Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Témoignage

« J’ai 13 ans et je travaille 11 heures par jour pour 50 dollars par semaine »

Walid est un jeune Alépin qui a fui sa ville martyre pour la Turquie, où il a été embauché dans un atelier de couture. Il raconte son périple, son calvaire et ses terreurs à « L'Orient-Le Jour ».

Photo A.R.

Il se tait. Longuement. Il crâne, sans aucun doute. Déterminé à ne montrer aucun signe de faiblesse devant son papa, il n'arrive pourtant à cacher ni son épuisement ni son désenchantement. Il est malingre et ses yeux racontent déjà toutes les tristesses du monde – comme ses mains, bleuies par la teinture. Puis il répond aux questions. Il parle doucement. Du bas de ses 13 ans.

« Comme n'importe quel ouvrier, ces 11 heures de labeur chaque jour me fatiguent, bien sûr. Surtout que parfois, le patron me blâme et insiste sur mes erreurs. Cela m'attriste. Mais mon papa me rappelle que mon patron, c'est comme un professeur quand j'étais à l'école ; que mon devoir est de bien maîtriser mon métier pour ne pas être réprimandé. »

Walid a quitté Alep en 2014, à 11 ans, et il travaille désormais, de l'autre côté de la frontière, dans un atelier de couture. Il est l'une des innombrables victimes collatérales de la guerre de Syrie, comme ces 2,5 millions d'enfants syriens qui ont été obligés, depuis le début du conflit en 2011, de quitter leurs chambres (et leurs rêves) de gosse, leurs maisons, leurs écoles, leurs jeux, leur pays... Pire encore : une grande partie d'entre eux a remplacé ses cartables, ses cahiers et ses pupitres par de longues et barbares heures de travail, au noir naturellement, notamment en Turquie. Dans ce pays, les voir par dizaines suer dans les usines et les échoppes des souks est devenu chose courante. Banale. Aussi sordide que les sourires à peine dissimulés des patrons, ravis de bénéficier d'une main-d'œuvre à très bas prix, plus que fragile, et qui n'osera jamais revendiquer le moindre de ses droits, quels qu'ils soient. Même si la loi turque existe et qu'elle interdit d'employer des enfants de moins de 15 ans...

 

(Lire aussi : La barre des 5 millions de réfugiés a été franchie en Syrie)

 

« À genoux devant le patron »
Le gamin rêve souvent de retourner à son école, de retrouver ses copains. « Mais je suis un homme maintenant et je dois aider ma famille », murmure-t-il, hésitant, en regardant son père. Il évoque alors ces autres enfants réfugiés, comme lui... « Ces enfants ne travaillent pas seulement dans le même atelier que moi, mais dans bien d'autres également ; souvent, ils sont plus jeunes que moi, ils ont entre 7 et 9 ans, ils ont perdu leur père et leur(s) frère(s) durant la guerre, et ils s'échinent pour 10 à 15 dollars la semaine. Souvent, ils sont giflés et battus ; crois-moi j'ai assisté à cela à maintes reprises. Et quand ils n'arrivent pas à arrêter de pleurer de douleur, le patron les chasse. Quelques heures à peine après, leur mère, ou un autre membre de la famille, vient se mettre à genoux devant ce même patron pour qu'ils soient rembauchés, parce que la famille a besoin de l'argent... »

Walid est en colère, malgré ses larmes aux yeux, et il assure alors, haut comme trois pommes, que si le père ou les frères de ces enfants maltraités étaient encore vivants, « personne n'aurait osé les frapper ». Mais quand il évoque son patron, il se calme : « J'ai la chance que le mien soit plutôt bon, il se contente de crier et de m'engueuler – même si je ne supporte pas que quiconque me blâme », chuchote-t-il, les yeux baissés, précisant que son salaire hebdomadaire est de 50 dollars. Dispose-t-il d'un jour de congé par semaine ? « Oui. Le dimanche. Je l'attends avec impatience durant six jours, même s'il se termine tellement vite, sourit-il. Un de mes copains qui travaille avec moi vient me retrouver et avec un de mes cousins, nous allons dans un jardin public, où on peut jouer, même au football sur un petit terrain, jusqu'à ce que l'on tombe de fatigue. Le soir, j'accompagne mon père chez un proche, ou alors je reste à la maison, à attendre un nouveau jour de travail... »

 

(Lire aussi : Pourquoi Erdogan tend la main aux réfugiés syriens)

 

« Il est en train de larguer, ya chabéb... »
Comment était sa vie à Alep avant? « Je ne sais pas si notre maison à Alep est détruite ou pas. En réalité, je ne me souviens pas de grand-chose, peut-être un peu de mon école, de mes copains, de la salle de jeu et des activités parascolaires que j'adorais. Je me souviens aussi de ma maîtresse d'école, qui avait toujours très peur et qui nous obligait à dévaler les escaliers pour descendre aux abris à chaque fois qu'elle entendait le bruit d'un avion... » Est-ce qu'il y avait des interdits ? « Pas vraiment. Sauf qu'on n'avait pas le droit d'aller en cour de récréation : pendant les pauses, nous avions juste le choix entre les étages inférieurs et les abris. »

