Tunisie : "Il y a urgence à voter la loi contre les violences faites aux femmes"

TRIBUNE. La députée Mehrezia Labidi Maïza pointe la responsabilité des députés tunisiens qui peinent à voter la loi contre les violences faites aux femmes.

Par Mehrezia Labidi Maïza*

Meherzia Labidi Maiza.
 
Meherzia Labidi Maiza.   © Women SenseTour in Muslim Countries

Temps de lecture : 6 min

Un projet de loi contre la violence faite aux femmes en Tunisie, en gestation depuis 2014, arrive prochainement en discussion à l'Assemblée. Le débat de société s'annonce passionnant et tendu. Car cette loi est ambitieuse et doit débloquer les derniers verrous culturels pour garantir aux femmes une totale égalité des droits telle que définie dans la Constitution. Ne perdons pas de temps. La Tunisie est regardée dans le monde arabe comme un modèle démocratique, y compris sur le droit des femmes.

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La violence, c'est l'exclusion au sein de la société

La Tunisie est un pays précurseur dans le monde arabe sur le droit des femmes. C'est un acquis de l'État moderne dans le prolongement du Code du statut personnel (1956) et de l'article 46 de la Constitution qui dit que « l'État se charge de prendre toutes les mesures adéquates pour en finir avec toute forme de violence faite aux femmes ». Inscrire cet objectif dans la Constitution a été une grande avancée pour les femmes tunisiennes, et plus largement pour les femmes dans le monde arabo-musulman. Dans l'intimité du foyer conjugal comme au sein du monde professionnel et dans l'espace public, les violences envers les femmes, qu'elles soient psychologiques ou physiques, restent quotidiennes. Il reste tant à faire pour garantir cette égalité promise.

Il fallait alors passer à l'acte et préparer une loi contre la violence faite aux femmes. La première mouture du projet de loi a été préparée par un groupe de femmes appartenant à la société civile, après consultation des partis politiques. En tant que vice-présidente de l'Assemblée constituante, j'ai alors organisé avec la secrétaire d'État de la Femme, de la Famille et de l'Enfance, deux sessions pour sensibiliser les députés. Il faut partager une définition commune à la violence. Il n'y a pas que la violence physique. Il y a aussi une violence verbale, sociale et économique qui ne donne pas toute son indépendance aux femmes. La loi doit répondre à toutes ces dimensions de la violence.

Dans le milieu familial, plus de six femmes sur dix victimes de violence

Un projet de loi initial a été rejeté par le conseil des ministres en 2014. Les priorités étaient alors ailleurs. Nous avons remis sur le métier le projet de loi et engagé des actions de sensibilisation à partir des chiffres qui sont consternants. Dans le milieu familial, plus de six femmes sur dix se disent victimes de violence. Plus de 70 % se plaignent de la violence sur la place publique ou dans leur travail.

Aujourd'hui, nous avons un projet soutenu par le gouvernement. Deux commissions vont se prononcer, la commission femmes qui rendra un avis, et la commission droit et liberté et relations extérieures qui va faire voter ce projet après un débat général. Ce débat au sein du Parlement, mais aussi dans les médias et plus globalement dans la société tunisienne, va être très important. Car cette loi pose une question essentielle : celle de l'accès des filles et des femmes tunisiennes à leurs droits, à leur liberté.

Assemblée nationale constituante de Tunisie. ©  Women SenseTour in Muslim Countries


Des avancées majeures pour les femmes et les jeunes filles

Il y a deux mois, en Tunisie, une fille de 14 ans de milieu rural, tombe enceinte d'un garçon de l'entourage dans une relation non consentie. La seule solution qui lui est proposée est de se marier avec lui. Elle se retrouve victime, marginalisée et mariée. Voilà l'une des réalités de ces filles en zones rurales qui vivent ces violences physique, sociale et économique au quotidien. Ces filles deviennent souvent aides ménagères de femmes aisées qui sont pourtant engagées dans l'émancipation des femmes. Quel paradoxe !

