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Comment des sites d’extrême droite fabriquent un récit « alternatif » de la présidentielle

Plongée dans la « contre-campagne » racontée par toute une galaxie de sites et comptes Facebook et Twitter militants.

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Publié le 03 avril 2017 à 16h33, modifié le 03 avril 2017 à 16h33

Temps de Lecture 5 min.

Sourire forcé, sur fond de musique d’ascenseur, Mike Borowski dépose la cerise sur le gâteau de sa dernière vidéo YouTube à charge contre Emmanuel Macron : l’ancien ministre aurait offert « 14 milliards d’euros de cadeaux fiscaux » au milliardairePatrick Drahi. « Au moins avec Monsieur Macron, lorsque vous êtes son ami, vous êtes bien traité », ajoute le militant.

Un récit alternatif par les militants

Fondateur du site La gauche m’a tuer, ancien collaborateur de l’ex-député (alors UMP) Christian Vanneste, Mike Borowski se montre très actif depuis le début de la campagne pour attaquer les candidats qui lui déplaisent, Benoît Hamon et Emmanuel Macron en tête. Son site, ses profils Facebook et Twitter ainsi que sa chaîne YouTube regorgent de diatribes acerbes contre les candidats honnis. Les prétendues « informations », distillées comme autant d’évidences, y défilent à toute vitesse.

« 14 milliards de cadeaux fiscaux » ? Une fausse information

Il suffit pourtant de s’arrêter un instant au milieu du défouloir pour déceler la supercherie. Par exemple, l’affirmation selon laquelle Emmanuel Macron aurait offert « 14 milliards d’euros de cadeaux fiscaux » à Patrick Drahi. On en retrouve la trace une première fois sur « La gauche m’a tuer » le 10 mars, sous la signature « Bulletin de réinformation » de Radio Courtoisie. Le site d’extrême droite Novopress a également relayé cette accusation dans la foulée. Pourtant, aucun de ces deux articles n’explique d’où viendrait ce chiffre.

Sur la piste de l’origine de chiffrage, on tombe sur trois autres sites, tout aussi connu pour leur goût pour la désinformation : Les moutons enragés, Wikistrike et zejournal.mobi. On y trouve bien deux mentions du chiffre de « 14 milliards » d’euros :

  • la première le présente comme l’évaluation du patrimoine de Patrick Drahi par Forbes en 2015 ;
  • la seconde affirme qu’il s’agit du gain enregistré par les actionnaires du groupe de Drahi après le rachat de SFR par ce dernier, autorisé par Emmanuel Macron.

Vérification faite, ces deux chiffres sont erronés. Forbes évaluait la fortune de Patrick Drahi à 16 milliards d’euros (et non 14) en mars 2015, puis 5,9 milliards en mars 2016 et 13,9 milliards en 2017 (ces variations s’expliquent par les emprunts colossaux contractés par le magnat des télécoms). Le second chiffre, quant à lui, ne correspond pas aux dividendes versés aux actionnaires d’Altice. Patrick Drahi a affirmé à plusieurs reprises en être avare, comme lors de son audition à l’Assemblée nationale en mai 2015, même si Numéricable-SFR a emprunté pour verser 2,5 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires fin 2015.

L’assertion selon laquelle Emmanuel Macron aurait fait un « cadeau fiscal de 14 milliards » à Patrick Drahi est donc complètement fausse.

Transformer un dossier complexe en « punchline » pour le Web

Le politique a-t-il pu tout de même, au moment du rachat de SFR par le milliardaire, favoriser ce dernier, ou au moins faire preuve de complaisance ? Les deux intéressés l’ont contesté auprès du JDD. L’entourage de l’ex-ministre a également fait valoir que le candidat à la présidentielle s’était opposé publiquement au rachat de Bouygues par le même Drahi en 2015. Reste la trajectoire de Bernard Mourad : banquier chez Morgan Stanley, il a piloté la fusion entre Numericable et SFR en 2015 avant de devenir directeur de la branche médias du groupe Altice auprès de Patrick Drahi, puis conseiller spécial d’Emmanuel Macron en octobre 2016.

