«Je déclare ouverte l’Assemblée constituante. Je serai votre Provisoire – car président, c’est un poste provisoire – et je soumettrai vos lois, jeunes citoyens, au peuple ici présent ».

Du haut d’un escabeau rouge, l’animateur Ismael Bara se prend au jeu. Face à lui, sagement assis en arc de cercle, plusieurs rangs de législateurs en herbe, bien plus métissés que ceux du Palais-Bourbon. Au centre social et culturel d’Étouvie, quartier populaire d’Amiens de 8 000 habitants, les adultes aussi sont venus nombreux. Ils votent à main levée les lois à propos desquelles les enfants et adolescents argumentent devant eux. Sous les applaudissements, les idées fusent, contre l’échec scolaire, la précarité, pour l’accessibilité à l’emploi ou une gouvernance mondiale.

Le collectif Pas sans nous remet les habitants au cœur de la Cité

Ce samedi 18 mars à Étouvie, on sensibilise ainsi les plus jeunes au dispositif expérimenté depuis trois ans par la Fédération nationale des centres sociaux et le collectif Pas Sans Nous dans plusieurs quartiers dits « prioritaires » : les tables de quartier. Leur but : rassembler les habitants, les former à prendre la parole, porter un regard critique, défendre leur expertise de la situation, faire valoir leurs besoins et propositions auprès des élus.

« Au sein de cette Assemblée nationale petit format comme lors des tables de quartier, on entend, on écoute et on construit, explique Ismaël Bara. On dessine un petit lieu de contre-pouvoir où les habitants ont leur mot à dire, où les décisions qui les concernent ne peuvent pas être prises sans eux. »

« Il faut redonner du pouvoir d’initiative et d’expertise aux citoyens »

« Ça ne se fera plus sans nous », tel était déjà le sous-titre du rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville, écrit en 2013 par la sociologue Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache, porte-parole du collectif AC Le Feu, à la demande du ministre délégué à la ville François Lamy. Au cœur de leur démarche, il y avait l’idée de co-construire les politiques publiques en se fondant sur le travail associatif existant et en développant la « capacité d’agir » des habitants.

« On ne diminuera pas la méfiance envers les représentants politiques sans changer le fonctionnement de la démocratie, argumente aujourd’hui encore Marie-Hélène Bacqué. C’est une question de rapport de force. Il faut redonner du pouvoir d’initiative et d’expertise aux citoyens et créer une fondation pour financer les associations dont c’est la vocation afin qu’elles ne soient plus prises dans des logiques clientélistes. »

En 2014, naissait le collectif Pas sans nous afin de porter les propositions du rapport, notamment l’idée d’un fonds d’initiative citoyenne doté d’au moins 5 % du montant total de l’argent public consacré chaque année au fonctionnement de la démocratie représentative, soit 35 millions d’euros.

Inspirée des tables montréalaises

Alors que la loi de programmation crée les conseils citoyens pour associer des habitants tirés au sort à la politique de la ville, Pas Sans Nous décide d’expérimenter douze tables de quartier avec la Fédération des centres sociaux. Les problèmes diffèrent selon les lieux. À Amiens, il s’agit de lutter pour la réouverture d’un centre commercial. À Nîmes, de modifier la ligne de bus qui ne s’arrête plus dans le quartier. La méthode, elle, ne varie pas : « On mobilise les gens six mois avant l’assemblée de lancement lors de laquelle les thèmes et les actions sont décidés. Ensuite la table se tient tous les mois ou deux mois, selon un ordre du jour », explique Jérémy Louis, responsable national de l’expérimentation.

Inspirée des tables montréalaises qui rassemblent les associations d’un même quartier, l’initiative française mobilise, elle, directement les habitants sur des thèmes divers, l’urbanisme bien sûr mais aussi l’éducation, la justice, la jeunesse…

Les associations viennent en support, mobilisant leurs réseaux ou proposant, comme La Boîte sans projet, des sessions de formation sur plusieurs mois. Angélique Perrier, vendeuse à domicile et habitante d’Étouvie, témoigne avec émotion de la confiance qu’elle y a gagnée, elle qui se sentait incapable de s’exprimer en public : « La participation des habitants ne s’improvise pas. Cela prend du temps et ce n’est pas toujours celui des élus », analyse-t-elle.

« Il est grand temps que cette démocratie existe »

Un décalage dont Laurence Potin, auxiliaire de vie, raconte la décevante expérience. Tirée au sort pour faire partie du conseil citoyen, elle s’est retrouvée seule et sans réel accompagnement face au projet de ville et ses multiples sigles incompréhensibles. « La méthode de l’arpentage nous a permis d’organiser une lecture collective de cet imposant document, se souvient Xavier Desjonquères, coordinateur des tables de quartier à Étouvie. Chacun a pris 5 ou 6 pages et en a fait un résumé pour les autres. Et peu à peu, au-delà de la rénovation urbaine, les habitants ont appris à s’emparer des sujets et à formuler leur point de vue ».

Tous sont d’accord : une véritable démocratie citoyenne requiert du temps. « Si vous voulez juste faire ”participer” les habitants, organisez un tournoi de foot, ironise Antoine Baillœul, directeur du centre social La Maison à Tourcoing, mais si vous voulez faire délibérer les gens, c’est autre chose. Il faut apprendre à se connaître, savoir de quoi l’on parle et peu à peu construire une véritable expertise citoyenne. »

Pas sans nous vient d’interpeller les candidats à la présidentielle sur 10 propositions, dont le fonds pour la démocratie d’initiative citoyenne, déjà soutenu par de multiples associations comme le Secours catholique. « Il est grand temps que cette démocratie existe, conclut Marie-Hélène Bacqué, et que l’on donne enfin aux citoyens les moyens de la faire advenir ».