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Présidentielle 2017 : La culture contre la violence, le livre qui bouscule le débat

La culture contre la violence? Ouvrage collectif coordonné par Guillaume Pfister. Préface de Jack Lang. Éd.Arfuyen Mousse/ABACA

ENTRETIEN - Un ouvrage collectif conçu par des étudiants de SciencesPo alerte les candidats à l'Élysée sur la nécessité de replacer l'action culturelle au cœur du débat. Le Figaro a rencontré le coordinateur de cet ouvrage efficace, Guillaume Pfister, ex-conseiller de l'ancien ministre de la Culture, Frédéric Mitterrand.

La culture constitue-t-elle un rempart contre la violence? Violaine, Matthieu, Thibaut et leurs camarades, tous élèves de la prestigieuse École d'Affaires Publiques de SciencesPo Paris, en sont persuadés. Depuis un an, ils sont une dizaine âgés de 20 à 25 ans à se mobiliser pour redonner du sens à l'action publique en la matière. La campagne actuelle pour la présidentielle les consterne. Le 20 mars, le mot «culture» n'a été prononcé qu'une seule fois au cours des trois heures trente de débat télévisé ayant opposé les cinq principaux candidats à l'élection présidentielle, par Emmanuel Macron.

La culture contre la violence? Ouvrage collectif coordonné par Guillaume Pfister. Préface de Jack Lang. Éd.Arfuyen

Ils ont multiplié les rencontres avec des acteurs clefs du monde des arts et de la culture, publics, privés, les ont questionnés sur les moyens à mettre en œuvre pour faire face, efficacement, aux nouveaux enjeux, alors que se creuse la fracture scolaire et culturelle, que l'économie est devenue numérique, que les publics évoluent... Ces entretiens ont abouti à un ouvrage collectif passionnant, La culture contre la Violence?, avec un point d'interrogation, qui vient de paraître aux éditions Arfuyen.

Ce livre, petit mais dense, dresse le bilan exhaustif des politiques culturelles menées depuis 20 ans. On y lit l'implacable constat de l'incapacité des pouvoirs publics à résorber les inégalités en matière d'accès à la culture. On y découvre les étapes d'une réforme ambitieuse de l'action publique.

Guillaume Pfister, ex-conseiller de l'ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand et maître de conférences à SciencesPo, a piloté le projet. Cet homme passionné, passé par la direction du Forum d'Avignon et par Deezer France, parle sans langue de bois de l'urgence à replacer la culture au cœur du débat. «Il y a soixante ans,le ministère de la Culture n'existait pas, et pourtant il y avait de vrais projets. Aujourd'hui, aucun des candidats ne songe à remettre en cause l'existence du ministère, mais aucun n'est capable de proposer une vision, un projet», se désole-t-il. Rencontre.

LE FIGARO - Pourquoi ce livre, La culture contre la violence ?

Guillaume PFISTER - La conception de cet outil d'alerte a débuté il y a un an. Nous savions déjà que la culture serait probablement la grande absente du débat présidentiel. Quelques élèves de SciencesPo ont donc souhaité interpeller les responsables culturels, quels qu'ils soient (acteurs politiques, économiques) sur le sujet de la culture. Avec ce livre, nous avons également souhaité leur livrer le témoignage d'une génération en particulier, celle des 20-25 ans. Je la juge particulièrement concernée, et pertinente, pour aborder cette problématique, et ce pour trois raisons: il s'agit de la première génération ayant grandi avec un smartphone, avec tout ce que ce nouvel outil induit dans notre manière d'appréhender l'objet culturel.

« Aujourd'hui, il y a bien plus de proximités entre un jeune adulte et Netflix, qu'entre lui et le musée situé dans sa ville ».

Guillaume Pfister

Ensuite, il s'agit d'une génération qui vit relativement éloignée de l'offre culturelle proposée par le service public. Aujourd'hui, il y a bien plus de proximités entre un jeune adulte et Netflix qu'entre lui et le musée situé dans sa ville. Enfin, dernier point, très important, il s'agit d'une génération en plein éveil citoyen et qui, depuis les attentats, a compris que la culture devait s'envisager comme un combat.

