LE PARISIEN MAGAZINE. Histoire : Julie-Victoire Daubié, mention spéciale à la lauréate

En 1861, Julie-Victoire Daubié bouscule les autorités universitaires : en devenant la première « bachelier » de France, elle ouvre la voie de l’enseignement aux filles.

 Du certificat de capacité, obtenu à 20 ans, au baccalauréat, décroché 
à 37 ans, Julie-Victoire Daubié a œuvré sans relâche pour l’instruction des femmes.
 Du certificat de capacité, obtenu à 20 ans, au baccalauréat, décroché
à 37 ans, Julie-Victoire Daubié a œuvré sans relâche pour l’instruction des femmes. Christine hart/maxppp

    Au milieu du XIXe siècle, la France considère encore l'éducation des filles comme accessoire. Si aucune loi ne leur interdit de se présenter au baccalauréat, elles n'ont en revanche pas accès aux cours de l'université ! La question de leur présence à l'examen suprême ne se pose donc pas… Julie-Victoire Daubié, âgée de 37 ans, sera la première à forcer le destin. L'académie de Lyon, après les refus de Paris et d'Aix-en-Provence, lui accorde son inscription. Et elle obtient son baccalauréat en août 1861, par trois boules blanches qui lui sont favorables, contre une boule noire défavorable. En ce temps-là, les examinateurs émettaient en effet un « avis » au moyen d'une boule de couleur. Six boules rouges, pour autant d'abstentions, soulignent les réticences d'un jury exclusivement masculin. La presse lyonnaise salue néanmoins cette victoire par ces mots : « Mademoiselle Daubié ouvre une nouvelle voie aux femmes (…) qui, comme elle, ont reçu en partage la force de la volonté et les dons de l'intelligence. »

    Une Lorraine de la petite bourgeoisie

    C'est dans le courage des femmes qui façonnent son enfance que Julie-Victoire, surnommée Victoire, va puiser sa détermination. La vie est rude à Fontenoy-le-Château, en Lorraine. La petite bourgeoisie, dont elle est issue, et la classe ouvrière travaillent ensemble à l'essor des manufactures de broderie. A 20 ans, en 1844, elle gagne une première manche : elle obtient son « certificat de capacité », unique diplôme d'enseignante alors accessible aux femmes. Elle ne s'arrête pas en si bon chemin et apprend le grec et le latin auprès de son frère prêtre. Puis elle s'inscrit aux cours du Muséum national d'histoire naturelle, à Paris, et obtient même une permission d'accès aux collections pour travailler hors des heures d'ouverture. Enfin, Victoire enseigne et voyage, aiguisant son regard sur la condition des femmes de son siècle.

    Le combat d'une vie pour l'émancipation féminine

    Ses voyages et les souvenirs des ouvrières de son enfance lui soufflent l'écriture d'un livre, La Femme pauvre au XIXe siècle. Cet ouvrage remporte en 1859 le premier prix du concours de l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon ! Ce deuxième succès est aussi l'occasion d'une rencontre essentielle : François Barthélemy Arlès-Dufour (1797-1872). Industriel, humaniste et progressiste, il est très influent et milite en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes. C'est avec son appui que Victoire parvient à convaincre l'université de Lyon de l'accepter parmi ses élèves.

    Mais, sur le chemin de l'émancipation des femmes, les embûches sont nombreuses. Le diplôme du baccalauréat, signé du ministre de l'Instruction publique, se fait attendre près d'un an. Ridiculisant à son tour ceux qu'elle qualifie de « retardataires de l'avenir », Victoire écrit : « En France, l'initiative sociale nous manque beaucoup plus que la liberté, car j'ai pu être admise à l'examen du baccalauréat (…). J'ai rencontré partout, pour cette innovation, une bienveillance impartiale et des sympathies généreuses, dont je ne saurais trop remercier ma patrie et mon siècle. »

    Parmi celles qui, dans l'Histoire, ont porté haut la voix des femmes, il est de coutume de citer la révolutionnaire Olympe de Gouges (1748-1793), l'auteure George Sand (1804-1876) et la philosophe Simone de Beauvoir (1908-1986). Mais, quoique plusieurs écoles en France portent son nom, Julie-Victoire Daubié reste injustement ignorée. Elle fut pourtant une pionnière, en lutte contre l'ordre social issu de l'Ancien Régime, pour l'accès des femmes à l'enseignement, au droit de vote et à l'égalité des salaires. Elle s'est éteinte en 1874, exactement cinquante ans avant que garçons et filles deviennent enfin égaux devant l'examen du baccalauréat !