Scénario noir

Le Royaume-Uni en 2024 : nanti ou anéanti ?

Etranglé économiquement, esseulé sans l’Irlande du Nord et l’Ecosse, Londres revient la queue entre les jambes demander sa réintégration dans une UE en pleine forme.
par Jean Quatremer, BRUXELLES (UE), de notre correspondant et Sonia Delesalle-Stolper, Correspondante à Londres
publié le 28 mars 2017 à 20h06

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Dimanche 30 juin 2024 : la voiture de David Miliband, le Premier ministre travailliste qui dirige le tout nouveau cabinet d’union nationale, s’engouffre dans la cour d’arrivée du bâtiment du Conseil des ministres à Bruxelles. Il sort de sa limousine sous l’œil des médias du monde entier. Ce n’est pas tous les jours qu’on assiste à une telle humiliation. Cinq ans après être sorti en fanfare de l’Union européenne, le «Royaume-Uni d’Angleterre et du pays de Galles» vient, tels les bourgeois de Calais, demander à ses ex-partenaires narquois, voire rigolards, de le réadmettre. Le visage impassible, le sourire n’étant pas vraiment de mise vue la situation économique de ce qui reste de son pays, il répond, en français, l’une des deux langues officielles de l’Union, aux questions des journalistes avant de s’engouffrer dans le bâtiment. Il sait qu’il n’y aura pas de réelles négociations et que son pays va devoir accepter tout ce qu’il a longtemps considéré comme inacceptable. Mais ce sera le prix à payer pour sortir des griffes du Fonds monétaire international…

En entrant, livide, dans le bâtiment, Miliband se remémore le fil des événements. Tout a commencé le 1er avril 2019, lorsque le Royaume-Uni est sorti de l'UE sans aucun accord. Theresa May, la Première ministre de l'époque, coincée par la ligne dure qu'elle a adoptée dès sa prise de fonction et par l'aile europhobe de son parti, n'a rien cédé. Et, contrairement à ce qu'elle espérait, les Européens sont restés unis. Du jour au lendemain, les entreprises et surtout les banques britanniques ont perdu l'accès au marché unique. Conséquence de la sortie de l'union douanière, des tarifs douaniers ont été instaurés. La City a vite accusé le coup. Jusque-là place financière de la zone euro, elle a assisté impuissante au départ des chambres de compensation pour Francfort. Les banques étrangères ont suivi. Tout comme leurs consœurs britanniques, qui y ont transféré une majorité de leurs activités. Une partie des industries locales, privées de ses débouchés naturels, s'est elle aussi exilée, à commencer par les constructeurs automobiles étrangers. Pire, dès 2018, les investissements étrangers ont commencé à se tarir en prévision de ce «hard Brexit».

Pas de cadeau

La livre a perdu 20 % de sa valeur face à l’euro et au dollar en 2019, avant de continuer sa dégringolade. Dans un premier temps, le pays y a vu un effet d’aubaine : la chute de la monnaie a permis de compenser le choc des droits de douane. Mais rapidement, l’effet bénéfique de cette dépréciation a disparu. Les intrants représentent environ 60 % des produits fabriqués en outre-Manche, et les délocalisations se sont accélérées. Conséquence, les exportations se sont effondrées, le Commonwealth n’ayant pas absorbé l’excédent. Et l’inflation, bien sûr, a explosé, atteignant 9 % par an. Le pouvoir d’achat des ménages a donc chuté, étranglant la consommation qui avait soutenu la croissance en 2016 et en 2017. Londres a bien tenté de négocier des accords de libre-échange. Mais les discussions ont traîné en longueur. Personne, et notamment pas ses anciennes colonies, n’étant disposé à lui faire de cadeau…

Pire : le marché immobilier a coulé à pic. Les Européens, mais aussi les non-Européens, ayant fui ce pays qui se refermait sur lui-même. Beaucoup de ménages surendettés n’ont alors pas pu rembourser leur emprunt. Et plusieurs banques ont fait faillite. La Banque d’Angleterre a alors fait tourner la planche à billets pour sauver ce qui pouvait l’être, affolant encore plus l’inflation. Les taux d’intérêts se sont envolés et ont étranglé un peu plus les entreprises et les ménages. Le Royaume-Uni a plongé en récession dès 2018. Une dépression qui n’a cessé de s’approfondir les années suivantes, et nourri un chômage endémique. Pour ne rien arranger, les agriculteurs, privés des subventions de la politique agricole commune, ont été de plus en plus nombreux à mettre la clé sous la porte. Résultat, le Royaume-Uni a été obligé d’importer à prix d’or sa nourriture. Sidérés, les Européens ont vu ce pays si riche plonger dans le gouffre. Comme dans les années 70, le pays a vite été qualifié « d’homme malade de l’Europe » et les économistes ont ressorti le terme de «retrodevelopment» (développement inversé).

Cocktail explosif

Le déficit public s’est rapidement creusé et la dette de l’Etat est devenue insoutenable, les marchés exigeant des primes de risques de plus en plus élevées. En 2022, Londres n’a eu d’autre choix que d’appeler le FMI à l’aide. Comme en 1976. Sa dette a été restructurée, mais les tories ont rajouté de l’austérité à l’austérité. Taillé dans les dépenses publiques. Avec un cocktail explosif : chômage, inégalités et misère. Lassée d’être entraînée dans la chute anglaise, l’Ecosse a enfin pris son indépendance et rejoint l’UE. L’Irlande du Nord, elle, s’est unie à l’Irlande au sein d’une «Fédération irlandaise». Le Royaume-Uni est désormais réduit aux acquêts.

Les conservateurs ont été balayés lors des élections de 2023 convoquées après une dissolution d’urgence de la Chambre des communes. Un cabinet d’union nationale dirigé par les travaillistes, qui ont mis sur la touche Jeremy Corbyn en 2021, a été mis en place. Avec un seul ordre de mission : rejoindre l’Union européenne qui, pendant ce temps, a poursuivi son intégration. Miliband sait qu’il va devoir accepter l’euro. Les Européens ne sont pas prêts à lui accorder la moindre dérogation. En repensant à Nigel Farage et à Boris Johnson qui, lassés d’être conspués dès qu’ils apparaissaient en public, ont dû demander l’asile aux Etats-Unis, Miliband retrouve le sourire…

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