Dans votre ouvrage, vous dénoncez l'incapacité des responsables publics à insuffler du sens à leur action en matière culturelle…

Autrefois, la culture était comprise comme la base d'un langage politique. C'est une chose que nous avons malheureusement perdue. Nous avons connu une époque, il y a soixante ans, où le ministère de la Culture n'existait pas, et pourtant il y avait de vrais projets. Aujourd'hui nous sommes dans la situation inverse: aucun des candidats ne songe à remettre en cause l'existence du ministère, mais aucun n'est capable de proposer un vrai projet, une vraie vision. Dans leurs programmes, les propositions en matière de culture sont soit absentes, soient réduites à une litanie de mesures dont on cherche en vain la cohérence entre elles. Surtout, une grande question manque selon moi au débat, une question cruciale pourtant: en quoi la culture sert-elle l'intérêt de l'État? Pourquoi l'État a-t-il raison d'investir autant dans la culture?

« Une grande question cruciale manque au débat : en quoi la culture sert-elle l'intérêt de l'État ? Pourquoi l'État a-t-il raison d'investir autant dans la culture ? »

Guillaume Pfister

Deux éléments doivent selon moi être distingués: d'un côté, la culture a un intérêt vital dans la politique intérieure du pays: elle joue un rôle essentiel dans le maintien de la cohésion nationale, dans l'unité du corps social. C'est particulièrement vrai pour notre patrimoine, qui construit le récit d'une histoire commune. De l'autre, en matière de politique extérieure: la culture est l'un des grands atouts de la France. Ne perdons pas de vue les domaines où nous excellons actuellement. Profitons-en, faisons de la culture un levier de notre diplomatie économique, un véritable outil de notre rayonnement!

À vous lire, il y aurait toujours une fracture culturelle très nette entre Paris et le reste de la France, en dépit d'un rééquilibrage réel depuis trente ans. Comment l'expliquez-vous?

Il faut d'abord reconnaître que les collectivités territoriales jouent désormais un rôle prégnant en matière d'allocation des ressources. Le problème, c'est que, dans la majeure partie des cas, ces ressources se focalisent sur de grandes opérations qui ont tendance à phagocyter les plus petites (le Louvre-Lens, Pompidou-Metz...). Nous pensons que pour contrer ce mouvement de concentration des aides, il est essentiel de parvenir à basculer d'échelle, sur les initiatives locales qui fonctionnent et parvenir à dupliquer ces bonnes pratiques. Pour cela, nous recommandons l'approfondissement de la mise en réseau des établissements, le renforcement de la co-production dans tous les domaines. À l'État d'apporter enfin sa plus-value en matière de pilotage!

Dans votre ouvrage, vous appelez de vos vœux le développement d'un financement «hybride», public/privé, des politiques culturelles. Quelle configuration cela prendrait-il? Ne craignez-vous pas la marchandisation des biens culturels induite par leur accaparement par la sphère privée?

Cette hybridation est déjà en marche, grâce au «dispositif mécénat» mis en place avec la loi Aillagon, en 2003, qui a été un grand succès. Certains points pourraient cependant être améliorés. L'État pourrait notamment relever le plafond des dons autorisés par la loi. De nouvelles pratiques se développent également avec succès, telles le «crowdfunding» (financement participatif en ligne), qui explose. Reste désormais à mieux intégrer ces pratiques à l'action publique. L'État pourrait jouer un rôle d'arbitrage et de prescription important s'il s'associait davantage à ce type de pratiques.

Je ne pense pas que le développement de financements privés, sur le modèle philanthropique américain, représente à terme un risque pour la production culturelle. On assiste plutôt au phénomène inverse. Lorsqu'on étudie de près l'orientation des aides issues du financement participatif, on se rend compte qu'elles favorisent énormément de jeunes pousses, que ce soit dans le cinéma d'auteur ou en matière musicale. J'ai le sentiment que ces nouvelles formes de financement contribuent à réintroduire de la passion, de l'investissement personnel dans l'objet culturel. C'est une nouvelle forme de consommation culturelle qui s'oriente presque à de la billetterie .Le client accompagne le développement du produit qui l'intéresse, depuis son financement jusqu'à sa consommation finale!

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