Doubs - Cyberharcèlement Féministe, menacée de mort et de viol

Activiste féministe, la Doubienne Flo Marandet est en proie à un cyberharcèlement depuis plusieurs mois. Lorsqu’elle a porté plainte, les actes malveillants sont allés crescendo : menaces de mort et incitations au viol.
Ianis MISCHI - 29 mars 2017 à 05:04 | mis à jour le 29 mars 2017 à 14:11 - Temps de lecture :
Flo Marandet, professeur d’espagnol dans un collège du Doubs, menacée de viol, de mort et cyberharcelée depuis des mois.  Photo DR
Flo Marandet, professeur d’espagnol dans un collège du Doubs, menacée de viol, de mort et cyberharcelée depuis des mois. Photo DR

« Ils nous donnent de la merde, nous en faisons des paillettes », résume Flo Marandet à la fin de l’entretien. Enseignante d’espagnol dans un collège du Doubs, la jeune femme de 35 ans est en arrêt depuis la mi-décembre. Elle raconte son calvaire.

Activiste féministe, elle mène son combat sur le terrain et sur les réseaux sociaux. Essentiellement sur Facebook où elle est suivie par 7 000 personnes. « J’écris des textes qui décryptent le sexisme et invite les femmes à ne plus se laisser faire, je rends visible et affiche des messages de harceleurs. Il est difficile de se rendre compte mais lorsqu’on est une femme et qu’on met sa photo sur Facebook, on est régulièrement contactée par des inconnus sur ce réseau social. Cela va du simple “salut ça va ?” à des photos de pénis… Je me bats pour que la honte change de camp. Ce n’est pas à la femme harcelée d’avoir honte mais à celui qui agit de la sorte. »

L’été dernier, son activité est repérée par des adeptes d’un forum internet : Jeux-Video.com (JVC). Dans la section 18-25 ans, les « forumeurs » postent des messages sur le combat de ce qu’ils appellent une « féminazie ». Ils viennent régulièrement la « troller » (titiller) sur Facebook. « Au début, je ne m’étais rendue compte de rien. J’avais un peu plus de messages hostiles. Puis, quelqu’un a commencé à faire plusieurs comptes avec mes photos en publiant des statuts qui ne parlaient que de moi et en ajoutant mes amis. Il se faisait passer pour moi. Un mélange d’admiration et de haine. » Les « forumeurs » signalent en masse certaines de ses photos sur Facebook à tel point que son compte est bloqué à plusieurs reprises. Lorsqu’elle découvre que ces attaques proviennent du forum 18-25 de JVC, Flo Marandet contacte les modérateurs. Rien n’y fait, la provocation, les messages d’insultes s’amplifient et tendent maintenant à la menacer de viol.

Ils promettent de « passer leur vie à pourrir la sienne »

La Doubienne veut mettre fin à tout ça et annonce qu’elle va porter plainte. « Au lieu de se calmer, ils ont dit “On va la faire plier”. Ça a commencé le soir du 18 décembre. Un « forumeur », Limbob, a dit qu’il offrait son RSA à celui qui ramènerait ma tête. » Tout s’accélère et devient incontrôlable, comme dans un mauvais film. « Ils avaient fait des recherches pour savoir où je travaillais, où j’habitais. Ils se sont mis à contacter mon collège, le recteur, le rectorat, la ministre de l’Education nationale et les parents d’élèves en disant que je faisais du favoritisme pour les filles, que j’étais islamophobe, antisémite, que je faisais de la propagande LGBT en cours… Ils sont allés mal noter mon établissement sur Google en se faisant passer pour des parents. Ils ont publié la liste des gens qui portent mon nom dans le Doubs en les incitant à appeler pour savoir où j’habitais. Ils ont menacé de mort mon mari. »

La liste est longue et fait froid dans le dos. Des milliers de messages ont été postés à son encontre. Les auteurs lui promettent « de passer leur vie à pourrir la sienne », celle de sa famille, de venir l’étrangler devant chez elle… Ces attaques ( lire par ailleurs ) peuvent être lourdes de conséquences pour leurs auteurs. « Ce ne sont pas des gosses qui se cachent derrière un clavier. Ce sont des adultes qui expriment leur frustration dans la haine. »

Cette période des fêtes a été un véritable cauchemar pour Flo Marandet et son mari. L’enseignante a eu 8 jours d’ITT, puis un mois. Elle n’a pas repris le travail depuis. « Je ne peux pas rester longtemps debout. Je soufre de vertiges et d’anxiété », souffle-t-elle.

Aujourd’hui, elle souhaite retrouver un semblant de vie normale, retravailler « mais surtout que cette affaire avance d’un point de vue judiciaire ». Bien entourée, l’enseignante se reconstruit petit à petit. Elle attend même un heureux événement.

Sur le plan judiciaire

Plaintes

La première plainte, dont il est question dans cette affaire, a été adressée au procureur de la République de Besançon, en octobre dernier, pour « harcèlement, injures et menaces de mort ». En décembre, deux plaintes complémentaires ont été enregistrées dans une gendarmerie du Doubs pour injure publique envers un particulier, menace de crime contre les personnes, menace matérialisée de délit contre les personnes dont la tentative est punissable et dénonciation calomnieuse.

Motus au parquet de Montbéliard

L’enquête menée par la gendarmerie est en cours. Le dossier devrait être retourné dans les prochains jours au parquet de Montbéliard afin que des directives soient données aux enquêteurs. Mais pour l’heure, Marie-Charlotte Fiorio, la substitut du procureur en charge du dossier, fait dire qu’elle « ne souhaite pas communiquer sur le sujet. »

Le point de vue de l’avocat

De son côté, l’avocat de la plaignante, Me Sophie Obadia, du barreau de Paris, indique : « Nous nous réservons la possibilité de déposer une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen du tribunal de grande instance de Paris afin qu’un service d’enquête spécialisé dans l’identification et la localisation des adresses IP des cyberharceleurs soit saisi. » Et de préciser : « La jurisprudence est sensible au harcèlement sur internet. En effet, dans des affaires où les agissements litigieux étaient de nature à compromettre gravement la réputation des victimes, la cour d’appel de Paris a très récemment prononcé des peines d’emprisonnement ferme. »

Ce qui caractérise le cyberharcèlement

Comme le souligne le site service-public.fr, « le harcèlement est le fait de tenir des propos ou d’avoir des comportements répétés ayant pour but ou effet une dégradation des conditions de vie de la victime. […] C’est la fréquence des propos et leur teneur insultante, obscène ou menaçante, qui constitue le harcèlement. »

S’agissant plus spécifiquement du harcèlement en ligne, il s’agit d’un « harcèlement s’effectuant via internet (sur un réseau social, un forum, un jeu vidéo multijoueurs, un blog…). Les propos en cause peuvent être des commentaires d’internautes, des vidéos, des montages d’images, des messages sur des forums… Le harcèlement en ligne est puni, que les échanges soient publics (sur un forum, par exemple) ou privés (entre « amis » sur un réseau social). »

Collecte de preuves

Sans attendre l’enquête de police ou de gendarmerie, la victime peut collecter elle-même les preuves de son harcèlement notamment par le biais de captures d’écran. Elle peut aussi faire appel à un huissier de justice pour réaliser ces captures. Ces pièces pourront être utilisées lors du procès.

Pierre LAURENT