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Excision : et maintenant les adolescentes...

20 ans après les campagnes de sensibilisation sur l'excision, ce ne sont plus des fillettes de moins de 6 ans mais des jeunes filles qui, lors d’un séjour au pays d’origine de leurs parents, se retrouvent mutilées.
20 ans après les campagnes de sensibilisation sur l'excision, ce ne sont plus des fillettes de moins de 6 ans mais des jeunes filles qui, lors d’un séjour au pays d’origine de leurs parents, se retrouvent mutilées. © Daphné Mongibeaux
Daphné Mongibeaux , Mis à jour le

On croyait cette barbarie en voie de disparition. Du moins en France. On s’aperçoit, vingt ans après les campagnes de sensibilisation et les mesures punitives, que ce ne sont plus des fillettes de moins de 6 ans mais des jeunes filles qui, lors d’un séjour au pays d’origine de leurs parents, se retrouvent mutilées. Des médecins, avocates, sociologues tentent d’alerter les autorités et de mobiliser les écoles, mais les réponses sont gravement insuffisantes. Courageuses, des jeunes filles françaises témoignent.

Depuis la rentrée des classes, des fillettes et des adolescentes manquent à l’appel. Elles devaient entrer en sixième ou en seconde, mais elles ont quitté les bancs de l’école et n’y retourneront sûrement jamais. Envoyées dans le pays d’origine de leurs parents l’été dernier en raison d’une grand-mère malade, d’une grande fête en leur honneur ou simplement pour visiter leur famille, elles reviendront d’ici trois ans souvent excisées, mariées de force et enceintes.

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Une mutilation qui fera d'elle des filles "à moitié femmes"

« Ces filles ont grandi en s’identifiant aux princesses de Disney. Elles débarquent dans des villages parfois sans eau ni électricité et se voient confinées aux tâches domestiques », explique Isabelle Gillette-Faye, sociologue et présidente du Gams (Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles) . Sans être averties de ce qui les attend, elles sont conduites chez l’exciseuse par un membre de leur famille , parfois la veille du mariage, parfois à l’insu de leurs propres parents. Allongées sur un pagne, les quatre membres immobilisés, on leur coupe ce qu’elles ont de plus intime, le clitoris, et parfois les petites et grandes lèvres. Sans anesthésie, avec une lame de couteau, de rasoir ou un tesson de bouteille. Elles auront beau hurler à la mort, elles tairont ensuite toute leur vie cette coupure qui fera d’elles des filles « à moitié femmes ». Pour leurs mari, père et grands-pères, ce traumatisme préservera pourtant leur virginité prénuptiale et garantira leur fidélité conjugale en réduisant leur libido.

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Les pouvoirs publics ne se donnent pas la peine de réactualiser les statistiques

En 2012, quand l’Onu a décrété l’excision « violation des droits fondamentaux des femmes », on croyait cette pratique sexiste en voie de recul. En 2016, l’Unicef a revu ses chiffres à la hausse : les mutilations sexuelles féminines touchent aujourd’hui 200 millions de femmes dans le monde et sont pratiquées en Afrique, au Moyen-Orient, en Asie, en Amérique du Sud et même au Daghestan en Russie. En France, en 2004, environ 53 000 femmes résidant dans l’Hexagone avaient subi l’excision, d’après l’Insee. Un chiffre bien en deçà de la réalité, selon les associations. Les pouvoirs publics ne se donnent pas la peine de réactualiser cette donnée vieillissante ; pas même dans la très attendue enquête Virage sur les « violences subies et les rapports de genre » soutenue par le ministère des Droits des femmes et qui paraîtra fin 2018.

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Pourtant, en 2009, l’Ined avançait, dans son enquête « Excision et handicap (ExH) », que trois fillettes sur dix dont les parents sont originaires de régions pratiquant l’excision étaient menacées par cette pratique en cas de retour au pays. Il s’agit surtout des familles originaires de l’ancien empire Mandé, situé entre le Mali, le Sénégal et la Mauritanie. « Mais, en France comme ailleurs, les flux migratoires se diversifient et on voit de plus en plus de filles menacées dont les parents viennent d’Afrique de l’Est, d’Egypte ou d’Indonésie, s’affole Isabelle Gillette-Faye. La pratique clandestine sur le territoire français serait exceptionnelle mais pas exclue. Nous avons récemment empêché deux adolescentes d’origine égyptienne de monter dans le train en partance pour Londres où elles avaient rendez-vous dans un hôpital pour se faire exciser », ajoute-t-elle. Pis, en 2013, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) alertait les autorités françaises : les victimes ne sont plus les petites filles de moins de 6 ans, désormais ce sont les adolescentes.

