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Cornes de rhinocéros : pourquoi le trafic a explosé

Une saisie des douanes hongkongaises en provenance d’Afrique du Sud en 2011. Aaron Tam/AFP

Un rhinocéros du zoo de Thoiry a été tué le 7 mars dernier ; sa principale corne a été sciée et volée. C’est la première fois qu’un rhinocéros vivant était abattu dans un zoo en Europe dans le but de dérober sa corne.

La même semaine, en une seule journée, 13 rhinocéros ont été découverts morts en Afrique du Sud, abattus par des braconniers. En 2016, le nombre d’animaux tués s’est élevé à 1 054 individus. À titre de comparaison, en 2007, seuls 13 rhinocéros avaient été braconnés dans ce pays.

Des populations en net déclin

Il resterait, selon des comptages réalisés en 2015, moins de 30 000 rhinocéros dans le monde. On compte pour cet animal cinq espèces différentes : en Afrique se trouvent le rhinocéros blanc (environ 20 400 spécimens, dont 18 500 en Afrique du Sud) et le rhinocéros noir (5 200 spécimens, dont 1 900 en Afrique du Sud). En Asie subsistent le rhinocéros indien, qui vit en Inde et au Népal (3 500 spécimens), le rhinocéros de Sumatra (250 spécimens) et le rhinocéros de Java (50 spécimens seulement).

Chaque rhinocéros adulte peut porter jusqu’à quelques kilogrammes de cornes, selon son âge et son espèce, le rhinocéros blanc étant le plus pourvu (jusqu’à 6 kg). Le rhinocéros indien et le rhinocéros de Java n’ont qu’une corne tandis que les 3 autres espèces en possèdent deux.

Les rhinocéros africains (blancs et noirs) se trouvent principalement en Afrique du Sud, en Namibie, au Kenya et au Zimbabwe. Alors que seuls 62 rhinocéros avaient été braconnés sur tout le continent africain en 2006, ce chiffre atteint 262 individus l’année suivante et 1 090 individus en 2013 (dont 90 % en Afrique du Sud).

Nombre et provenance des rhinocéros braconnés en Afrique entre 2006 et 2014. R. Emslie et al., CC BY

En 2015, ce sont en tout 1 342 rhinocéros (blancs et noirs) qui ont été braconnés sur le continent africain. Ces dernières années, on a tué en Afrique du Sud autant voire plus de rhinocéros qu’il n’en naît naturellement dans le parc de Kruger et les fermes privées.

De fausses vertus thérapeutiques

La corne de rhinocéros est utilisée dans la médecine traditionnelle asiatique pour soigner fièvres et maladies cardio-vasculaires ; elle est très prisée en Chine et au Vietnam ; plus récemment, on la trouve prescrite comme traitement anticancéreux ou aphrodisiaque.

Il n’existe toutefois aucune validation scientifique de telles vertus thérapeutiques. Mais ces croyances infondées favorisent une flambée de la demande de poudre de corne en Asie. Les prix grimpent toujours plus hauts : jusqu’à 60 000 dollars le kg… soit plus cher que l’or !

La corne de rhinocéros est en fait simplement composée de kératine agglomérée – une protéine présente dans les ongles des animaux et des humains – et de quelques acides aminés et minéraux, phosphore et calcium.

Selon l’ONG WWF, la demande de corne de rhinocéros a explosé au milieu des années 2000, tout particulièrement au Vietnam en raison de la parution d’informations selon lesquelles un officiel du gouvernement atteint d’un cancer serait entré en rémission grâce à son usage.

Il existe aussi une demande en Chine et à Hong-Kong pour confectionner des objets qui peuvent être des signes extérieurs de richesse (bijou, coupe libatoire) ; avant les années 2000, il existait de même un marché pour les manches de poignards (djamba) au Yémen.

La corne du rhinocéros, un amas de kératine. Efraimstochter

Un trafic criminel juteux

Le commerce illicite des espèces sauvages constitue le 4e marché illégal au monde, après les stupéfiants, les produits contrefaits et la traite des êtres humains. Il concerne chaque année des dizaines de millions de spécimens d’animaux et de plantes. En 2014, on a estimé sa valeur entre 10 et 20 milliards de dollars.

