Plongée dans les coulisses de Renault, pionnier de la réalité virtuelle et augmentée

La France, toujours à la traîne en matière d'innovation ? Fadaises ! En témoigne le groupe Renault, qui fait figure de pionnier de la simulation immersive depuis presque 30 ans. Les casques de réalité virtuelle ? Rien de nouveau pour le constructeur, il en utilisait déjà en 2004. L'entreprise nous a ouvert les portes de son technocentre de Guyancourt (78) pour nous conter ses innovations passées, ses usages actuels... et ses développements futurs.

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Plongée dans les coulisses de Renault, pionnier de la réalité virtuelle et augmentée
Illustration d'un utilisateur du CAVE IRIS au Technocentre de Guyancourt. L'affichage stéréoscopique (en 3D) a été désactivé pour les besoins de la photo.

En matière de réalité virtuelle, l'industrie a toujours fait figure de pionnière, même si tous les industriels ne s'y sont pas investis avec la même intensité. L'un des plus avancés au niveau mondial est Renault. Il faut dire que le constructeur automobile français s'est mis à la conception numérique très tôt, dès la fin des années 80. "L'activité a démarré il y a presque 30 ans, et notre première grande installation date de 1992, explique Andras Kemeny, expert leader innovation et réalité virtuelle chez Renault. Nous utilisions des stations Silicon Graphics à l’époque : j’avais fait une conférence de presse à Santa Clara. Nous étions parmi les 30 premières entreprises au monde à avoir une application Silicon Graphics de haut niveau, avec Volvo et Alias Systems."

 

Des casques de réalité mixte dès 2004

Pas étonnant donc que le constructeur se soit rapidement intéressé à la réalité virtuelle. "Nous avons démarré avec des casques avant les autres, dès 2004. Nous avons jugé après plusieurs expérimentations que finalement à l’époque les capacités des CAVE n’étaient pas intéressantes. Nous avions des résolutions comparables dans les casques." Ces casques SEOS 120 disposaient d'un champ de vision de 120° horizontal, avec 50% de couverture en stéréoscopie. Ils étaient aussi équipés de caméras afin d'intégrer dans la simulation les mains de l'utilisateur et le cockpit physique de voiture dans lequel il est assis. En mélangeant de cette façon environnements virtuel et réel, la simulation augmente l'immersion de l'utilisateur. C'est aujourd'hui encore l'une des spécialités de Renault.

 


Photo d'archive de l'utilisation d'un casque SEOS 120 chez Renault

 

Aujourd'hui, Andras Kemeny (en photo ci-contre) dirige le centre de réalité virtuelle et de simulation immersive de Renault, qu'il a fondé en 2002. Il est aussi directeur du Laboratoire d'immersion virtuelle (LIV), fruit d'un partenariat entre Renault et Arts et Métiers ParisTech. Ce qui frappe en l'écoutant parler, c'est la maturité technologique qu'avait déjà Renault à l'époque. Les prix des équipements et la complexité des développements n'étaient pas les mêmes, mais toujours est-il que Renault avait une application de réalité mixte (avec capture et virtualisation du réel) en 2004, capacité qui ne resurgit qu'aujourd'hui, 13 ans plus tard, avec des projets comme Alloy d'Intel.

 

"Nous avons déposé un brevet sur cette technologie en 2004, reprend Andras Kemeny. C’était un dispositif et une méthodologie pour l’architecture des véhicules qui gérait les visions avant et arrière. L'environnement physique autour de l'habitacle était sur fond vert, et il était remplacé dans l'application par des images de synthèse. Cet environnement virtuel est généré par un logiciel maison : SCANeR. Nous en avons la copropriété avec la société Oktal." Le logiciel en question est vendu sous licence dans plusieurs pays d'Europe, en Chine, en Corée, au Canada... "PSA l'utilise. Ford s'y intéresse. Les constructeurs japonais aussi."

 

Un passage au CAVE en 2013

Les choses ont changé chez Renault lorsque la qualité des CAVE est devenue suffisante pour répondre à leurs exigences, ce qui s'est produit en 2013 avec l'arrivée des résolutions 4K. Le fleuron du groupe est le CAVE IRIS, situé au coeur de son technocentre de Guyancourt. Son installation a été réalisée par l'entreprise MechDyne Corporation. Il possède cinq faces (en incluant sol et plafond) et permet d'afficher 70 millions de pixels en 3D. Il est constitué de projecteurs Christie et d'écrans Barco à très haut niveau de contraste. "Nous considérons que nous avons le meilleur CAVE du monde à l'heure actuelle en matière de qualité d'image," commente fièrement Andras Kemeny.

 

 

La configuration multi-usages d'IRIS permet par ailleurs d'y installer un poste de conduite complet. Les équipes de Renault y font de la revue de design, de détails d'intérieur, d'ambiance lumineuse, d'éclairages extérieurs, ainsi que de la simulation de conduite. Cette simulation complète les simulateurs statiques et mobiles traditionnels qui sont utilisés pour la conduite (montés sur vérins et avec des actuateurs binaires pour reproduire les changements de file sur la route) au sein de Renault depuis 2003.

 

Le constructeur automobile possède aussi un autre CAVE au sein du Technocentre, baptisé "plateforme d’intégration immersive innovante", ou P3I. C'est un CAVE à quatre faces en projection directe qui utilise des projecteurs Panasonic full HD. Il est principalement utilisé pour simuler des crashs et étudier l'aérodynamisme des véhicules. Un troisième CAVE, à seulement deux faces, est de son côté utilisé pour évaluer la qualité percue. Côté logiciel, on retrouve les classiques, comme 3DExcite de Dassault Systèmes.

