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ARABIE SAOUDITE

Arabie saoudite : pardonner les condamnés à mort, ce business très lucratif

Capture d'écran d'une vidéo YouTube datant du 18 mars 2017 et montrant une cérémonie de collecte de dons pour obtenir la grâce d’un condamné à mort.
Capture d'écran d'une vidéo YouTube datant du 18 mars 2017 et montrant une cérémonie de collecte de dons pour obtenir la grâce d’un condamné à mort.
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L’Arabie saoudite compte parmi les pays où le nombre d’exécutions est le plus élevé au monde. Mais certains condamnés voient leur vie épargnée quand la famille de la victime décide d’accorder son pardon… en échange d’une somme conséquente. Cette pratique, la diya, donne aujourd’hui lieu à un business sans scrupule.

La diya est un concept de la religion musulmane qui désigne le "prix du sang" : une somme d’argent que doit payer l’auteur d’un meurtre (ou sa famille) à la famille de la victime pour obtenir son pardon.

Dans cette vidéo, filmée par un témoin dimanche 26 mars dans la ville de Taëf, à l’ouest de l’Arabie saoudite, un condamné à mort est sur le point d’être décapité sur une place publique. Mais soudain, la foule s'agite : l’exécution est reportée car la famille de la victime vient d’accepter de négocier la grâce du condamné. Elle peut se décider jusqu’à la dernière seconde, quitte parfois à mettre en scène une décision prise bien avant. La sentence est alors ajournée de trois mois, le temps pour la famille du condamné de rassembler la somme demandée par la famille de la victime. C’est là qu’interviennent les médiateurs.

Mohammad Alsaeedi vit à Qatif, dans l’est du pays. Il a déjà assisté à des exécutions publiques.

'Encouragées par les médiateurs, beaucoup de familles réclament des sommes astronomiques"

Quand une famille souhaite demander la grâce pour un fils qui a commis un meurtre, elle s’adresse d’abord à un médiateur. Ça peut être un notable, un leader religieux ou parfois un émir local.

La première tâche du médiateur est de convaincre la famille de la victime d’accepter le principe du pardon. Une fois qu’elle annonce être prête à accorder sa grâce, les négociations avec la famille du coupable s’engagent. Les médiateurs ont tendance à encourager les familles à demander des sommes astronomiques, ça peut aller jusqu’à 60 millions de rials [environ 15 millions d’euros].

Dans la grande majorité des cas, la famille du condamné n’a pas les moyens de payer. Avec l’aide du médiateur, elle lance donc une campagne de collecte de fonds. L’administration de la province ouvre alors un compte bancaire avec l’autorisation du ministère de l’Intérieur, où sera déposé l’argent des donateurs.

Le médiateur, lui, mène campagne auprès des riches hommes d’affaires et des tribus les plus influentes pour tenter de les convaincre de mettre la main à la poche.

Sous le hashag #اعتق رقبة (épargne une vie), les campagnes de collecte de dons prolifèrent aussi sur Twitter.

Affiche d’une campagne pour collecter 60 millions de rials (15 millions d’euros) et épargner la vie d’un détenu condamné pour avoir tué un homme au cours d’une dispute.

Cette annonce invite les internautes à faire aumône de 15 millions de rials (3,7 millions d’euros). Sur l’affiche, on peut lire des versets coraniques et des hadiths louant les vertus du pardon, mais aussi les coordonnées bancaires du compte destiné à récolter les dons. Source : Twitter.

Il est également courant que des tribus organisent des cérémonies et des dîners de charité pour convaincre les personnalités les plus influentes de la région d'apporter leur contribution.

Mise en ligne le 18 mars 2017, cette vidéo montre une cérémonie de collecte de dons organisée par une tribu pour obtenir la grâce d’un homme accusé d’avoir tué son beau-frère au cours d’une dispute. Au menu : thé, danses traditionnelles…et remise de chèques.

Pour notre Observateur, ces pratiques pervertissent le principe de pardon :

La loi saoudienne interdit de faire la promotion des campagnes de collecte de dons dans les médias et sur les réseaux sociaux. Et pourtant, les annonces de ce type prolifèrent sur Twitter.

En outre, un arrêté royal datant de 2011 fixe le montant de la diya à 400 000 rials [environ 100 000 euros]. Mais rares sont les familles qui s’y tiennent [en Arabie saoudite, un arrêté royal ne revêt pas un caractère obligatoire, NDLR].

Depuis quelques années, il y a une surenchère très malsaine autour de la diya. C’est devenu un business, et beaucoup de familles n’accordent plus leur pardon pour accomplir un acte vertueux recommandé par l’islam, mais pour amasser une grosse fortune.

"Fixer un plafond pour la diya"

Les plus grands responsables de cette situation sont les médiateurs. Ce sont eux qui poussent les familles à réclamer des sommes faramineuses, car ils prélèvent une commission dessus. Ce sont des opportunistes qui amassent des fortunes sur le dos des morts.

Les autorités devraient mettre en place un contrôle très strict de cette pratique, et commencer par fixer un plafond pour la diya.

Le pire, c’est qu’une fois que l’auteur d’un meurtre a bénéficié d’une mesure de grâce, il sort de prison au bout de quelques mois, voire quelques semaines. Il peut donc purger une peine très légère au regard de son crime. Et je trouve que cela encourage l’impunité.

Toutefois, en novembre 2016, la Cour suprême d’Arabie saoudite a demandé aux juges d’appliquer une peine allant jusqu’à 5 ans de prison aux auteurs de meurtres ayant bénéficié d’une mesure de pardon.

"Le crime ne doit pas rester impuni"

Dans une tribune publiée sur le site d’informations alriyadh.com, Abderrahmane Allahem, avocat spécialisé dans les droits de l’Homme en Arabie saoudite, estime que c’est insuffisant :

"Je ne suis pas contre les mesures de pardon. Mais même en cas de pardon, le tribunal doit prononcer une peine de prison à l’encontre de l’auteur du meurtre, au moins 25 ans. Parce qu’une mesure de pardon ne doit pas signifier que le crime peut rester impuni. (…)

De plus, le fait que le meurtrier puisse retrouver rapidement la liberté peut représenter un grand danger pour la société (…). Ne pas punir l’auteur d’un meurtre, c’est surtout déprécier la valeur de la vie humaine."

Depuis quelques mois, avocats, intellectuels et leaders religieux ont multiplié les appels dans les médias pour demander à l’État de mettre un terme aux pratiques des "médiateurs du sang". Pour l’instant, ils sont restés lettre morte.

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