A la BNF, les dessins de Roland Topor n'ont rien perdu de leur mordant

Une rétrospective rappelle les multiples talents de l'illustrateur iconoclaste disparu il y a vingt ans.

Par Stéphane Jarno

Publié le 08 avril 2017 à 11h00

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 04h02

Topor (1938-1997), plus grand mort que vivant ? Vingt après sa disparition, la rétrospective que lui consacre la BNF montre à quel point ses dessins ont marqué nos rétines. Des « unes » chocs de Hara-Kiri au début des années 1960 (le fameux Poing dans la gueule) à la mémorable série télévisée Téléchat deux décennies plus tard, en passant par de sulfureuses affiches de films (Le Tambour, L'Empire des sens) ou encore La Planète sauvage, un classique de l'animation réalisé avec René Laloux en 1973, le style Topor n'a rien perdu de son mordant. Dessins pour la presse, illustrations diverses, travaux préparatoires, marionnettes, extraits de films, de spectacles et d'émissions télévisées : l'exposition « Le monde ­selon Topor » présente plus de trois cents pièces, dont beaucoup d'originaux, qui témoignent d'une oeuvre aussi singulière qu'éclectique.

Engagé, oui, militant, non

Né à Paris, en 1938, de parents juifs polonais, le petit Roland passe une partie de son enfance en Savoie pour échapper aux rafles. Une expérience précoce qui le dégoûte définitivement des uniformes et l'emplit autant d'effroi que de dérision. Etudiant aux Beaux-Arts au milieu des années 1950, le jeune homme a une révélation en découvrant les violents dessins de presse de Siné. Il se fait connaître dès 1958 en publiant ses premiers dessins dans de subtils opuscules littéraires et participe parallèlement à Hara-Kiri, qui éreinte la France gaulliste, et plus largement la connerie ambiante. Engagé, oui, militant, non. Contrairement aux autres dessinateurs d'humour, qui se considèrent comme journalistes, ­Topor se revendique d'emblée artiste et ne se sent lié à aucun mot d'ordre. Seules priment ses envies et l'amitié.

S'il crée le mouvement Panique, en 1962, avec ses compères Alejandro ­Jodorowsky et Fernando Arrabal, c'est d'abord en réaction à ce qu'il reste des surréalistes et de leur pape auto­proclamé, André Breton. Bannissant toute idée de sérieux ou de hiérarchie, le mouvement sert surtout, de son propre aveu, « de tremplin à tout jeune artiste désireux de se faire un nom ». Pour Topor, l'occasion est belle de se lier, et surtout de collaborer, avec Jean Tinguely, Daniel Spoerri, Robert Filliou et autres héritiers de Marcel Duchamp. Travaux à quatre mains, détournements de photos, films, installations : une salle de l'exposition est consacrée à ses incursions trop peu connues dans l'art contemporain.

Roland Topor, Malin comme 3 singes, Paris, 1972.

Roland Topor, Malin comme 3 singes, Paris, 1972. © Adagp, Paris, 2016

Autre temps fort de ce parcours thématique, la section dédiée aux livres. Homme d'images, Topor était aussi un redoutable papivore. S'il a signé plusieurs romans, pièces de théâtre et recueils de nouvelles, dont certains sont devenus des films (comme Le Locataire, par Roman Polanski), le touche-à-tout est aussi un illustrateur compulsif. De Pinocchio aux oeuvres complètes de Marcel Aymé, des romans d'Emmanuel Bove à ceux de Gogol, de Patricia Highsmith ou de son ami Jacques Sternberg, une centaine de livres sont passés par ses mains. Souvent des ouvrages rares, des incunables tirés à quelques dizaines d'exemplaires que la BNF a eu la bonne idée d'exhumer de ses réserves, mais aussi beaucoup d'ouvrages destinés à un public plus large. Pendant longtemps, une couverture signée Topor était un argument de poids dans le succès d'un titre.

“Les dessins de Topor ne respectent rien, ni la morale, ni les proportions. Ils font peur, ils font mal, ils font rire”

Pourquoi ? Sans doute parce que les dessins de Topor laissent rarement indifférent. Léchés, en couleurs et grand format, ou bien jetés sur un bout de nappe en papier, ils se soucient moins d'être « jolis » que d'exprimer une idée-force ou de faire naître un malaise. Quand il ne flirte pas avec Magritte, avec lequel il partage le goût du mystère, des pièges et des symboles, Topor donne volontiers dans l'hybridation, la métamorphose, le gore ou la scatologie. Langues, lèvres et orifices surnuméraires, étrons fumants, corps déformés, bourgeons de chair, chapelet de tripes, mâchoire enfoncée dans la gorge à coups de marteau : son imaginaire évoque les scènes de torture médiévales. Un penchant corporel qu'il partage avec d'autres grands profanateurs comme Willem ou Tomi Ungerer, mais auquel il apporte une brutalité minutieuse, quelque chose d'obsessionnel et de profondément dérangeant. Comme le résume parfaitement l'écrivain Jean-Baptiste Harang, « les dessins de Topor ne respectent rien, ni la morale, ni les proportions. Ils font peur, ils font mal, ils font rire ». Aujourd'hui comme hier, visiter une exposition de Topor n'a rien d'anodin.

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