Récit

Fraude fiscale: les banques à la porte du tribunal

UBS va bientôt devoir s’expliquer devant la justice française sur la manière dont elle a proposé des montages financiers illicites à ses clients. HSBC pourrait suivre. Une première.
par Renaud Lecadre et Franck Bouaziz
publié le 6 avril 2017 à 19h46

L'étau se resserre. Deux des principales banques mondiales spécialisées dans la gestion de fortune, la britannique Hongkong and Shanghai Bank Corporation (HSBC) et l'Union des banques suisses (UBS), sont en passe de comparaître devant la justice française «pour démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale». Il faut remonter à 2003 pour retrouver un établissement financier ayant pignon sur rue au prétoire. Il s'agissait alors du Crédit lyonnais (devenu depuis LCL) poursuivi pour la présentation tronquée de ses comptes et 15 milliards d'euros perdus dans des investissements hasardeux. En 1993, la banque alors publique avait frôlé la faillite.

UBS va être la première à devoir s’expliquer dans une audience publique. Les juges d’instruction du pôle financier du tribunal de grande instance de Paris Guillaume Daïeff et Serge Tournaire ont rendu leur copie au mois de mars. Il ne reste plus qu’à trouver une date pour un procès qui devrait durer cinq à six semaines. HSBC doit en revanche encore ronger son frein. Le Parquet national financier (PNF) a demandé le renvoi de la banque devant le tribunal correctionnel. Ne manque plus que l’imprimatur des magistrats instructeurs, ce qui semble n’être qu’une simple question de semaines. Les deux procès ne mettront pas un terme à l’évasion fiscale, mais ils pourraient bien faire jurisprudence. Revue des sujets sur la table.

La Fraude à l’impôt dans le collimateur

Les deux banques sont poursuivies pour avoir fourni à leurs clients les moyens de dissimuler des sommes d'argent et donc d'échapper au paiement de l'impôt en France. Les établissements incriminés préconisent pourtant, dans leurs manuels internes à destination des commerciaux chargés de draguer les fortunes baladeuses, de «s'abstenir de l'assistance active à la fuite des capitaux»et de «ne prêter aucune assistance à la soustraction fiscale».

Double discours ? La question se pose à lire ce courrier de HSBC à ses principaux clients : «Alors qu'un projet de fiscalité de l'épargne a été publié, nous espérons vous avoir rendu attentif au fait que, bien que la date butoir soit proche, de nombreux instruments et structures existent qui vous permettent d'améliorer vos rendements dans ce nouvel environnement.» Traduction de cette novlangue bancaire : on vous propose de sécuriser vos avoirs au sein d'une coquille offshore, au Panama ou aux îles Vierges. Là où le climat fiscal est particulièrement doux.

Nous sommes en 2005, et la directive européenne sur la taxation des capitaux (ESD, selon son acronyme anglais) est sur le point de s'élargir à la Suisse et aux avoirs détenus outre-Léman. Les commerciaux de HSBC se mettent illico en ordre de bataille, démarchent la clientèle et rendent compte à leur direction : «Discussion sur ESD, client pense à faire une société offshore», rapporte prudemment l'un d'entre eux. «Proposition d'une structure offshore (ESD), le client n'a pas encore pris de décision», risque un autre.

La banque ne se serait donc pas contentée de conseiller, mais aurait également proposé un montage clés en mains. L’opération est rentable : une coquille offshore achetée 600 dollars au Panama, via le célèbre cabinet Fonseca, est refacturée 5 000 francs suisses au client.

Du blanchiment, donc, au sens de «porter aide et assistance à la dissimulation d'un délit» (la fraude fiscale, en l'espèce), selon la définition du code pénal. Dans le réquisitoire définitif, un dirigeant de banque se défend : «Nous disons la vérité à nos clients dans une optique d'optimisation fiscale.» Reste que cette opportunité d'échapper à l'impôt semble avoir été vendue de manière particulièrement active et organisée à des contribuables français «à fort potentiel».

Des commerciaux salariés en Suisse venaient draguer directement la clientèle hexagonale sur le sol français. Les fameux «carnets du lait» d'UBS en ont apporté la preuve. Il s'agit de notes manuscrites, saisies par les juges, dans lesquelles sont détaillés les clients et le montant des avoirs confiés à la banque. A l'origine, ce terme était employé par les éleveurs helvètes pour noter la production laitière de leur cheptel… UBS comme HSBC plaident pour leur défense n'avoir organisé que de simples opérations de relations publiques, destinées à cultiver leur image. Un de «ces chargés de clientèle», cité dans le réquisitoire, résume : «Sur le moment, on ne fait évidemment rien signer, mais il ne faut pas se le cacher : les gens aiment bien être invités dans des loges VIP, cela aide pour le démarchage de nouveaux clients.»