Les partisans d’Emmanuel Macron jugent ces éléments anecdotiques. Ses détracteurs, comme Eric Ciotti, y voient au contraire des preuves de la collusion entre les médias et le candidat à la présidentielle (le député LR a accusé le 14 mars Libération, L’Express et BFMTV de soutenir « ouvertement » l’ex-ministre). Les militants faussaires comme Mike Borowski de « La gauche m’a tuer », eux, transforment ce dossier complexe en une phrase choc, pourtant complètement erronée : « Emmanuel Macron a fait un cadeau fiscal de 14 milliards d’euros à Patrick Drahi ».

L’internaute qui tente de remonter le fil est en revanche bien peiné pour y voir clair. S’il cherche à s’informer sur Google, il trouvera des dizaines d’articles évoquant, à des degrés divers, les supposées connivences entre Emmanuel Macron et le groupe Altice. Partie de sites professionnels comme Russia Today, financé par le pouvoir russe, qui se contentent de la mentionner sur un ton interrogatif, la rumeur est triturée, déformée et amplifiée par de nombreux organes peu scrupuleux comme « La gauche m’a tuer ».

Et une fois enclenchée, la machine est inarrêtable : les militants inondent les réseaux sociaux de la fausse information. Sur Twitter, des profils comme@exbabacool, qui se présente comme tenant d’une « droite hyper décomplexée »,@PNerval, « adhérent LR et gaulliste » ou@ldd64, « soutien de François Fillon » l’ont tous diffusée, réunissant des centaines de partages de la part d’internautes amis.

Tweet de @PNerval

Au total, la fausse information évoquant le chiffre de « 14 milliards » été partagée plus de 20 000 fois sur Facebook et Twitter au mois de mars 2017. Bien plus que les articles plus prudents, qui auront simplement contribué à introduire le ver dans le fruit.

La même construction à l’œuvre pour calomnier Mélenchon, Hamon ou Fillon

Emmanuel Macron n’est pas la seule victime de ce procédé dans la campagne. Au mois de mars, de nombreux sites d’extrême droite l’ont appliqué pour s’en prendre à Jean-Luc Mélenchon. « Après les filles Le Roux, la fille Mélenchon ! », attaque ainsi Boulevard Voltaire, le site fondé par le maire de Béziers soutenu par le FN Robert Ménard. « Jean-Luc Mélenchon ne lave pas si blanc qu’il le dit, il a pistonné sa fille à un job fictif », renchérit « La gauche m’a tuer ».

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L’accusation est là aussi partie d’une source unique, le maire (UDI) de Janvry (Essonne), Christian Schoettl, dans une interview vidéo à Agence info libre, proche de l’extrême droite. Comme l’a déjà relevé Le Monde, l’accusation est contestée et a fait l’objet d’une plainte en diffamation de la part de Maryline Mélenchon. Qu’importe : les sites militants la présentent comme une vérité figée dans le marbre, déformant les informations initiales etoccultant tout fait qui ne va pas dans leur sens.

Dans la même série, de nombreux sites ont brandi une prétendue « affaire Hamon ». De fait, le candidat socialiste a été mis en examen dans une affaire de diffamation qui l’oppose au politique et hommes d’affaires libéral Nicolas Miguet. Mais la comparaison faite par certains entre ce dossier, dans lequel il est reproché à l’ex-ministre d’avoir qualifié le plaignant « d’escroc », et les affaires Fillon ou Le Pen est pour le moins audacieuse.

Quant au candidat LR, on lit auprès de nombreux groupuscules d’extrême droite, comme le site anti-islam Résistance Républicaine, qu’il aurait déclaré que les membres du groupe Bilderberg, « ce sont eux qui nous gouvernent ». Mais l’histoire ne se base que sur des propos prêtés à François Fillon par Philippe de Villiers dans une interview à la Web TV d’extrême droite TV Libertés. Suffisant pour en faire de gros titres, sur fond de complotisme, au pays des faits « alternatifs ».

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