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S'il s'agissait de gamines blondes aux yeux bleus sans clitoris, tout le monde serait traumatisé

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Mais la mobilisation s’essouffle. Et Me Linda Weil-Curiel est en colère. Depuis 1982, l’avocate a plaidé dans une quarantaine de procès d’excision et constate un profond malaise. « S’il s’agissait de gamines blondes aux yeux bleus sans clitoris, tout le monde serait traumatisé, non ? répète-t-elle avec véhémence depuis une trentaine d’années. Au début de ma carrière, les magistrats renvoyaient ces dossiers d’un revers de manche en disant qu’il s’agissait d’une pratique culturelle concernant quelques balayeurs de rue… Je crois qu’aujourd’hui on a peur de remuer des histoires douloureuses liées à la colonisation. »

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Dans les années 1980, les grands procès d’excision très médiatisés avaient permis de faire reculer la pratique. Qualifiée de « crime », l’excision est alors sanctionnée par 15 ans d’emprisonnement, 150 000 euros d’amende et les parents sont reconnus complices même si leur fille est excisée à l’étranger. La compagne de lutte de l’avocate, Emmanuelle Piet, médecin de Protection maternelle et infantile (PMI) et responsable des centres de planification de la Seine-Saint-Denis, se souvient : « A la fin des années 1990, on criait victoire. On ne voyait plus de petites filles excisées lors des examens obligatoires des organes génitaux dans les centres de PMI. Les mères nous disaient qu’elles voulaient arrêter ça. Maintenant, on se rend compte que des parents ont adapté leur stratégie en reportant l’intervention. » L’enquête de l’Ined montre en effet une évolution. Au début des années 1980, 70 % des fillettes dont les parents étaient originaires de pays pratiquant les mutilations sexuelles étaient excisées ou risquaient de l’être. Au début des années 2000, seulement 11 % d’entre elles l’étaient et trois sur dix risquaient donc de l’être. Huit ans après cette enquête, impossible de savoir combien de filles ont été excisées… 

Le Dr Emmanuelle Piet.
Le Dr Emmanuelle Piet. © Daphné Mongibeaux

Le Dr Piet, qui prendra sa retraite dans quelques mois, ne désarme pas. Il faut multiplier les signalements, selon elle. Le personnel médical, en première ligne, est en effet dans l’obligation de signaler à la justice les mineures victimes ou menacées de mutilation sexuelle sans que leur soit opposé le respect du secret médical. « Cette méthode pratiquée par les médecins de PMI en Seine-Saint-Denis a largement participé à l’éradication de la pratique chez les petites filles de moins de 6 ans », souligne-t-elle. A cet effet, le ministère des Droits des femmes a établi en février 2016 une brochure à destination des praticiens. La Commission européenne a également lancé le 6 février une plateforme de formation en ligne pour des personnels de santé européens afin de les aider à identifier et à accompagner les femmes mutilées.

Les signalements seraient rarissimes et non suivis d'effets

Mais la Grande-Bretagne fait mieux : depuis 2014, elle oblige les hôpitaux à tenir à jour des statistiques sur les mutilations sexuelles féminines, afin de mieux lutter contre le problème. A Paris, le parquet des mineurs et l’unité médico-judiciaire – qui délivrent des certificats d’excision – restent muets. Selon les personnels médicaux, associatifs et travailleurs sociaux, les signalements seraient rarissimes et non suivis d’effet. « Il est délicat pour un gynécologue-obstétricien venant d’accoucher une adolescente mutilée de l’exposer ainsi et de mettre en cause ses parents », justifie Ghada Hatem, gynécologue et directrice de la Maison des femmes à Saint-Denis. Pour autant, elle veut continuer de répertorier les cas comme elle l’a initié à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis. Les médecins estiment que 14 femmes sur 100 ayant accouché dans cet établissement (qui réalise environ 4 600 accouchements chaque année) ont subi l’excision. Ce qui représente environ 700 femmes par an. C’est énorme.

Risque de mort par hémorragie, infections, lésions, stérilité...

Au-delà de la souffrance et du choc subis par les femmes victimes, les mutilations sexuelles peuvent entraîner la mort par hémorragie, des infections, des lésions traumatiques des organes voisins, la stérilité, des difficultés menstruelles, des douleurs durant les rapports et bien sûr des problèmes pendant la grossesse, sans parler des déchirures à l’accouchement. « Quand ces filles reviennent en France pour accoucher, accompagnées souvent du mari, elles sont traumatisées et terrorisées. Elles ne savent plus lire ni écrire. Elles ont grandi en France, mais on pourrait les prendre pour des primo-arrivantes. C’est vertigineux », raconte Isabelle Gillette-Faye qui s’est entretenue avec plusieurs d’entre elles. « Enclencher la machine judiciaire dans un contexte aussi sensible n’est pas aisé », plaide également Nathalie Marinier, directrice du Planning familial à Paris. Prudente, elle ajoute qu’elle rencontre également des adolescentes excisées venues demander un contraceptif à l’insu de leurs parents.

