L’attaque chimique présumée menée à Khan Cheikhoun, dans le nord-ouest de la Syrie, continuait de susciter l’indignation mercredi 5 avril, dont celle de Donald Trump, qui y a vu « un affront pour l’humanité ». Le Conseil de sécurité de l’ONU était réuni en urgence pour débattre de l’attaque chimique présumée, qui a fait 87 morts, dont 20 enfants, et 160 blessés, selon un dernier bilan de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).
Une rencontre où s’est joué un nouveau bras de fer entre Occidentaux et Russes. Le Conseil de sécurité de l’ONU étudiait un projet de résolution présenté par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni condamnant l’attaque et appelant à une enquête complète et rapide.
Le texte de la résolution appelle l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) à présenter rapidement ses conclusions sur l’attaque. Il est également demandé à la Syrie de fournir les plans de vol et toute information sur des opérations militaires au moment de l’attaque. Mais la Russie, allié de Damas, s’est opposée à ce texte jugé « inacceptable » en l’état.
Le bilan d’une attaque probable au gaz sarin
Mercredi, le bilan s’élevait à 87 morts « identifiés par leur nom et prénom », parmi lesquels on dénombre 23 enfants. A cela s’ajoutent 557 blessés dont 54 ont été évacués vers la Turquie, selon les autorités de santé locales.
Dans un communiqué, l’ONG Médecins sans frontières, qui gère quatre structures dans le nord de la Syrie, affirme qu’une de ses équipes dépêchées en soutien aux urgences de l’hôpital de Bab Al-Hawa, dans la province d’Idlib, a « décrit des symptômes concordants avec une exposition à un agent neurotoxique de type gaz sarin ».
Parmi les victimes du bombardement, « MSF a constaté chez huit patients des symptômes – pupilles rétractées, spasmes musculaires et défécation involontaire – caractéristiques d’une exposition à des agents neurotoxiques, tels que le gaz sarin », lit-on dans le communiqué. La même équipe « a pu accéder à d’autres hôpitaux prenant en charge les victimes et a constaté qu’elles dégageaient une forte odeur de chlore, suggérant qu’elles avaient été exposées à cet agent toxique », ajoute MSF.
Trump change de ton sur Assad
Le président américain a, dans le même temps, réagi pour la première fois à l’attaque de à Khan Cheikhoun, dénonçant une « attaque chimique atroce » contre des « gens innocents, des femmes, des petites enfants et même de beaux petits bébés ». « Leur mort fut un affront à l’humanité », a-t-il ajouté.
« Mon attitude vis-à-vis d’Assad a changé », a-t-il lancé, dénonçant les « actes odieux » du régime qui « ne peuvent être tolérés ». Il a aussi haussé le ton contre l’organisation Etat islamique (EI), qui contrôle une partie de la Syrie. « Nous détruirons l’EI, et nous protégerons la civilisation », a-t-il promis, car « nous n’avons pas le choix. »
Lors de la réunion d’urgence du Conseil de sécurité, l’ambassadrice américaine à l’ONU Nikki Haley a prévenu que Washington prendrait des mesures unilatérales en Syrie si l’ONU ne parvenait pas à répondre à l’attaque chimique présumée. Elle a, au passage, fustigé la Russie pour n’avoir pas su tempérer son allié syrien, s’interrogeant : « Combien d’enfants devront encore mourir avant que la Russie ne s’en soucie ? »
Moscou avait dans la matinée réaffirmé son soutien aux opérations militaires de Damas – qui dément être responsable de l’attaque – et donné sa version des faits : selon « des données objectives du contrôle russe de l’espace aérien », l’aviation syrienne a frappé un « entrepôt terroriste » contenant des « substances toxiques », provoquant les émanations chimiques.
Les diplomates accusent
Margot Wallström, ministre des affaires étrangères de la Suède, membre non permanent du Conseil de sécurité, a appelé à trouver un compromis avec Moscou à l’ONU : « Cela implique (…) quelques concessions. Parce que le pire, c’est qu’on n’obtienne qu’un veto après des veto et que rien ne se passe. »
Le président français, François Hollande, a souhaité que cette résolution puisse « diligenter une enquête » débouchant sur des « sanctions » contre le régime syrien. Il faut « une réaction de la communauté internationale à la hauteur de ce crime de guerre », a-t-il jugé. Toutes les preuves sont le régime de Bachar Al-Assad, a affirmé le ministre des affaires étrangères britannique, Boris Johnson.
« Le recours à du gaz toxique constitue un crime de guerre, et les crimes de guerre doivent être traités comme tels », a déclaré une porte-parole de la chancelière allemande Angela Merkel, en exhortant « pour la énième fois » la Russie et l’Iran à faire pression sur Damas « pour que ce dernier mette fin à son action militaire et respecte le cessez-le-feu ».
De précédentes accusations contre Damas
Selon le texte de la résolution discuté à l’ONU, Damas devrait notamment donner les noms de tous les commandants d’escadron d’hélicoptères et ouvrir aux enquêteurs les bases militaires d’où aurait pu être lancée l’attaque. Enfin, le texte menace d’imposer des sanctions en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations unies.
Moscou et Pékin avaient mis leur veto en février à une résolution du Conseil de sécurité qui aurait imposé des sanctions à Damas, déjà accusée d’avoir perpétré une attaque à l’arme chimique sur des villages syriens en 2014 et 2015.
Des hôpitaux bombardés
« Nous avons porté assistance à plus de 200 personnes en situation de détresse respiratoire à des degrés divers. Il faut dans ces cas-là intervenir le plus rapidement possible ; ce qui a été compliqué à cause de la panique dans les rues, et décontaminer les victimes avec de l’eau, les ventiler, nettoyer les vêtements… Malheureusement, les premiers secours n’étaient pas assez équipés », a précisé au Monde Radi Saad, un membre de la défense civile. La première équipe appelée sur place après le raid ignorait en effet qu’il s’agissait d’une attaque chimique. Les secouristes comptent dans leurs propres rangs deux blessés, dont un grave, du fait de leur exposition au gaz.
Plus tard dans la matinée, le centre local de la défense civile, qui servait de morgue improvisée, a été complètement détruit par une frappe aérienne, obligeant à dégager à nouveau des décombres les corps des victimes de la première frappe. L’hôpital Al-Rahma de Khan Cheikhoun, le seul en fonction dans cette ville, a également été visé, un missile s’abattant à une vingtaine de mètres de l’édifice. L’équipe médicale a décidé d’évacuer les blessés vers d’autres villes.
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