Le projet de loi considère que toute violence physique par un père, un frère ou un oncle, ne sera plus minimisée au prétexte d'une forme d'impunité au sein de la cellule familiale. La violence par l'un des membres de la famille sera même une circonstance aggravante, car la famille a un devoir de protection de ses membres. L'accueil de la femme violentée au sein de nos institutions policières ou juridiques sera également renforcé et la loi consacre un article contre l'exploitation des petites filles.

Toujours sur la violence sexuelle, quand on parle de viol, on évoque le plus souvent un violeur masculin et une victime féminine. On constate pourtant que les jeunes garçons sont aussi victimes de viol, au sein des fratries et au-delà. Il y a une définition de la victime de viol qui n'est plus liée au sexe. Toutes les personnes fragiles ou victimes seront mieux protégées.

Des Tunisiennes defilent avenue Bourguiba pour marquer le 5e anniversaire de la revolution de 2011, ici le 14 janvier 2016. ©  AFP/Archives


Enfin, il va y avoir la question de la violence économique faite aux femmes. La loi actuelle dit « à diplôme égal, salaire égal ». Dans la réalité, ce n'est pas toujours vrai, on constate une décote salariale pour les femmes de l'ordre de 15 % à 25 %. Il faut maintenant activer cette égalité, comme il faut encourager l'accès aux responsabilités pour les femmes. Le plafond de verre existe aussi en Tunisie, dans les plus hautes responsabilités comme pour l'ouvrière agricole qui cumule salaire minimisé et absence de couverture sociale. La loi est une chose, l'application de la loi en est une autre.

Une loi nécessaire, mais non suffisante

L'accès aux droits fondamentaux pour les femmes nécessite non seulement de renforcer la législation, mais aussi d'édicter des normes et de changer nos comportements. Car derrière cette loi se joue avant tout un changement de perception et de comportement.

La violence faite aux femmes est une réalité dans tous les pays, y compris en France où j'ai vécu 30 ans. Il y a des raisons socio-économiques, mais aussi le machisme au quotidien qui banalise la violence. Ces mentalités sont profondément ancrées dans nos sociétés, des violences verbales aux violences physiques. La violence, c'est l'atteinte à la dignité de la femme, et plus largement à celle de l'être humain. Cette loi vise ainsi à redonner sa dignité à la femme.

Les jeunes femmes tunisiennes se promènent dans le centre-ville de Tunis, en avril 2014. ©  Fethi Belaid/AFP
© Fethi Belaid/AFP


Tous les acteurs de la société, les politiques, les médias, les enseignants, les forces de police, portent une responsabilité pour sensibiliser les citoyens à cette question de la dignité des femmes. Y compris les imams et les associations de la société civile. Et en tant que femmes musulmanes, nous devons être les premières à dénoncer les attitudes sexistes et à nous engager à les changer. La violence est davantage une question culturelle que religieuse. Tous les acteurs de la société sont des relais pour changer les mentalités et intégrer une culture démocratique conforme à la Constitution et au droit.

La femme est l'avenir de la démocratie

Notre atout est que la pensée tunisienne est fondamentalement réformatrice, tant dans la société civile qu'au sein des partis politiques. La démocratisation de l'éducation est aussi une force de progrès pour la Tunisie. Nous sommes dans une Tunisie libre où tous les sujets doivent être débattus, seule manière de changer le curseur des mentalités.

Je suis tunisienne, démocrate, femme libre et musulmane, et comme de nombreuses femmes tunisiennes, j'aspire à l'égalité et à une liberté qui ne soit sous la tutelle de personne. Cette loi est une avancée majeure pour notre démocratie et pour la Tunisie. Car une femme qui exerce pleinement ces droits est une femme indépendante dans ses choix de vie, qui a accès à l'éducation, à des responsabilités économiques et politiques, qui peut devenir son propre patron ou députée comme j'ai la chance de l'être. C'est la liberté de conscience telle qu'elle existe dans notre Constitution.

Cette loi contre les violences faites aux femmes est la nôtre, à tous les Tunisiens.

* Mehrezia Labidi Maïza est députée, vice-présidente de l'Assemblée nationale constituante et membre du bureau exécutif du parti Ennahda – membre de la commission femme et famille et de la commission droits et libertés.