Il existe aujourd’hui des preuves très claires que des groupes du crime organisé sont impliqués dans le braconnage du rhinocéros et le commerce illégal de ses cornes pour alimenter la médecine traditionnelle de certains pays d’Asie.

Ce commerce illégal est désormais l’une des activités criminelles les plus structurées auxquelles est actuellement confrontée la CITES – la Convention de Washington qui réglemente le commerce international des espèces –, aidée dans son combat par Interpol, Europol, l’OMD (Organisation mondiale des douanes) et l’ONUDC (Office des Nations unies de lutte contre les drogues et les crimes).

Avant les années 2000, les pressions sur les pays consommateurs (Yémen, Corée, Taiwan et Chine) pour stopper ce commerce de cornes ont provoqué, jusqu’en 2007, une baisse du braconnage et une remontée des effectifs de rhinocéros en Afrique. Mais au mitan des années 2000, suite à l’émergence du marché vietnamien, le braconnage a repris de façon spectaculaire.

Selon l’ONUDC, les principales cargaisons de corne proviennent, par ordre d’importance, d’Afrique du Sud, du Mozambique (où il n’y a plus de rhinocéros vivants mais où il y avait beaucoup de braconniers qui venait sévir dans le parc Kruger sud-africain), du Zimbabwe et du Kenya.

Au début des années 2010, les Émirats arabes unis et l’Europe font office de plaque tournante : Prague a ainsi découvert en 2011 une filière de ressortissants tchèques chasseurs de trophées en Afrique du Sud qui les revendaient à leur retour à des commerçants vietnamiens.

De nombreux vols de cornes (90 entre janvier 2011 et juin 2012) ont également eu lieu dans des muséums et des salles des ventes partout en Europe, des méfaits perpétrés par la filière dite « irlandaise » des Rathkeale Rovers démantelée par Europol. Le Vietnam, la Chine et la Thaïlande sont, respectivement, les principaux pays importateurs de ces cornes volées.

La filière des trophées

Le commerce de la corne de rhinocéros est banni au niveau international depuis 1977 par la Convention CITES signée par 182 pays.

Sur la base d’un système de permis et de certificats délivrés sous certaines conditions, la CITES a inscrit environ 35 000 espèces sauvages réparties en trois groupes (appelées « Annexes ») en fonction du niveau de protection requis. La première annexe comprend toutes les espèces menacées d’extinction : le commerce de leurs spécimens n’est pas autorisé sauf conditions exceptionnelles. La seconde concerne les espèces qui ne sont pas nécessairement menacées d’extinction, mais dont le commerce des spécimens est surveillé pour éviter une exploitation incompatible avec leur survie. La troisième comprend toutes les espèces protégées au sein d’un pays qui a demandé aux autres pays membres de la CITES leur assistance pour en contrôler le commerce.

Le rhinocéros blanc se trouve à la fois en Annexe II (pour l’Afrique du Sud et le Swaziland) et en Annexe I (pour tous les autres pays d’Afrique concernés). Les quatre autres espèces sont en Annexe I.

Mais l’importation de trophées de chasse de rhinocéros incluant la corne en tant qu’effet personnel est autorisé en provenance d’Afrique du Sud et du Swaziland, sans toutefois pouvoir être vendu dans le pays d’arrivée ; d’autre part, les rhinocéros blancs élevés dans des ranchs privés en Afrique du Sud peuvent être exportés vivants vers des destinations appropriées et acceptables (zoos), selon les termes de la Convention CITES.

Notons que, ponctuellement, des rhinocéros (blancs ou noirs) en Annexe I de la CITES peuvent être exceptionnellement chassés et leurs trophées exportés de certains pays d’Afrique sous certaines conditions (il faut un avis de prélèvement non préjudiciable formulé au préalable par le pays d’exportation) ; c’est ainsi le cas de la Namibie. Cette situation a concerné moins de 10 spécimens en 10 ans.

Entre 2006 et 2011, 1 344 trophées de chasse, incluant donc des cornes de rhinocéros africains (toutes espèces confondues) ont ainsi été exportées légalement comme effets personnels. Ils provenaient principalement d’Afrique du Sud et dans une moindre mesure de Namibie. Le Vietnam en fut le premier importateur, devant les USA, l’Espagne et la Russie.