Walid n'a pas quitté l'école de son plein gré. « La direction nous a demandé de ne plus nous y rendre pendant une semaine. Puis, ils ont dit à mon père qu'on ne pouvait plus y aller : notre école a été atteinte en son cœur par un baril d'explosifs... » Et si l'enfant ne devait garder qu'une image, une seule, de ses années alépines ? Walid reste silencieux de longues secondes. Puis la réponse fuse, tremblante, presque pesante : « J'étais avec papa, entouré de gens qui scrutaient le ciel. Et puis ils ont hurlé, d'une seule voix : "Il est en train de larguer, ya chabéb..." (NDLR : les gars). Ils parlaient bien sûr d'un hélicoptère en train de jeter ses barils de mort. Nous nous sommes précipités comme des fous à l'intérieur des bâtiments, mais le bruit de ces barils s'écrasant sur le sol était extraterrestre, horrible. À chaque fois, je fermais les yeux jusqu'à l'explosion, jusqu'à ce que je me rende compte que ce n'est pas sur notre maison que ce baril s'est crashé... On m'a raconté que des dizaines de personnes ont fini déchiquetées lorsque cela arrivait... »

 

« Je suppliais maman d'arrêter de pleurer »
Et les derniers jours qui ont précédé le départ d'Alep et la fuite de la famille en Turquie ? « Nous avons traversé la frontière en 2014. Il faut dire que les hélicoptères ne cessaient de larguer leur cargaison que lorsqu'il pleuvait, qu'il y avait des orages ou que le brouillard couvrait le ciel. Mon oncle maternel est mort de cette façon. Je me souviens très bien de mon autre oncle Waël, lorsqu'il est venu raconter à ma mère la mort de leur frère. Il lui a dit d'abord qu'il a été touché, mais maman ne l'a pas cru et l'a harcelé de questions. Il a fini par lui dire qu'il était décédé. Je n'oublierai pas comment ma maman pleurait sans discontinuer, je la suppliais d'arrêter, de sécher ses larmes... »

Cinq jours après ce drame, le père de Walid prend sa décision : ce sera le voyage en Turquie pour toute la famille. « Nous sommes arrivés à la frontière à 8h. Beaucoup de gens attendaient pour la traverser clandestinement. Avec chaque groupe, se trouvaient une ou deux personnes qui nous aidaient à trouver notre chemin, en contrepartie d'une somme bien précise, naturellement. » Là, Walid est interrompu par son père, qui affirme avoir payé « 800 dollars » pour sa famille composée de cinq membres. Et l'enfant de poursuivre, creusant dans sa mémoire : « Nous avons attendu à peu près 10 heures pour que le soleil se couche et, pendant tout ce temps, nous entendions très bien les tirs que multipliaient les gardes-frontières turcs et nous avions peur, même si notre passeur essayait de nous rassurer en nous répétant que tout allait bien se passer.

À un moment, nous avons été obligés de nous faufiler dans un tunnel profond pour arriver du côté turc de la frontière. C'est là que ma mère a éclaté en sanglots, refusant d'y descendre. Mon père s'est alors glissé dans le conduit et nous a aidés à nous mouvoir dans une tonne de boue, pendant que notre passeur hurlait en nous demandant de nous dépêcher avant que des gardes ne nous remarquent. »
La famille de Walid a ensuite été accueillie par l'oncle du petit à Gaziantep, dans un petit deux-pièces, « jusqu'à ce que mon père trouve du travail et que nous arrivions à louer un appartement. Avant que nous déménagions, nous partagions toutes les factures avec mon oncle », précise l'enfant devenu, trop tôt, un jeune adulte. Là encore, le père de Walid interrompt son fils : « J'ai trouvé un emploi, mais ce que je gagnais ne suffisait pas, et mes économies faites en Syrie ont vite été dépensées, voilà pourquoi j'ai été forcé d'envoyer mon fils au charbon : nous devions impérativement éviter d'être chassés de notre logement. J'ai très longtemps réfléchi avant d'en arriver à ce choix, mais je n'en avais pas d'autre. Je ne souhaite qu'une chose : que l'emploi de Walid soit le plus provisoire possible et que nous puissions rentrer chez nous... »

 

Lire aussi

Vif débat en Turquie sur des milliers de Syriens bientôt naturalisés

Il se tait. Longuement. Il crâne, sans aucun doute. Déterminé à ne montrer aucun signe de faiblesse devant son papa, il n'arrive pourtant à cacher ni son épuisement ni son désenchantement. Il est malingre et ses yeux racontent déjà toutes les tristesses du monde – comme ses mains, bleuies par la teinture. Puis il répond aux questions. Il parle doucement. Du bas de ses 13...

commentaires (2)

LES PROFITEURS DES MALHEURS DES REFUGIES SACCAGENT EN MEME TEMPS L,ECONOMIE NATIONALE ET ENVOIENT LEURS COMPATRIOTES AU CHOMAGE POUR DE MESQUINS PROFITS PERSONNELS !

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 41, le 04 avril 2017

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • LES PROFITEURS DES MALHEURS DES REFUGIES SACCAGENT EN MEME TEMPS L,ECONOMIE NATIONALE ET ENVOIENT LEURS COMPATRIOTES AU CHOMAGE POUR DE MESQUINS PROFITS PERSONNELS !

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 41, le 04 avril 2017

  • Horreurs...des horreurs...que Dieu ait pitie de nous sur cette terre de gurres...

    Soeur Yvette

    09 h 46, le 04 avril 2017

Retour en haut