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Management

Entreprises : quand le télétravail vire au cauchemar

Meilleure conciliation des temps de vie, gain de temps dans les transports, productivité... Si le télétravail présente de nombreux avantages, pour certains, l’aventure se transforme aussi en chemin de croix.

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Une femme sur son lit avec un ordinateur. Photo d'illustration télétravail

Un récent rapport publié mi-février par l’Organisation internationale du travail (OIT) et Eurofound sous l’égide de l’ONU, pointe d’ailleurs les risques préoccupants du télétravail –ou travail distance– pour la santé.

OJO Images / Rex Features

Lorsqu’elle rejoint, fin 2012, ce petit cabinet de conseil en archivage numérique, Marianne* est plutôt séduite par l’organisation proposée par son employeur.  «Lui travaillait depuis Marseille, moi depuis mon appartement à Paris. Hormis quelques appels, des rendez-vous clients et de très rares réunions d’équipe, je m’organisais comme je voulais, en totale autonomie, du moment que le travail était rempli», raconte la consultante, aujourd’hui âgée de 29 ans. La formule du télétravail lui convient bien, au début du moins. «C’était pratique. Je me levais plus tard. Je n’avais pas besoin de poser de RTT pour prendre un rendez-vous chez le médecin ou chez l’esthéticienne, je faisais les courses la journée plutôt que le soir à la sortie du travail…»

Résultat, la jeune parisienne adopte rapidement un mode de vie décalé. «Je me suis retrouvée à travailler davantage le soir et les week-end. J’avais de plus en plus de mal à faire la coupure entre vie privée et boulot.» Ajouté à cela, une absence totale d’accompagnement de la part de son manager. «Il était difficilement joignable et ne me donnait aucun retour sur mon travail. Je pouvais passer des journées entières sans parler à personne. Comme je débutais dans le domaine, je me mettais la pression au moindre problème, culpabilisais et doutais de mes capacités. Au bout de trois ans, j’ai fini par craquer», livre la jeune femme brune, la gorge serrée.

Risques pour la santé

Plus de stress, des journées à rallonge, un sentiment d’isolement, une plus grande porosité entre vies personnelle et professionnelle… La situation qu’a vécue Marianne est plus courante qu’on ne le croit. Si le télétravail peut présenter de nombreux avantages (réduction des trajets, meilleure conciliation des temps de vie, amélioration de l’efficacité…), pour certains l’aventure se transforme en effet en cauchemar. Un récent rapport publié mi-février par l’Organisation internationale du travail (OIT) et Eurofound sous l’égide de l’ONU, pointe d’ailleurs les risques préoccupants du télétravail –ou travail distance– pour la santé, en particulier pour les salariés qui multiplient les déplacements.

Ainsi, 42% des personnes travaillant en permanence à domicile et 42% des télétravailleurs très mobiles déclarent se réveiller plusieurs fois par nuit, alors qu'ils ne sont que 29% chez les personnes employées sur leur lieu de travail. De même, «41% des employés très mobiles font état de niveaux élevés de stress, comparés à 25% chez ceux qui travaillent tout le temps au bureau», indique l'étude. A l’origine de cette situation, le rapport évoque notamment la forte incidence des technologies de l’information et de la communication (TIC) sur le travail à distance qui ont «tendance à induire un allongement de la durée du travail, à créer un chevauchement entre le travail salarié et la vie privée, et à entraîner une intensification du travail».

"A petite dose"

Des effets qui peuvent s’avérer d’autant plus pervers que cette forme d’organisation, souvent accordée au cas par cas par l’employeur, est encore encadrée à la marge dans les entreprises. «En France, il existe beaucoup de télétravail gris, qui n’est pas formalisé par un avenant au contrat de travail, comme l’impose la loi. Or, les problématiques de temps et d’espace de travail sont bousculées par l’ultra connexion des salariés et des organisations. Résultat, il est très difficile de quantifier le phénomène et son impact concret, même si on estime actuellement qu’au moins 8 à 10% de la population active pratique le télétravail selon les études publiées sur le sujet», estime Karine Babule, chargée de mission à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact). Rattachée au ministère du Travail, l’Anact pilote depuis trois ans un projet d’expérimentation autour du télétravail dans 20 PME issues de 8 régions, qui lui a permis d’éditer un guide pratique sur le télétravail.