Avant 2006, en Afrique du Sud, un peu moins de 75 chasses aux trophées de rhinocéros ont été organisées. Puis, subitement, les demandes de permis de chasse ont commencé à affluer en provenance du Vietnam ; après une phase d’observation, il a été conclu que les cornes de rhinocéros chassés avaient été illégalement revendues dans ce pays. En 2012, l’Afrique du Sud a donc mis un terme à ces autorisations pour les ressortissants vietnamiens.

Que faire ?

Fin septembre 2016 à Johannesburg, lors de la dernière réunion mondiale de la CITES, le Swaziland a déposé une proposition visant à permettre un commerce limité et réglementé de la corne de rhinocéros blanc. Ce pays possède en effet une petite population de rhinocéros blancs d’environ 75 individus vivants protégés dans des parcs, mais a connu une période de braconnage intense de rhinocéros entre 1988 et 1992, où 80 % des animaux furent décimés. Le Swaziland disposait donc d’un stock important de cornes, qu’il souhaitait vendre. Cette proposition a été soumise au vote et rejetée par une majorité des pays.

Lors de cette même conférence, le gouvernement sud-africain n’a pas souhaité proposer de lever le moratoire international sur le commerce de la corne de rhinocéros dans son pays. Depuis plusieurs années, le débat fait rage entre opposants et partisans de la légalisation de la vente de la corne. Les fermiers sud-africains estiment que l’interdiction du commerce ne fait qu’alimenter le braconnage ; ils assurent également pouvoir répondre à la demande asiatique en fournissant des cornes de rhinocéros qui n’auront pas été tués : les éleveurs savent couper la corne avec une scie, une procédure indolore pour l’animal qui est anesthésié pendant une quinzaine de minutes et la corne repousse une fois qu’elle a été coupée correctement. Il faut également souligner que protéger les rhinocéros au sein des ranchs coûte des millions d’euros aux fermiers qui doivent faire face à l’acharnement des braconniers.

Mais le gouvernement sud-africain vient d’indiquer qu’il pourrait autoriser l’exportation, en tant qu’effet personnel, de deux cornes par touriste. Un assouplissement dans les termes utilisés sur les permis CITES qui comporte un risque de détournement et d’utilisation commerciale.

En Europe, des mesures ont déjà été prises pour restreindre la circulation ou la vente des corne (mêmes celles très anciennes provenant d’animaux chassés avant l’existence de la Convention CITES) et la France a publié en août 2016 un arrêté qui interdit « le colportage, l’utilisation commerciale, la mise en vente, la vente ou l’achat de corne brute et de morceaux de cornes de rhinocéros ». Dans le cadre de la nouvelle loi biodiversité (2016), les peines pour trafic ont également été sévèrement alourdies : le commerce illicite d’espèces sauvages (et de leurs parties ou produits) en bande organisée, peut être désormais puni jusqu’à 750 000 € d’amende et 7 ans de prison.

Entre la crise de braconnage des années 1990 et celle vécue actuellement, deux éléments de contexte ont complètement changé. Il y a tout d’abord le crime organisé qui s’est emparé de ce trafic, beaucoup moins puni que d’autres (comme les stupéfiants)… même si les choses sont en train de changer grâce à de nouvelles législations dans de nombreux pays.

Il y a aussi ce phénomène inquiétant de la présence d’intermédiaires asiatiques sur le continent africain dont le rôle grandissant dans les trafics à destination de l’Asie de l’Est – qu’il s’agisse de cornes de rhinocéros, d’ivoire d’éléphant et désormais d’ânes domestiques africains – a été plusieurs fois signalé par la presse africaine.

Il faut toutefois rester optimiste et pugnace. En activant les réseaux nationaux, régionaux et sous-régionaux de lutte contre cette fraude – désormais coordonnés par l’ICCWC, un consortium qui regroupe la CITES et des organisations de lutte contre la fraude –, le combat contre la criminalité transnationale devrait s’intensifier et a déjà obtenu de très bons résultats.

Reste aux autorités des pays d’Asie concernés à sensibiliser leurs populations pour décourager le recours à la corne. La Chine a déjà commencé et le Vietnam a brûlé en novembre 2016 un stock. Mais certains disent que cette prise de conscience nécessitera une génération… Trop long pour espérer sauvegarder les 30 000 rhinocéros de la planète ?

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