
Dans la Bible, Mossoul, l’antique Ninive, est le lieu où Jonas a été rendu à la vie, après son séjour dans le ventre de la baleine, puis inhumé. Le tombeau du prophète, reconnu par les trois grandes religions monothéistes issues du Proche-Orient – le judaïsme, le christianisme et l’islam –, a été détruit par l’organisation Etat islamique (EI) pendant son effroyable règne à Mossoul. Alors que la bataille fait encore rage pour reconquérir la partie occidentale de la ville, Le Monde a choisi de raconter ces presque trois longues années passées au fond du ventre de la baleine, au cœur des ténèbres obscurantistes. Il fallait raconter, car la libération de Mossoul sera suivie d’autres guerres, d’autres vengeances, d’autres horreurs, qui enterreront les précédentes, comme les couches archéologiques les plus récentes recouvrent les fondations de la ville antique.
Un projet criminel et délirant
En s’emparant de Mossoul, le 10 juin 2014, les combattants de l’EI n’ont pas seulement conquis la deuxième ville d’Irak, avec son 1,5 million d’habitants, ils n’ont pas seulement signé la plus importante victoire militaire du djihadisme armé. Ils ont surtout pu mettre en application leur projet criminel et délirant : l’instauration d’un « califat » aux règles prétendument inspirées du temps du Prophète, et dont Mossoul a été proclamée capitale.
Les Mossouliotes ont été les cobayes de cette expérience sans précédent qui a débuté – on ne le rappellera jamais assez – par une tentative de génocide sur le peuple yézidi. Le fait qu’on ne sache pas, à ce jour, combien de yézidis ont été massacrés par l’EI en dit long sur la sous-estimation de cet épisode tragique. Suprême cruauté, les idéologues de l’EI ont eu l’idée perverse de transformer les orphelins yézidis arrachés à leurs familles en enfants-soldats, prototypes de « l’homme nouveau djihadiste » qu’ils ont voulu façonner. Outre le génocide des yézidis, Mossoul a fait l’objet d’un ethnocide religieux et culturel avec le départ forcé des chrétiens de la ville, sommés de se convertir ou de partir.
Un vaste système de prédation
Une fois cette épuration menée, l’EI a pu mettre en place son projet insensé, avec prudence au début, puis très rapidement, sans prendre de gants : exécutions et châtiments corporels en public, omniprésence de la police religieuse, relégation des femmes, effacement de la mémoire, mise en coupe réglée de l’éducation, répression de tous les potentiels opposants, etc. Bien vite, la guerre à outrance est devenue le seul but et seul principe de gouvernement. Toute source de richesse potentielle a été taxée, exploitée, saisie. Tous les avantages sont allés aux combattants. L’EI a instauré un vaste système de prédation, dans lequel le ressentiment des villageois contre les citadins a joué un rôle déterminant.
Les Mossouliotes, du moins une grande majorité d’entre eux, garderont un souvenir sombre du court règne de l’EI. Cela ne suffira pas pour autant à rendre agréable ni facile ce qui les attend après la bataille. Le meilleur moyen pour que la barbarie djihadiste ne revienne pas hanter Mossoul est d’aider ses habitants à se doter d’institutions stables, honnêtes et pluralistes.
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