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De Montpellier à Roubaix, les abstentionnistes entre « ras le bol » et « rien à foutre »

Un tiers des électeurs déclarent ne pas vouloir voter au premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril. Témoignages.

Par , , , , et

Publié le 30 mars 2017 à 06h38, modifié le 31 mars 2017 à 11h11

Temps de Lecture 5 min.

Centre ville de Roubaix. Café Le Broutteux. Jonathan Delecroix, 35 ans, médiateur social en milieu scolaire. Roubaisien depuis 10 ans, futur abstentionniste.

« Ça ne m’intéresse pas. » Rudy n’a pas réfléchi bien longtemps avant de répondre au duo de militants socialistes qui tractaient dans son quartier de Montpellier. Dans l’entrebâillement de sa porte, le trentenaire antillais a tout de même hésité à clore la conversation aussi sèchement. Il explique avoir voulu croire à la politique jusque-là, mais désormais il ne donne « plus de crédit à tout ça. » Voter ? « C’est illusoire », tranche-t-il, puisque « les choses ne changent pas ». Le militant socialiste a beau tenter de le remobiliser en évoquant la montée du Front national, peine perdue. « Je ne me sens pas menacé », rétorque Rudy. Le FN ne lui fait pas plus peur qu’un autre parti. Pour un vrai changement, il ne voit d’ailleurs qu’une solution : sortir de l’Europe. Mais même pour ça, il n’ira pas voter.

Comme Rudy, ils sont nombreux à déclarer qu’ils ne se déplaceront pas le 23 avril. La démobilisation pourrait même monter à un niveau jamais atteint à une élection présidentielle, avec une abstention estimée à 32 %, selon la dernière enquête du Cevipof, publiée par Le Monde, début mars. Soit 11,5 points de plus qu’au premier tour, en 2012. Et même au-dessus du précédent record de 2002, à 28,40 % au premier tour.

Une désaffection une nouvelle fois particulièrement prégnante chez les jeunes, comme Théo Steffen, qui s’abstiendra plutôt que de participer à sa première élection présidentielle. Cet intérimaire nancéen de 21 ans n’a jamais voté, et ne voit pas pourquoi il irait participer à un « système » qui le considère comme du « bétail électoral ». Non, assène-t-il, « je ne déléguerai pas mon pouvoir de citoyen à quelqu’un qui n’aura pas d’autre choix que de nous trahir ensuite ». Ses amis tentent bien de le convaincre, en lui disant que s’il ne vote pas, il participera à l’élection de Marine Le Pen. Lui refuse de culpabiliser. Le vote utile, il trouve ça « absurde » : « Je n’en ai rien à foutre qu’elle soit élue. »

« Tous les candidats dans le même panier »

D’autres feront leurs premiers pas d’abstentionnistes, après plusieurs années de désenchantement. Depuis 1981, et le premier septennat de François Mitterrand, Liliane Viale estime ainsi n’avoir jamais vraiment voté « pour ». A 65 ans, cette retraitée marseillaise de gauche a bien choisi François Hollande en 2012, mais « sans conviction ». Cinq années d’un mandat qu’elle qualifie « de droite » ont fini de la dégoûter. Son « non-vote » traduira son « ras-le-bol » contre « les petits incidents qui pourrissent la vie des gens au quotidien ». Une colère que ses proches partagent, mais qu’ils comptent, eux, transformer en bulletin Front national. « Ils se disent : peu importe ce qui se passera, au moins on met un gros coup de pied dans la fourmilière, et peut-être qu’ils vont réagir. »

« En ce moment, vous savez, la politique… »

Jean-Luc Cardoso, délégué CGT à la centrale nucléaire de Fessenheim, hésite encore à aller voter.

S’abstenir pour la première fois à 49 ans, pas si simple pour Jean-Luc Cardoso. « Il va falloir que je fasse une psychanalyse pour régler mon dilemme », dit en souriant le représentant CGT de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin). Le syndicaliste n’a pas digéré que son outil de travail devienne un objet de « négociations politiciennes ». Promesse de campagne du candidat Hollande, la fermeture de la centrale nucléaire devrait finalement prendre effet à la fin de 2018. Alors, Jean-Luc Cardoso met désormais « tous les candidats dans le même panier », de l’extrême droite à l’extrême gauche.