 

La virtualisation de la conception, un enjeu stratégique

L'un des aspects les plus stratégiques de ces technologies est qu'elles permettent de faire des études sans prototype physique. "Cela dépend évidemment des cas d’usage, tempère Andras Kemeny. Si on prend l’éclairage extérieur du véhicule, par exemple, nous l'effectuons depuis 20 ans en virtuel. Nous avons affiné le processus et aujourd'hui nous ne sommes plus obligé de sortir pour les tester, c'est intégralement virtuel. Le fournisseur fait tout en numérique et nous testons le bloc optique sur nos simulateurs, il n'y a plus rien de physique."

 

 

Cette virtualisation du processus de conception s'étend peu à peu au fil des ans. "Nous avons aujourd'hui une trentaine de cas d’usages où tout est virtuel, reprend l'expert. Et il y a de manière générale peu de prototypes physiques, car les prototypes virtuels permettent d'en réduire le nombre et même d'accélérer leur temps de développement. Cela a été le cas pour l’Alpine notamment. Nous l'avons testée pendant 6 mois dans notre CAVE IRIS et le nombre de prototypes physiques a été réduit de manière significative."

 

Réalité augmentée et simulation immersive au service du véhicule autonome

 

La réalité augmentée pourrait aussi s'appliquer au client final. Renault étudie actuellement avec Oktal la mise au point d'interfaces homme-machine à base de réalité augmentée pour le véhicule autonome. "La réalité augmentée devient un enjeu majeur pour les constructeurs automobiles," selon Andras Kemeny, expert leader innovation et réalité virtuelle chez Renault.

 

"Nous allons déployer des véhicules autonomes dès 2020, annonce-t-il. Tesla déclarait récemment qu'il faudra faire parcourir des millions de kilomètres à son système d'intelligence artificielle pour correctement l'entraîner à la conduite. De notre côté, nous ferons des millions de kilomètres en physique et des centaines de millions de kilomètres en simulation. Et cela se fera sur des calculateurs haute performance, mais aussi en immersif, notamment pour mieux appréhender le passage du mode autonome au mode manuel dans différentes situations. Je pense qu'il a y une forte convergence des domaines de la simulation et de la réalité virtuelle."

Et avec la démocratisation de ces technologies (baisse de prix, plus grande accessibilité, capacités accrues), elles prennent une nouvelle dimension au sein du constructeur. "Le groupe a décidé l’année dernière que la simulation immersive était stratégique pour l'entreprise, et c’est devenu transversal. Auparavant c’était réservé à l’ingénierie. Désormais une filière d’expertise coordonne l’ensemble des activités : ingénierie et design, marketing, commerce, l’usine virtuelle, simulation de conduite et recherche académique."

 

2017, l'année du retour des casques ?

On a jusqu'ici parlé de l'innovation passée et présente, mais quid de celle à venir ? Renault ne se repose pas sur ses lauriers. Le constructeur a délaissé les casques coûteux de son passé pour s'intéresser à ceux d'Oculus et de HTC. Il étudie leur utilisation pour la conception des véhicules, et recherche également de nouveaux usages. "Nous travaillons déjà sur le futur bureau de l’ingénieur, dans lequel les stations CAO classiques cohabiteront avec casques et écrans immersifs," déclare Andras Kemeny.

 

Pour autant, les casques de réalité virtuelle ou mixte ne remplaceront pas les CAVE dans leur forme actuelle. "Nous pensons que les CAVE et les casques sont complémentaires, continue-t-il. Le sans-fil arrive mais n’est pas encore là, sauf avec HoloLens mais dont on attend une nouvelle version avec un champ de vision plus large. Comme la perception de vitesse se fait dans la vision périphérique, on aimerait avoir jusqu’à 180° pour les applications d’architecture de véhicule. A l'heure actuelle, aucun casque ne le fait sans déformation optique. Par ailleurs, la résolution est encore limitée par rapport aux CAVE 4K, et la distance d’affichage fixe des casques peut présenter des problèmes de nausées lors de la navigation virtuelle."

 


Le CAVE IRIS est visuellement frappant, même lors de sa phase d'initialisation

 

Les futures innovations : la collaboration immersive et l'intégration du toucher

Les équipes d'Andras Kemeny se concentrent aussi sur l'immersif collaboratif. "Nous avons un projet collaboratif avec la Roumanie sur le CAVE P3I. Nous aurons cet été un CAVE 4K à cinq faces en Roumanie qui utilisera des projecteurs Sony." Ce nouveau CAVE sera installé par l'intégrateur français Immersion. "L'aspect collaboratif est aujourd'hui notre objectif principal," poursuit le dirigeant. L'une des pistes étudiées pour cette collaboration en milieu virtuel est l'utilisation des casques HoloLens de Microsoft.

 

"Nous cherchons à démocratiser les cas de collaboration existants en utilisant HoloLens. L’avantage est que c’est très autonome, qu'il n'y a pas besoin d'ordinateur en plus. La qualité d’image permet des choses simples, limitées à 100 000 polygones, mais suffisantes pour certaines applications. Nous avons des pilotes en cours et nous envisageons des déploiements d'ici quelques mois," révèle Andras Kemeny.

 

Le dernier point de recherche sur lequel travaille Renault est l’haptique, c’est-à-dire le sens du toucher. "Nous testons plusieurs types d’interactions prenant en charge le contact tangible, avec ou sans retour d’effort, détaille Andras Kemeny. Nous avons deux thèses en cours sur ce sujet, qui sont des collaborations avec différentes entités, dont Clarté et Arts et Métiers ParisTech. Nous arrivons à faire la distinction au toucher entre plusieurs matières différentes." A terme, ces technologies rejoindront SCANeR et seront par ce biais misent à disposition du reste de l’industrie automobile. Plus d’informations devraient filtrer à ce sujet cet été.

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