Des poursuites en haut lieu

Bien que les opérations visées concernent des clients résidant dans l'Hexagone, les magistrats ne se sont pas contentés de poursuivre les filiales françaises des deux banques.«UBS AG a persisté dans ses pratiques illégales et lucratives, malgré les différentes alertes, avertissements des différentes autorités, françaises ou étrangères», ont écrit les magistrats français. UBS AG, la maison mère suisse, est mise en examen en tant que personne morale. Elle s'est vu infliger une caution judiciaire de 1,1 milliard d'euros. Un record. La banque a d'ailleurs cherché, par tous les moyens, à la réduire, allant même jusqu'à plaider devant la Cour européenne des droits de l'homme. Rien n'y a fait. Le niveau de la caution a été établi par la justice en proportion du montant de la fraude fiscale estimée à 10 milliards d'euros. Concrètement, UBS a dû signer un chèque de 1,1 milliard qui a été encaissé. Toutefois, cette somme est séquestrée, ce qui signifie qu'elle ne produit pas d'intérêts pour le budget de la maison France.

HSBC s'en tire bien mieux que sa consœur. Initialement fixée à 1 milliard, sa caution a été ramenée à 100 millions d'euros. Le blanchiment de fraude fiscale pour lequel elle est poursuivie ne porterait que sur 1,6 milliard. Ce qui n'empêche pas le Parquet financier d'être raide à son endroit : une «politique commerciale dédiée au blanchiment», un «démarchage systématique des résidents fiscaux français en vue», destiné à leur «offrir une domiciliation offshore». Cela vise HSBC Private Banking, spécialisée dans la gestion de fortune et basée en Suisse. Mais aussi HSBC Holding, maison mère basée à Londres.

Le message est clair : les mécanismes d'évasion fiscale n'ont pas été mis en œuvre par des filiales hors de contrôle. Ils étaient connus en haut lieu. Philippe Wick, Dieter Kiefer et Raoul Weil, trois dirigeants du siège d'UBS à Zurich, sont parmi les six personnes renvoyées devant le tribunal correctionnel. Les deux premiers n'ont pas répondu aux convocations des juges et font l'objet d'un mandat d'arrêt international. «Je ne connais pas encore la décision de mon client, mais s'il devait se rendre au procès, nous demanderions la levée du mandat d'arrêt», précise Kiril Bougartchev, l'avocat de Philippe Wick, ex-responsable de l'Europe de l'Ouest au siège d'UBS.

Pas de transaction avec la justice française

Aux Etats-Unis, où les deux banques ont été poursuivies pour les mêmes faits, le choix a été celui de la négociation avec le ministère de la Justice. UBS a versé au total 780 millions de dollars en 2009 et HSBC 1,6 milliard en 2012. Les deux établissements avaient tout intérêt à négocier. Outre les désagréments d’un procès médiatisé, ils risquaient de se retrouver vitrifiés par l’arme atomique du droit américain : le retrait de la licence permettant à une banque d’exercer sur le territoire des Etats-Unis. Une décision qui équivaut à un arrêt de mort, compte tenu de l’importance de la place financière de New York et du poids du dollar dans les échanges internationaux.

En France, en revanche, les discussions en ce sens ont tourné court à deux reprises. «Nous ne sommes pas dans les prix de marché», a fait savoir UBS à Libération, pour expliquer la rupture des négociations. Un protagoniste du dossier avance une explication chiffrée. «Il était hors de question que l'Etat français accepte un montant inférieur à 1,1 milliard d'euros, soit le prix de la caution. Vous imaginez le gouvernement accepter de signer un chèque pour rembourser une partie de cette somme à la banque…» Enfin, d'un strict point de vue stratégique, un accord avec la justice française risquait également de passer pour une reconnaissance des faits. Or, de nouvelles accusations de blanchiment de fraude fiscale pourraient encore jaillir dans d'autres Etats européens. La position d'UBS n'en serait que plus fragile. HSBC, elle, peut encore passer un deal avec la justice française, mais les délais se réduisent : «Pas de commentaires», répond Jean-Yves Garaud, l'avocat de la banque interrogé à ce sujet par Libération.

Une défense risquée

UBS, confrontée à un tribunal, et HSBC qui pourrait l’être, prennent le risque d’une sanction financière à la hauteur de ce qui est prévu par le code pénal français. En clair, 50 % des sommes qui ont pris la poudre d’escampette. La banque suisse pourrait donc se voir infliger une amende de 5 milliards d’euros et les ex-dirigeants une peine de prison ferme.

Habituellement, dans ce genre de dossier, les avocats indiquent à leurs clients qu'aucun tribunal ne prend des décisions aussi lourdes. Mais depuis la création du Parquet financier, une chambre spéciale a été créée au tribunal de grande instance de Paris. La «32e», présidée par Bénédicte de Perthuis, n'examine que de grosses affaires financières. De plus, l'accusation s'est fixé pour ligne de requérir des sanctions financières élevées et presque systématiquement de la prison pour les personnes physiques impliquées. En février 2015, la 32e chambre, dans un de ses tout premiers jugements, a condamné Arlette Ricci, petite-fille de la créatrice de haute couture Nina Ricci, à trois ans de prison, dont un ferme. S'y ajoute 1 million d'euros d'amende, le tout pour fraude fiscale. Et, chose rare, l'avocat qui la conseillait dans ses montages a écopé d'un an avec sursis et de 10 000 euros de pénalité.

On peut voir dans ces niveaux de condamnation inédits une manière, peut-être, d’avertir les prévenus que, dorénavant, cette juridiction ne se contentera plus de simplement les admonester.

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