Jaha Dukureh, militante anti-excision la plus influente du monde

Alors, pour elle, la prévention à l’école est indispensable. Plusieurs fois par an, le Planning familial intervient dans les établissements pour discuter sexualité avec collégiens et lycéens. Lors de ces échanges, les filles sont généralement prises à part pour permettre aux langues de se délier. Certaines parlent d’une « amie », d’une « cousine lointaine » qui a été excisée ou qui partira bientôt au pays d’origine des parents… « On profite de ce moment pour parler des conséquences, des mesures de protection comme l’interdiction de sortie du territoire pour une jeune fille menacée. » Puis Nathalie Marinier ajoute, inquiète : « Récemment, il nous est arrivé d’entendre des jeunes filles revendiquer leur “droit” d’être excisées comme signe d’appartenance à une communauté. Cela nous a d’autant plus déstabilisées qu’elles utilisaient nos slogans féministes en parlant de “choix” ! »
Pour Nathalie Marinier, la médecine scolaire aurait un rôle important à jouer. « Hélas, les effectifs de médecins scolaires ont été divisés par deux en dix ans, alors comment trouveraient-ils le temps de dialoguer avec ces filles ? Quant à pratiquer un examen génital, c’est impensable », déplore-t-elle. D’ailleurs, la crise de l’enseignement est telle que les écoles préfèrent ne pas signaler les disparitions d’élèves à l’entrée au collège ou au lycée, de peur de voir leur effectif d’enseignants baisser.

Lire aussi. En France aussi, l'excision est une réalité

Sujet tabou dans les familles, l’excision est un thème « d’autant plus difficile à évoquer auprès de ces jeunes filles quand on est une femme blanche, explique Nathalie Marinier. Cette question devrait évidemment être abordée par des femmes issues de la diaspora, qui ont plus de légitimité. Nous sommes prêtes à les aider. Elles sont, hélas, très rares à en parler… ». Se rebeller, mettre en cause ses parents, leurs traditions, exposer son intimité, dépasser la honte, renouer avec son corps, comprendre et accepter sont déjà des épreuves difficiles et parfois risquées pour les femmes excisées dans leur enfance. Alors qu’en sera-t-il de ces adolescentes excisées pendant la période critique de la puberté ? 

Le témoignage d'Halimata Fofana, conférencière et auteur de "Mariama, l'écorchée vive" (éd. Karthala) en vidéo:

 Vidéo Daphné Mongibeaux

Pour en parler

Tél. : 119. Toutes les infos sur: alerte-excision.fr et excisionparlonsen.org Un «chat» à destination des adolescentes sur le site de l'association En avant toute(s): enavanttoutes.fr/

L'Institut en Santé Génésique (ISG) à Saint-Germain-en-Laye est le premier centre pluridisciplinaire en France à prendre en charge les femmes victimes de violences. Les femmes excisées peuvent y suivre un parcours de "réparation" (une chirurgie réparatrice et/ou un suivi psychologique). Tel: 01 39 10 85 35

La Maison des Femmes à Saint-Denis prend également en charge les femmes excisées.

Mutilations sexuelles féminines : des outils pour informer

Les victimes sont très souvent confrontées au silence du personnel médical ou, au contraire, sont maladroitement questionnées sur cet épisode douloureux. C'est le constat de douze associations européennes qui se sont alliées pour lancer la plateforme informative United to End FGM (Ensemble pour en finir avec les mutilations génitales féminines), uefgm.org, cofinancée par la Commission européenne. Ce site Internet, lancé le 6 février dernier, délivre des cours en ligne gratuits et des conseils aux professionnels en contact avec des femmes et fillettes victimes de mutilations sexuelles - soit environ 500000 personnes - ou menacées de l'être vivant dans l'Union européenne.

Traduit en neuf langues, cet outil aborde avec exhaustivité de nombreuses thématiques (santé, asile, police et loi, services sociaux et protection de l'enfance, éducation, médias...) et encourage la multiplication des signalements comme mesure de protection.

L'association française Excision, parlons-en!, qui a participé au projet, lance également ce mois-ci une campagne de sensibilisation à destination des adolescents sur les réseaux sociaux, «Alerte excision». «Nous voulons toucher les garçons également car, en devenant père, ils pourront décider de ne pas exciser leur fille», précise Marion Schaefer, déléguée générale d'Excision, parlons-en!

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