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Billet de blog 2 avril 2017

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Plaquer la France ?

Refuser de laisser tomber ce pays. Même si la France est parfois usante. Mais elle est aussi très souvent usée par les promesses non tenues et les (pas la majorité) «tous pourris» manipulateurs et escrocs légaux. Éviter d'accentuer l’érosion de la République. Rester malgré le fond de l'air de plus en plus brun?

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Illustration 1
© M.A

      « Si Marine Le Pen passe, j’ai demandé un visa pour le Québec. ». Cette jeune femme très souriante, un bébé de quinze jours dans les bras, rajoute : « ma fille est métisse ». Bonheur et inquiétude mêlés dans le même regard. Aussitôt, j’ai repensé à JMG Le Clézio et d’autres personnalités ayant déclarés être prêtes à s’expatrier en cas de victoire du FN. Leur jeter la pierre ? Je l’ai fait dans un billet. Une connerie de ma part.Qui suis-je pour les juger ? Chacun fait comme il peut avec ses trouilles. Comme eux, j’ai parfois aussi envie- sans les moyens- de quitter ce pays. Fuir le pire et l’extrême pire. Aller voir ailleurs si l’horizon est moins brun.

Une envie de me tirer qui revient de temps à autre, comme par exemple très récemment dans un resto. Près d’un autre établissement où, à plusieurs reprises, j’avais entendu des propos xénophobes. Aucune envie de subir le même pensum au déjeuner. Et rebelote dans ce nouveau resto. Autre bistrot, autres fachos. Face à moi, quatre types, sans doute des cadres commerciaux, commencèrent à se lâcher. « Je ne suis pas raciste, mais…. ». Sauf que, cette fois, l’un d’entre eux essaya d’argumenter contre les raccourcis faciles. Prêt même à s’engueuler avec ses collègues. Un grand moment de solitude pour lui. Il rama jusqu’à l’addition.

En se levant, il posa un regard sur moi. Visiblement emmerdé. Il avait bien vu que je les écoutais. Je faillis lui proposer de s’asseoir et partager mon pichet de vin. Dans son regard se lisait «désolé, j’ai tout fait. Mes collègues ne sont pas des méchants fachos mais…. Mais les attentats, les intégristes musulmans, le chômage, les jeunes cons qui crament des bagnoles,les… Ils pètent les plombs comme beaucoup de gens en ce moment. Pas une période facile. ». Il eut un imperceptible mouvement d’épaules : « ça va être dur pour vous ici. A mon avis, vous devriez faire vos bagages avant… qu’elle arrive. ». Une interprétation de ma part ? Bien sûr qu'il ne s'agit que de mon ressenti. Parano classique du métèque moyen? Je ne crois pas. Juste confronté à une réalité actuelle.

C’est pour ce type et d’autres femmes et hommes de ce pays que nous devons rester. Ne pas laisser seuls ces résistants anonymes. Surtout à quelques jours d’un duel annoncé entre « je ne suis pas fasciste mais tu vas la fermer» et «le tueur social au sourire de gendre idéal ». Pour paraphraser le grand Jean-Patrick Manchette, ce sont les deux mâchoires du même piège à cons. Pile avec elle, tu perds. Et face avec lui, aussi. Perdant perdant. L’un se nourrissant de l’autre pour progresser; les citoyennes et citoyens au menu de ce vaste dîner de cons hexagonal. A chaque échéance électorale, les électeurs sont caressés dans le sens du vote avant d'être guidés jusqu'à l'isoloir.  Ces mêmes électeurs qui, post élections, regrettent le plus souvent leur vote; mécontents de s'être encore une fois abusés par de belles paroles, paroles . Rien de nouveau au printemps des urnes. Les gagnants sont bien sûr...? Devinez  qui... Nos chers, très cher amis de la finance. Pourquoi pas intégrer la carte électorale à notre CB et transformer les DAB en isoloirs? On gagnerait du temps et pas de désillusions. De gros agios pour les votes blancs et les abstentionnistes ?

Mais, qui que ce soit qui arrive à l'Elysée; électeurs, abstentionnistes, français ou pas, nous devons rester. Refuser de laisser tomber ce pays. Même si la France est  parfois usante, très souvent aussi usée par les promesses non tenues et les (pas la majorité) « tous pourris » manipulateurs et escrocs légaux. Eviter d'accentuer l’érosion de la République. Rester malgré le fond de l'air de plus en plus brun. Ne pas céder à la pression de la connerie et la haine. Résister à son petit niveau. Plus facile à dire que faire au quotidien.

Pourquoi persister dans une patrie où certains te considèrent comme un terroriste potentiel ? Générer encore de la peur dans les transports publics ? Pourquoi rester coincé entre les intégristes de souche et leurs clones barbus?  Se battre pour montrer patte blanche laïque et prouver sa "non barbarie" ? A quoi bon vivre en croisant de plus en plus de regards rêvant de ton expulsion? Nombreux, basanés ou pas, commencent à se poser ce genre de questions et penser à s'expatrier. Prendre un billet de train ou d'avion pour un ailleurs moins pire ? Chercher un troisième resto ? Divorcer après bientôt 55 années de vie commune avec ce pays ? Partir en abandonnant tous les très bons souvenirs et ceux en cours ? Hors de question. 

Rester pour ce bébé de quinze jours et toutes les autres têtes blondes, brunes, rousses… Sans oublier mon voisin de table désolé. Mais aussi pour chacune et chacun d'entre nous. Et tous les autres nous ayant confié les clefs de ce putain de beau pays.  Un pays qui a besoin de ses habitants et ses passagers temporaires venus du monde entier. Encore plus important en cette période où il est blessé. Partir serait à mon avis (changera-t-il avec la fatigue et la trouille ?) une forme de non assistance à France en danger. Surtout ne pas fuir là-bas j'y serai. Mais rester ici j’y suis ?

Pas prêt de te plaquer France.

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