Il se laisse tout de même une chance : peut-être changera-t-il d’avis pour le premier tour. Mais au deuxième, « vues les forces en présence », il ne voit aucune raison de se déplacer. D’autant qu’il en a fini avec « le barrage ». En 2002, il avait voté pour Jacques Chirac, ou plutôt contre Jean-Marie Le Pen. « Une erreur » qu’il regrette encore aujourd’hui. Il en a gardé l’impression amère d’avoir perdu toute légitimité à, ensuite, manifester contre une politique qu’il avait cautionnée de sa voix. Au moins, cette fois, « si je ne vais pas voter, je pourrai me regarder dans la glace et aller dans la rue après ». Et si Marine Le Pen est élue, il n’aura pas non plus voté pour elle, poursuit-il, alors pourquoi devrait-il se sentir coupable ? « Je prendrai ma place dans la rue pour m’opposer à ce qui ne sera pas conforme aux valeurs de la République. »

Il est loin d’être le seul à refuser ce vote « républicain », en cas de présence de l’extrême droite au second tour. Dans l’hypothèse d’un duel opposant François Fillon à Marine Le Pen, Jonathan Delecroix sait déjà qu’il votera blanc. Lui, « l’enfant de 1981 qui a toujours voté à gauche » ne pourrait pas « participer à cette mascarade ». « Avec le mépris et le cynisme dont font preuve les Républicains, ce serait de la malhonnêteté intellectuelle de voter pour François Fillon, le candidat du ni-ni », estime le Roubaisien âgé de 35 ans, médiateur social en milieu scolaire. Pourtant, en 2002, lui aussi avait voté « plutôt escroc que facho », se souvient-il. « Mais depuis quinze ans, les choses ont changé, les frontières entre la droite et l’extrême droite sont moins claires. »

« Ben quand même, tu peux donner ton avis »

Des frontières brouillées entre les partis qui poussent également Johann à ne pas aller voter. Pour ce technicien de surface âgé de 30 ans, de gauche à droite « ils ont les mêmes valeurs, même le Front national », lance-t-il à la sortie de l’assemblée de Nuit debout à Niort : « On vote utile soi-disant parce qu’il y a une menace, mais là, ils sont tous une menace. Ils ne font plus rien pour le peuple. »

Quartier des Trois Ponts à Roubaix. Petit marché sur la place de la Citoyenneté. Stéphanie Banek, commerçante, 41 ans.

Stéphanie Banek, elle, considère même que la pire des options serait l’élection d’Emmanuel Macron. Marine Le Pen présidente, la commerçante roubaisienne de 41 ans n’en a « rien à faire ». Mais « si Macron passe, je balance ma télévision par la fenêtre ». Ancienne ouvrière dans la vente par correspondance, elle fait depuis peu les marchés du Nord, où elle vend des vêtements. Son vote, lui, n’a jamais changé : à droite, toujours. Cette année encore, elle aurait bien choisi François Fillon, « mais “ils” ont monté une affaire contre lui ». Alors elle ne sait pas encore si elle se déplacera. « En ce moment, vous savez, la politique… »

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Entre les chichis et les peluches de la fête foraine de Compiègne, deux jeunes Picardes attendent que leur frère termine son tour de manège. Elodie Journot a l’âge de voter, pas Lucie. L’aînée, 25 ans, ne se rendra pas dans les urnes. « Ça ne sert à rien », abrège-t-elle. « Ben quand même, tu peux donner ton avis », la sermonne sa cadette. Lucie aurait bien pris la voix de sa grande sœur. La semaine dernière, une enseignante de son lycée professionnel l’a sortie de classe parce qu’elle parlait de l’affaire Fillon un peu trop fort. « La politique, ce n’est pas important ici », a-t-elle dit aux élèves.

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