Pour limiter les dérives, il est essentiel, selon la chargée de mission, que les entreprises se dégagent d’une logique individuelle au profit d’une approche organisationnelle plus globale en la matière. «Le télétravail à domicile peut en effet représenter une solution mais forcément la seule réponse. D’autres problématiques centrales telles que l’organisation des temps, l’attribution de la charge de travail ou encore la gestion du droit à la déconnexion via une charte, sont d’autres voies potentielles. A chaque entreprise de trouver la formule la plus adaptée à son activité », plaide Karine Babule, qui souligne notamment l’intérêt souvent négligé du recours aux tiers-lieux et espaces de coworking comme compromis.

C’est notamment la solution intermédiaire qu’ont finalement choisie d’un commun accord Marianne et son employeur. «J’avais oublié à quel point c’était stimulant de sortir, parler à des gens, réseauter, dans un endroit uniquement dédié au travail», raconte la consultante. Depuis, la jeune femme a intégré à mi-temps les équipes de deux entreprises clientes. «Je reprends goût à mon travail», confie celle qui juge toujours favorablement le télétravail à domicile, «mais à petite dose». Le rapport de l’OIT insiste d’ailleurs sur l’intérêt de ce mode d’organisation à temps partiel, afin de limiter le risque de trop grand isolement.

Former les managers

«On pense souvent à tort que le télétravail représente une manière 'plus cool' de travailler, mais c’est faux. Cela ne s’improvise pas et suppose de l’encadrer. Chez nous par exemple, nous avons fixé des jours où tous les salariés doivent être présent au bureau, pour maintenir un minimum de lien social», insiste Stéphanie Lercerf, DRH du cabinet de recrutement Page Group, qui pointe également l’importance de sensibiliser les salariés à l’utilisation des TIC et surtout de former les chefs d’équipe au management à distance. Gaelle* en sait quelque chose. Dans le cadre de son avant-dernier poste, cette ancienne journaliste a travaillé trois ans en télétravail à domicile presque permanent (quatre jours sur cinq). «Ma compagne venait de décrocher un poste à Dijon, alors que nous habitions Paris. C’est ma responsable elle-même qui m’a proposé cette alternative lorsqu’elle a appris la nouvelle. Nous avons tout formalisé sur un avenant. Au début cela se passait très bien.»

Mais voilà, un an plus tard, Gaelle change de cheffe. La situation se gâte. « Elle m’a tout de suite dit que cela ne lui convenait pas. Qui plus est, c’était quelqu’un de très axé sur le contrôle. Dès que je ne répondais pas à l’un de ses appels, elle m’envoyait un mail incendiaire. Elle me demandait des comptes en permanence. J’en venais presque à culpabiliser d’aller aux toilettes ou de descendre chercher mon courrier par peur de la manquer.» Un jour, la trentenaire se bloque le dos et est arrêtée. «Elle m’a envoyé l’inspection du travail, c’est dire si c’est allé loin quand même!» Pour autant, Gaelle n’est pas du tout opposée à recommencer l’aventure de manière ponctuelle à l’avenir. «Maintenant je sais que pour que cela fonctionne, il faut que toutes les parties prenantes s’impliquent -qu’il s’agisse du salarié, du manager, des RH et même des collègues- car, malgré ses nombreuses opportunités, le télétravail dérange les habitudes», estime-t-elle avec recul.

Un sujet que les pouvoirs publics commencent à prendre au sérieux. «La loi travail a lancé une concertation entre les partenaires sociaux sur le sujet du développement du télétravail. Un plan national de déploiement du télétravail est également mené en parallèle sous l’égide de la Direction générale du travail notamment sur les enjeux d’attractivité des territoires», explique Karine Babule de l'Anact. Quand on sait que 65% des employés de bureau se déclarent intéressés par le travail nomade et le télétravail, selon une récente étude Ipsos publiée fin 2016, il était temps de se saisir du dossier!

*Seuls les prénoms ont été conservés, à la demande des personnes interviewées.

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